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le tapis, ses tribulations commencèrent. Laissons-la les raconter au prince de Navarre dans cette longue lettre où, tout en se peignant elle-même, sans y songer, elle trace le tableau de la cour et peut-être aussi, quand on y regarde de près, celui de toute une époque. La lettre de Blois est un des plus précieux documents du XVIe siècle:

      «Mon fils, je suis en mal d'enfant, et en telle extrémité, que si je n'y eusse pourvu, j'eusse été extrêmement tourmentée. La hâte en quoi je dépêche ce porteur me gardera de vous envoyer un aussi long discours que celui que je vous ai envoyé. Je lui ai seulement baillé des petits mémoires et chefs sur lesquels il vous répondra. Je vous eusse renvoyé Richardière; mais il est trop las, et aussi que lors, comme les choses se manient, il y pourra aller bientôt après ce porteur que je dépêche exprès pour une chose: c'est qu'il me faut négocier tout au rebours de ce que j'avais espéré et que l'on m'avait promis; car je n'ai nulle liberté de parler au roi ni à Madame, seulement à la reine-mère, qui me traite à la fourche, comme vous verrez par les discours de ce présent porteur. Quant à Monsieur, il me gouverne et fort furieusement, mais c'est moitié en badinant, moitié dissimulant. Quant à Madame, je ne la vois que chez la reine, lieu malpropre, d'où elle ne bouge, et ne va en sa chambre que aux heures qui me sont malaisées à parler; aussi que Madame de Curton ne s'en recule point; de sorte que je ne puis parler qu'elle ne l'ouïe. Je ne lui ai point encore montré votre lettre, mais je la lui montrerai. Je le lui ai dit, et elle est fort discrète, et me répond toujours en termes généraux d'obéissance à vous et à moi, si elle est votre femme. Voyant donc, mon fils, que rien ne s'avance, et que l'on veut faire précipiter les choses et non les conduire par ordre, j'en ai parlé trois fois à la reine, qui ne se fait que moquer de moi, et, au partir de là, dire à chacun le contraire de ce que je lui ai dit. Mes amis m'en blâment; je ne sais comment démentir la reine, car je lui ai dit: «Madame, vous avez dit et tenu tel et tel propos.» Encore que ce soit elle-même qui me l'ait dit, elle me le nie comme beau meurtre et me rit au nez, et m'use de telle façon, que vous pouvez dire que ma patience passe celle de Griselidis. Si je cuide avec raison lui montrer combien je suis loin de l'espérance qu'elle m'avait donnée de privauté et négocier avec elle de bonne façon, elle me nie tout cela. Et par ce que le présent porteur a par mémoire les propos, vous jugerez par là où j'en suis logée. Au partir d'elle, j'ai un escadron de huguenots qui me viennent entretenir, plus pour me servir d'espions que pour m'assister, et des principaux, et de ceux à qui je suis contrainte dire beaucoup de langage que je ne puis éviter sans entrer en querelle contre eux. J'en ai d'une autre humeur, qui ne m'empêchent pas moins, mais je m'en défends comme je puis, qui sont hermaphrodites religieux. Je ne puis pas dire que je sois sans conseil, car chacun m'en donne un, et pas un ne se ressemble.

      «Voyant donc que je ne fais que vaciller, la reine m'a dit qu'elle ne se pouvait accorder avec moi, et qu'il fallait que de nos gens s'assemblassent pour trouver des moyens. Elle m'a nommé ceux que vous verrez tant d'un côté que d'autre; tout est de par elle. Qui est la principale cause, mon fils, qui m'a fait dépêcher ce porteur en diligence, pour vous prier m'envoyer mon chancelier, car je n'ai homme ici qui puisse ni qui sache faire ce que celui-ci fera. Autrement je quitte tout; car j'ai été amenée jusqu'ici sous promesse que la reine et moi nous accorderions. Elle ne fait que se moquer de moi, et ne veut rien rabattre de la messe, de laquelle elle n'a jamais parlé comme elle fait. Le roi, de l'autre côté, veut que l'on lui écrive. Ils m'ont permis d'envoyer quérir des ministres, non pour disputer, mais pour avoir conseil. J'ai envoyé quérir MM. d'Espina, Merlin et autres que j'aviserai; car je vous prie noter qu'on ne tâche qu'à vous avoir, et pour ça, avisez-y, car si le roi l'entreprend, comme l'on dit, j'en suis en grande peine.

      «J'envoye ce porteur pour deux occasions, l'une pour vous avertir comme l'on a changé la façon de négocier envers moi que l'on m'avait promise, et pour cela qu'il est nécessaire que monsr de Francourt vienne comme je lui écris; vous priant, mon fils, s'il faisait quelque difficulté, le lui persuader et commander; car je m'assure que si vous saviez la peine en quoi je suis, vous auriez pitié de moi, car l'on me tient toutes les rigueurs du monde et des propos vains et moqueries, au lieu de traiter avec moi avec gravité, comme le fait le mérite. De sorte que je crève, parce que je me suis si bien résolue de ne me courroucer point, que c'est un miracle de voir ma patience. Et si j'en ai eu, je sais comme j'en aurai encore affaire plus que jamais; et m'y résoudrai aussi davantage. Je crains bien d'en tomber malade, car je ne me trouve guère bien.

      «J'ai trouvé votre lettre fort à mon gré; je la montrerai à Madame, si je puis. Quant à sa peinture, je l'enverrai quérir à Paris. Elle est belle, bien avisée et de bonne grâce, mais nourrie en la plus maudite et corrompue compagnie qui fut jamais; car je n'en vois point qui ne s'en sente. Votre cousine la marquise en est tellement changée qu'il n'y a apparence de religion, si non d'autant qu'elle ne va point à la messe, car au reste de la façon de vivre elle fait comme les papistes, et la princesse ma sœur encore pis. Je vous l'écris privément. Ce porteur vous dira comme le roi s'émancipe; c'est pitié. Je ne voudrais pas, pour chose du monde, que vous y fussiez pour y demeurer. Voilà pourquoi je désire vous marier, et que vous et votre femme vous retiriez de corruption; car encore que je la croyais bien grande, je la vois davantage. Ce ne sont pas les hommes ici qui prient les femmes, ce sont les femmes qui prient les hommes. Si vous y étiez, vous n'en échapperiez jamais sans une grande grâce de Dieu. Je vous envoie un bouquet pour mettre sur l'oreille, puisque vous êtes à vendre, et des boutons pour un bonnet. Les hommes portent à cette heure force pierreries, mais on en achète pour cent mille écus et on en achète tous les jours. L'on dit que la reine s'en va à Paris, et Monsieur. Si je demeure ici, je m'en irai en Vendômois.

      «Je vous prie, mon fils, me renvoyer ce porteur incontinent, et quand vous m'écrirez, me mander que vous n'osez écrire à Madame, de peur de la fâcher, ne sachant comment elle a trouvé bon celle que vous lui avez écrite. Votre sœur se porte bien. J'ai vu une lettre que monsr de La Case vous a écrite. Je serais d'avis que vous connussiez pour qui il parle. Je vous prie encore, puisqu'on m'a retranché ma négociation particulière et qu'il faut parler par avis et conseil, m'envoyer Francourt. Je demeure en ma première opinion, qu'il faut que vous retourniez vers Béarn. Mon fils, vous avez bien jugé, par mes premiers discours, que l'on ne tâche qu'à vous séparer de Dieu et de moi; vous en jugerez autant par ces dernières, et de la peine en quoi je suis pour vous. Je vous prie, priez bien Dieu, car vous en avez bien besoin en tout temps et même en celui-ci, qu'il vous assiste. Et je l'en prie, et qu'il vous donne, mon fils, ce que vous désirez. – De Blois, ce VIIIe de mars.

      «De par votre bonne mère et meilleure amie.

«Jehanne.»

      Jeanne patienta longtemps; mais, à la fin, jugeant qu'elle ne gagnerait rien à jouter avec la reine-mère sur le terrain des finesses diplomatiques, elle changea de ton et d'allure, et voulut que les questions en suspens fussent tranchées, à défaut de quoi elle menaçait de rompre toute négociation. Combattue de la sorte, Catherine céda sur tous les principaux points contestés, et le contrat fut signé le 11 avril. En voici les stipulations essentielles:

      A part les villes et domaines, Marguerite reçoit pour dot trois cent mille écus d'or au soleil, l'écu évalué à cinquante-quatre sols. La reine-mère lui donne deux cent mille livres tournois; les ducs d'Anjou et d'Alençon, chacun vingt-cinq mille livres. Ces sommes ne furent pas payées comptant, mais constituées en achat de rentes, au denier douze, sur la ville de Paris. Jeanne d'Albret déclare son fils héritier de tous ses biens acquis et à venir; lui abandonne, dès à présent, les revenus, offices et bénéfices de l'Armagnac, son domaine, douze mille livres de rentes assises sur le comté de Marle, et les biens qu'elle tenait du cardinal de Bourbon, son beau-frère. Le prince s'oblige à fournir le château de Pau de meubles et ustensiles, jusqu'à concurrence de trente mille livres. Pour les bagues et joyaux, la reine de Navarre fera ce qu'elle jugera convenable.

      La reine de Navarre se rendit à Paris, le 14 mai, et, avec son activité ordinaire, s'occupa des préparatifs du mariage, en attendant l'arrivée de son fils, encore dans ses Etats, et dont les messages de Charles IX pressaient le départ. Depuis plusieurs années, la santé de Jeanne dépérissait; les préoccupations et les soucis qui avaient rempli son séjour à Blois, et qu'elle retrouva, sous une autre forme, à Paris, brisèrent ses forces et hâtèrent une catastrophe

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