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M. le ministre des affaires étrangères, il est vrai, ne vous parle pas encore d'admettre les produits anglais. Il sait bien qu'aujourd'hui il rencontrerait encore dans cette Chambre une forte opposition. Mais ces idées, je le crains bien, germent dans son esprit, et peut-être ne fait-il que les ajourner. M. le ministre a bien dit qu'il était partisan du régime protecteur. Mais en même temps il a déclaré qu'il fallait élargir ce système, et successivement le modifier, à l'égard surtout des industries privilégiées; ce qui veut dire sans doute que ces industries doivent s'attendre, un jour ou l'autre, à entrer en concurrence avec l'étranger.»

      Oui, cela veut dire qu'un jour ou l'autre le droit de propriété sera reconnu en France, et que quiconque travaille, maître du fruit de ses sueurs, sera libre de le consommer, ou de l'échanger, si tel est son intérêt, même ailleurs que chez M. Grandin.

      Ainsi, je le répète, l'heure approche. Nous ne sommes pas arrivés sans doute au temps de la réforme, de l'application des grands principes d'économie politique et d'éternelle justice. Mais nous entrons dans l'ère des essais. Nous nous rapprochons de l'Angleterre à six ans de distance. Les experiments que sir Robert Peel commença en 1841, M. Guizot les commencera en 1847, et leur succès en provoquera d'autres jusqu'à ce que la justice règne dans le pays.

      L'heure approche. Mais le temps qui nous en sépare doit être consacré à la discussion et à la lutte.

      Amis de la liberté, je vous dirai comme M. Grandin à sa phalange: Prenez garde! ne vous laissez pas surprendre!

      Prenez garde! ce n'est pas le ministre qui décidera la réforme. Ce n'est pas la Chambre, ce ne sont pas même les trois pouvoirs; c'est l'opinion. Et êtes-vous prêts pour le combat? avez-vous tout préparé? avez-vous un organe avoué et dévoué? vous êtes-vous occupés des moyens d'agir sur l'esprit public? de faire comprendre aux masses comment on les exploite? disposez-vous d'une force morale que vous puissiez apporter à ce ministère, ou à tout autre, qui osera toucher à l'arche du privilége?

      Prenez garde! le monopole ne s'endort pas. Il a son organisation, ses coalitions, ses finances, sa publicité. Il a réuni en un faisceau tous les intérêts égoïstes. Il a agi sur la presse, sur la Chambre, sur les élections. Il met en œuvre, et c'est son droit, tout le mécanisme constitutionnel. Il vous battra certainement, si vous restez dans l'indifférence.

      Vous comptez sur le pouvoir. Sa déclaration vous suffit. Ah! ne vous y laissez pas prendre. Le pouvoir ne fait que ce que l'opinion veut qu'il fasse. Il ne peut, il ne doit pas faire autre chose. Ne voyez-vous pas qu'il cherche, qu'il sollicite, qu'il implore un point d'appui? et vous hésitez à le lui donner!

      Plusieurs d'entre vous sont découragés. Ils disent: «L'intérêt général, parce qu'il est général, touche tout le monde, mais touche peu. Jamais il ne pourra se mesurer à l'intérêt privé.» – C'est une erreur. La vérité, la justice ont une force irrésistible. C'est l'esprit de doute qui la paralyse. – Pour l'honneur du pays, croyons que le bien public a encore la puissance de faire battre les cœurs.

      Unissez-vous donc: agissez. À quoi servent les garanties conquises par tant de sacrifices? À quoi servent les droits de parler, d'écrire, d'imprimer, de nous associer, de pétitionner, d'élire, si tous ces droits nous les laissons dans l'inertie?

      Je ne sais si je m'abuse, mais il me semble que quelque chose circule dans l'air qui annonce l'affranchissement commercial des peuples.

      Ce n'est pas la tribune seulement qui a eu son débat théorique, il a envahi la presse quotidienne.

      Quelle eût été, il y a quelques mois, l'attitude des journaux? – Et voilà que le Courrier français, le Siècle, la Patrie, l'Époque, la Réforme, la Démocratie pacifique ont passé dans notre camp23; et tout le monde a été frappé de l'orthodoxie et du ton de résolution qui règne dans le manifeste du Journal des Débats, habituellement si prudent et si mesuré.

      Il est vrai que nous avons contre nous la Presse, l'Esprit public, le Commerce et le Constitutionnel. – Mais la Presse ne combat plus, depuis sa correspondance avec M. Blanqui, sur le terrain des principes. Elle veut la liberté, la justice; seulement elle y veut arriver avec une lenteur désespérante. Quant au Constitutionnel, on ne peut pas dire qu'il se prononce; il s'efforce de nous décourager. Mais ses arguments sont si faibles qu'ils manquent leur but, et il semble qu'une secrète répugnance dominait la plume qui les a formulés. Ils reposent tous sur une perpétuelle confusion entre les tarifs protecteurs, que nous attaquons, et les tarifs fiscaux que nous laissons en paix. Ainsi, le Constitutionnel nous apprend que la réforme de sir Robert Peel est tout ce qu'il y a de plus vulgaire. Et quelle preuve en donne-t-il? C'est qu'elle laisse subsister de forts droits sur le thé, le tabac, les eaux-de-vie, les vins, droits qui n'ont et ne peuvent avoir rien de protecteur, puisque ces produits n'ont pas de similaires en Angleterre. Il ne voit pas que c'est en cela que consiste la libéralité de la mesure. – Il nous assure qu'il y a, en Suisse, beaucoup d'obstacles à la circulation des marchandises; mais il ne disconvient pas que ces obstacles sont communs aux marchandises indigènes et aux marchandises exotiques; que les unes et les autres y sont traitées sur le pied de la plus parfaite égalité, d'où il résulte seulement une chose, c'est que la Suisse prospère sans protection, malgré la mauvaise assiette de l'impôt.

      Encore quelques efforts. Que Paris se réveille; qu'il fasse une démonstration digne de lui; que les six mois qui sont devant nous soient aussi féconds que ceux qui viennent de s'écouler, et la question de principe sera emportée.

      17. – LE PARTI DÉMOCRATIQUE ET LE LIBRE-ÉCHANGE

14 Mars 1847.

      Quand nous avons entrepris de défendre la cause de la liberté des échanges, nous avons cru et nous croyons encore travailler principalement dans l'intérêt des classes laborieuses, c'est-à-dire de la démocratie, puisque ces classes forment l'immense majorité de la population.

      La restriction douanière nous apparaît comme une taxe sur la communauté au profit de quelques-uns. Cela est si vrai qu'on pourrait y substituer un système de primes qui aurait exactement les mêmes effets. Certes, si, au lieu de mettre un droit de cent pour cent sur l'entrée du fer étranger, on donnait, aux frais du trésor, une prime de cent pour cent au fer national, celui-ci écarterait l'autre du marché tout aussi sûrement qu'au moyen du tarif.

      La restriction douanière est donc un privilége conféré par la législature, et l'idée même de démocratie nous semble exclure celle de privilége. On n'accorde pas des faveurs aux masses, mais, au contraire, aux dépens des masses.

      Personne ne nie que l'isolement des peuples, l'effort qu'ils font pour tout produire en dedans de leurs frontières ne nuise à la bonne division du travail. Il en résulte donc une diminution dans l'ensemble de la production, et, par une conséquence nécessaire, une diminution correspondante dans la part de chacun au bien-être et aux jouissances de la vie.

      Et s'il en est ainsi, comment croire que le peuple en masse ne supporte pas sa part de cette réduction? comment imaginer que la restriction douanière agit de telle sorte, que, tout en diminuant la masse des objets consommables, elle en met plus à la portée des classes laborieuses, c'est-à-dire de la généralité, de la presque totalité des citoyens? Il faudrait supposer que les puissants du jour, ceux précisément qui ont fait ces lois, ont voulu être seuls atteints par la réduction, et non-seulement en supporter leur part, mais encore encourir celle qui devait atteindre naturellement l'immense masse de leurs concitoyens.

      Or, nous le demandons, est-ce là la nature du privilége? Sont-ce là ses conséquences naturelles?

      Si nous détachons de la démocratie la classe ouvrière, celle qui vit de salaires, il nous est plus impossible encore d'apercevoir comment, sous l'influence d'une législation qui diminue l'ensemble de la richesse, cette classe parvient à augmenter son lot. On sait quelle est la loi qui gouverne le taux des salaires, c'est la loi de la concurrence. Les industries privilégiées vont sur le marché du travail et y trouvent des bras précisément aux mêmes conditions

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<p>23</p>

L'auteur reconnut bientôt que quelques-unes des adhésions qu'il enregistre ici n'étaient ni solides ni complètes.

(Note de l'éditeur.)