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à traiter.

      Il est constaté que les deux tiers de la population habitent, en Angleterre, les villes, et en France, la campagne.

      Deux circonstances expliquent ce phénomène.

      La première, c'est la présence d'une aristocratie territoriale. Au delà du détroit, d'immenses domaines permettent d'appliquer à la culture du sol des moyens mécaniques et paraissent même rendre plus profitable l'extension du pâturage.

      D'un autre côté, la situation géographique de l'Angleterre, placée entre le Midi et le Nord de l'Europe, et sur la route des deux hémisphères, la multitude et la profondeur de ses rades, le peu de pente de ses rivières qui donne tant de puissance aux marées, l'abondance de ses mines de fer et de houille, le génie patient, ordonné, mécanicien de ses ouvriers, les habitudes maritimes qui naissent d'une position insulaire, tout cela la rend éminemment propre à remplir, pour son compte et souvent pour le compte des autres peuples, à l'avantage de tous, deux grandes fonctions de l'industrie: la fabrication et le voiturage des produits.

      Lors donc que la Grande-Bretagne aurait été abandonnée par le génie de ses hommes d'État au cours naturel des choses, lorsqu'elle n'aurait pas cherché à étendre au loin sa domination, lorsqu'elle n'aurait employé sa puissance qu'à faire régner la liberté du commerce et des mers, il n'est pas douteux qu'elle ne fût parvenue à une grande prospérité, et j'ajouterai, selon mes convictions profondes, à un degré de bonheur et de solide gloire qu'on peut certainement lui contester.

      Mais, parce qu'ailleurs cette émigration de la campagne à la ville s'est opérée naturellement, était-ce une raison pour que la France dût chercher à la déterminer par des moyens artificiels?

      À Dieu ne plaise que je veuille m'élever ici d'une manière générale contre l'esprit d'imitation. C'est le plus puissant véhicule du progrès. L'invention est au génie, l'imitation est à tous. C'est elle qui multiplie à l'infini les bienfaits de l'invention. En matière d'industrie surtout, l'imitation, quand elle est libre, a peu de dangers. Si elle n'est pas toujours rationnelle, si elle se fourvoie quelquefois, au bout de chaque expérience il y a une pierre de touche, le compte des profits et pertes, qui est bien le plus franc, le plus logique, le plus péremptoire des redresseurs de torts. Il ne se contente pas de dire: «l'expérience est contre vous.» Il empêche de la poursuivre, et cela forcément, sans appel, avec autorité; car la raison ne fût-elle pas convertie, la bourse est à sec.

      Mais quand l'imitation est imposée à tout un peuple par mesure administrative, quand la loi détermine la direction, la marche et le but du travail, il ne reste plus qu'un souhait à faire: c'est que cette loi soit infaillible; car si elle se trompe, au moment où elle donne une impulsion déterminée à l'industrie, celle-ci doit suivre toujours une voie funeste.

      Or, je le demande, le sol, le soleil de la France, sa position géographique, la constitution de son régime foncier, le génie de ses habitants justifient-ils des mesures coercitives, par lesquelles on pousserait la population des travaux agricoles aux travaux manufacturiers et du champ à l'usine? Si la fabrication était plus profitable, on n'avait pas besoin de ces mesures coercitives. Le profit a assez d'attrait par lui-même. Si elle l'est moins, – en déplaçant les capitaux et le travail, en faisant violence à la nature physique et intellectuelle des hommes, on n'a fait qu'appauvrir la nation.

      Je ne m'attacherai pas à démontrer que la France est essentiellement un pays agricole; aussi bien, je ne me rappelle pas avoir jamais entendu mettre cette proposition en doute. Je n'entends pas dire que toutes les fabriques, tous les arts doivent en être bannis. Qui pourrait avoir une telle pensée? Je dis qu'abandonnée à ses instincts, à sa pente, à son impulsion naturelle, – les capitaux, les bras, les facultés se distribueraient entre tous les modes d'activité humaine, agriculture, fabrication, arts libéraux, commerce, navigation, exertions intellectuelles et morales, dans des proportions toujours harmoniques, toujours calculées pour faire sortir de chaque effort le plus grand bien du plus grand nombre. J'ajoute, sans crainte d'être contredit, que, dans cet ordre naturel de choses, l'agriculture et la fabrication seraient entre elles dans le rapport du principal à l'accessoire, quoiqu'il en puisse être tout différemment en Angleterre.

      On nous accuse, nous partisans du libre-échange, de copier servilement un exemple venu d'Angleterre. Mais si jamais imitation a été servile, maladroite, inintelligente, c'est assurément le régime que nous combattons, le régime protecteur.

      Examinons-en les effets sur l'agriculture française.

      Tous les agronomes (je ne dis pas les agronomanes, ceux-ci décuplent le revenu des terres avec une facilité sans égale), tous les agronomes, dis-je, sont d'accord sur ce point, que ce qui manque à notre agriculture, ce sont les capitaux. Sans doute, il lui manque aussi des lumières; mais l'art arrive avec les moyens d'améliorer, et il n'est paysan si routinier qui ne sût fort bien placer sur sa métairie ses épargnes à bon intérêt, s'il en pouvait faire.

      La plus petite amélioration de détail exige des avances; à plus forte raison une amélioration d'ensemble. Voulez-vous perfectionner vos voitures de transport? Vous êtes entraîné à élargir, niveler, et graveler les chemins de la ferme. Voulez-vous défricher? Outre qu'il y faut beaucoup de main-d'œuvre, il faut songer à augmenter les frais de semences, labours, cultures, moissons, transports, etc. Mais vous vient-il dans l'idée de faire faire à votre exploitation ce pas plus décisif, qui en change toutes les conditions, je veux dire de substituer à la culture de deux céréales avec jachère, un assolement où céréales, plantes sarclées, végétaux textiles et fourrages divers viennent occuper tour à tour chaque division du sol, dans un ordre régulier? Malheur à vous, si vous n'avez pas prévu la très-notable augmentation de capital qui vous est nécessaire? Dès qu'un tel changement s'introduit dans le domaine, une activité inaccoutumée se manifeste. La terre ne se repose plus, et ne laisse pas reposer les têtes et les bras. La jachère, les prairies permanentes, les pâturages sont soumis à l'action de la charrue. Les labours, les hersages, les semailles, les sarclages, les moissons, les transports se multiplient; et le temps est passé où l'on pouvait se contenter d'instruments grossiers fabriqués en famille. Les semences de trèfle, de lin, de colza, de betterave, de luzerne, etc., ne laissent pas que d'exiger de gros débours. Mais c'est surtout le département des étables, soit qu'on y entretienne des vaches laitières, des bœufs à l'engrais, ou des moutons de races perfectionnées, qui devient un véritable atelier industriel, fort lucratif quand il est bien conduit, mais plein de déception si on le fonde avec un capital insuffisant. Dans ce système, pour doubler le produit net, il faut, non pas doubler, mais sextupler peut-être le produit brut, en sorte qu'une exploitation qui présentait 5,000 fr. de produit net, avec un compte de 15,000 fr. en entrée et sortie, – pour être amenée à donner 10,000 fr. de profit, devra présenter un compte de dépenses et de recettes de 60 à 80,000 francs.

      Les avantages de la culture perfectionnée sont tellement clairs, tellement palpables, ils ont été démontrés dans tant de livres répandus à profusion, proclamés par tant d'agronomes dont l'expérience est incontestable, confirmés par tant d'exemples, que, s'il n'a pas été fait plus de progrès, il faut bien en chercher la cause ailleurs que dans l'attachement aux vieilles coutumes et dans cette routine, que, fort routinièrement, on accuse toujours de tout. Les agriculteurs, croyez-le bien, sont un peu faits comme tout le monde; et le bien-être ne leur répugne en aucune façon. D'ailleurs, il y a partout des hommes disposés à combattre cette nature de résistance. Ce qui a manqué, ce qui manque encore, c'est le capital. C'est là ce qui a réduit les tentatives à un bien petit nombre, et, dans ce petit nombre, c'est là ce qui a entraîné tant de revers.

      Les agronomes les plus renommés, les Young, les Sinclair, les Dombasle, les Pictet, les Thaër, ont recherché quel était le capital qui serait nécessaire pour amener les pratiques au niveau des connaissances agricoles. Leurs livres sont pleins de ces calculs. Je ne les produirai pas ici. Je me bornerai à dire que ces avances doivent être d'autant plus grandes que l'exploitation est plus petite, et que, pour la France, ce ne serait peut-être pas trop d'un capital égal en valeur à la valeur du sol lui-même.

      Mais si un énorme supplément de capital est indispensable au perfectionnement de l'agriculture,

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