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LA TRIBUNE ET LA PRESSE, À PROPOS DU TRAITÉ BELGE

(Journal des Économistes.) Avril 1846.

      Voici quelque chose de nouveau, – ce que les Anglais appellent a free-trade debate, – une joute entre deux principes, la liberté et la protection. – Pendant bien des années, les chefs de la Ligue ont provoqué, au sein des Communes, de semblables discussions. Sûrs d'être défaits, ils ne regardaient pas comme inutiles ces longues et laborieuses veilles où s'élaborait cette reine du monde, l'opinion; – l'opinion qui assure enfin leur victoire. Pendant ce temps-là, il ne se fût pas trouvé chez nous un député assez audacieux pour articuler cette impopulaire expression: un principe. L'inattention, le dédain, la raillerie, peut-être quelque chose de pis, eussent prouvé au téméraire qu'il est des époques où, si l'on n'est pas sceptique, il faut du moins le paraître, et où quiconque croit à quelque chose n'est propre à rien.

      Enfin, voici venir l'ère des discussions théoriques, les seules, il faut le reconnaître, qui grandissent les questions, éclairent l'esprit public. La protection et la liberté se sont prises corps à corps, à propos du traité belge. – Je dis à propos, car il était le prétexte plutôt que le sujet du débat. Chacun savait d'avance que le projet ministériel ne rencontrerait pas d'opposition sérieuse au scrutin.

      Nous n'avons donc pas à l'examiner, et nous nous bornerons à une remarque. En toutes choses, il est un signe auquel le progrès se fait reconnaître: c'est la simplification. S'il en est ainsi, rien de plus rétrograde que le traité belge, car il complique d'une manière exorbitante l'action de la douane. La voilà donc chargée, non-seulement de constater la valeur des objets importés pour prélever une taxe proportionnelle, mais, si c'est du fil, de s'assurer de son origine; de lui ouvrir ou de lui fermer certains bureaux; de lui appliquer, selon l'occurrence, ou le droit de 22 pour 100, ou celui de 11 pour 100, ou ce dernier augmenté de la moitié de la différence, ou bien encore des trois quarts de la différence. – Et si c'est de la toile? Oh! alors viennent de nouvelles complications: on comptera le nombre des fils contenus dans l'espace de cinq millimètres, sur quatre points différents du tissu, et la fraction de fil ne sera prise pour fil entier qu'autant qu'elle se trouvera trois fois sur quatre.

      Et tout cela, pourquoi? De peur que le bon peuple de France ne soit inondé de mouchoirs et de chemises, malheur qui arriverait assurément, si la douane se bornait à recouvrer le revenu de l'État.

      Non, la vérité ne saurait être dans ce dédale de subtilités. On a beau dire que nous sommes absolus. Oui, nous le sommes, et nous disons: Si le public est fait pour quelques producteurs, nos adversaires ont raison et il faut repousser les produits belges; s'il s'appartient à lui-même, laissez-le se pourvoir comme il l'entend.

      J'ajouterai une observation plus grave. Les traités de commerce sont toujours et nécessairement contraires aux saines doctrines, parce qu'ils reposent tous sur cette idée que l'importation est funeste en soi. Si on la croyait utile, évidemment on ouvrirait ses portes, et tout serait dit.

      Ils ont de plus l'inconvénient d'éveiller l'hostilité de tous les peuples, hors un. —Je veux bien acheter des vins, pourvu qu'ils ne soient pas français.– Voilà le traité de Méthuen. —Je veux bien acheter des toiles, pourvu qu'elles ne soient pas à bon marché, c'est-à-dire anglaises.– Voilà le traité belge. – Quand notre siècle sera vieux, je crains bien qu'il ne dise: À quarante-six ans, dans mon âge mûr, j'étais encore bien novice.

      Mais laissons la douane, et ses fils, et ses fractions de fils, et ses moitiés et ses quarts de différence; et passons à la lutte des doctrines, seule chose qui, dans cette discussion, ait une importance réelle.

      M. Lestiboudois a ouvert la brèche avec sa théorie de l'an passé. Vous la rappelez-vous? – «Le commerce extérieur ruine une nation qui achète avec ses capitaux des objets de consommation fugitive.»

      Avec ou sans commerce, on se ruine quand on dépense plus qu'on ne gagne, ce que font les gens paresseux, désordonnés et prodigues. En quoi la douane y peut-elle quelque chose? Si, cet été, il plaisait à Paris de se croiser les bras, de ne rien faire, si ce n'est boire, manger et s'ébattre; si, après avoir dévoré ses provisions, il s'en procurait d'autres en vendant, dans les provinces, ses meubles, ses bijoux, ses instruments, ses outils, et jusqu'à son sol et ses palais, il se ruinerait à coup sûr. Mais remarquez ceci: ses vices étant donnés, loin qu'il pût imputer sa ruine à ses relations avec les provinces, ce sont ces relations qui retarderaient le jour de la souffrance et du dénûment. – Tant que la France sera laborieuse et prévoyante, ne craignons pas que le commerce extérieur lui enlève ses capitaux. – Que si jamais elle devient fainéante et fastueuse, le commerce extérieur la fera vivre plus longtemps sur ses capitaux acquis.

      M. Ducos est venu ensuite. Il a déployé du talent. Mais ce n'est pas ce dont il faut le plus le louer. Sachons apprécier surtout son courage et son désintéressement. Il faut du courage pour faire retentir le mot liberté au sein d'une Chambre et en face d'un pays presque exclusivement hostiles. Il faut du désintéressement pour rompre en visière avec le parti qui seul peut vous ouvrir l'accès du pouvoir, et dans une cause qui seule peut vous le fermer.

      Que dirons-nous de M. Corne? Il a défendu le régime protecteur avec un accent de conviction qui atteste sa sincérité. Mais plus M. Corne est sincère, plus il est à plaindre, puisque sa logique l'a conduit à ces affligeantes conclusions: La liberté est antipathique à l'égalité, et la justice au bien-être.

      M. Wustemberg a paru vouloir se poser, dès le début, en homme pratique, c'est-à-dire dégagé de tout principe absolu, partisan tour à tour, selon l'occurrence, de la liberté et de la protection. – Nous avons d'abord été surpris de cette profession d'absence de foi. Ce n'est pas que nous ignorions le vernis de sagesse et de modération qu'elle donne. Comment révoquer en doute la supériorité de l'homme qui juge tous les partis, se préserve de toute exagération, discerne le fort et le faible de toute théorie? – Mais ces praticiens ont beau dire, si la restriction est mauvaise en soi, tout ce qu'on peut concéder à la restriction modérée, c'est d'être modérément mauvaise. Aussi nous avons été heureux d'apprendre, quand M. Wustemberg a développé sa pensée, qu'il condamne le principe de la protection, qu'il avoue le principe de la liberté et que sa modération doit s'entendre du passage d'un système à l'autre. (V. ci-après le no 49.)

      Il y aurait peu d'utilité à passer en revue tous les discours qui ont occupé trois séances. Je me hâte d'arriver à celui qui a fait, sur l'assemblée et le public, l'impression la plus profonde. Ce ne sera pas cependant sans rendre hommage à une courte, mais substantielle allocution de M. Kœchlin, qui a relevé avec netteté les faits et les calculs erronés que le monopole invoquait à son aide. On y voit combien il faut se tenir en garde contre la statistique.

      Ce n'est pas chose aisée que d'apprécier les paroles d'un premier ministre. Faut-il les juger en elles-mêmes, en se bornant à rechercher leur conformité avec la vérité abstraite? Faut-il les apprécier au point de vue des opinions de l'orateur, manifestées par ses actes et ses discours antérieurs? Ne peut-on point douter qu'elles soient l'expression, du moins complète, de sa pensée intime? Est-il permis d'espérer qu'un chef de cabinet viendra exposer sa doctrine, comme un professeur, sans se soucier ni des exigences de l'opinion, ni des passions de la majorité, ni du retentissement de ses paroles, ni des craintes et des espérances qu'elles peuvent éveiller?

      Si encore M. Guizot était un de ces hommes, comme on peint le duc de Wellington, qui ne savent parler que tout juste assez pour dire ce qu'ils ont sur le cœur? Mais on reconnaît qu'il possède au plus haut degré toutes les ressources oratoires, et qu'il excelle particulièrement dans l'art de mettre, non point les maximes en pratique, mais les pratiques en maximes, selon le mot qu'on attribue à M. Dupin.

      Ce n'est donc qu'avec beaucoup de circonspection qu'on peut apprécier la portée et la pensée d'un tel discours; et, le meilleur moyen, c'est de se mettre à la place de l'orateur et de peser les circonstances dans lesquelles il a parlé.

      Quelles

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