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exacte à qui ne les a point éprouvées. Sans parler des affections morales que cet art a développées en lui, et pour ne citer que les impressions reçues et les effets éprouvés au moment même de l'exécution des ouvrages qu'il admire, voici ce qu'il peut dire en toute vérité: A l'audition de certains morceaux de musique, mes forces vitales semblent d'abord doublées; je sens un plaisir délicieux, où le raisonnement n'entre pour rien; l'habitude de l'analyse vient ensuite d'elle-même faire naître l'admiration; l'émotion croissant en raison directe de l'énergie ou de la grandeur des idées de l'auteur, produit bientôt une agitation étrange dans la circulation du sang; mes artères battent avec violence; les larmes qui, d'ordinaire, annoncent la fin du paroxysme, n'en indiquent souvent qu'un état progressif, qui doit être de beaucoup dépassé. En ce cas, ce sont des contractions spasmodiques des muscles, un tremblement de tous les membres, un engourdissement total des pieds et des mains, une paralysie partielle des nerfs de la vision et de l'audition, je n'y vois plus, j'entends à peine; vertige… demi-évanouissement… On pense bien que des sensations portées à ce degré de violence sont assez rares, et que d'ailleurs il y a un vigoureux contraste à leur opposer, celui du mauvais effet musical, produisant le contraire de l'admiration et du plaisir. Aucune musique n'agit plus fortement en ce sens, que celle dont le défaut principal me paraît être la platitude jointe à la fausseté d'expression. Alors je rougis comme de honte, une véritable indignation s'empare de moi, on pourrait, à me voir, croire que je viens de recevoir un de ces outrages pour lesquels il n'y a pas de pardon; il se fait, pour chasser l'impression reçue, un soulèvement général, un effort d'excrétion dans tout l'organisme, analogue aux efforts du vomissement, quand l'estomac veut rejeter une liqueur nauséabonde. C'est le dégoût et la haine portés à leur terme extrême; cette musique m'exaspère, et je la vomis par tous les pores.

      Sans doute l'habitude de déguiser ou de maîtriser mes sentiments, permet rarement à celui-ci de se montrer dans tout son jour; et s'il m'est arrivé quelquefois, depuis ma première jeunesse, de lui donner carrière, c'est que le temps de la réflexion m'avait manqué, j'avais été pris au dépourvu.

      La musique moderne n'a donc rien à envier en puissance à celle des anciens. A présent, quels sont les modes d'action de notre art musical? Voici tous ceux que nous connaissons; et, bien qu'ils soient fort nombreux, il n'est pas prouvé qu'on ne puisse dans la suite en découvrir encore quelques autres. Ce sont:

LA MÉLODIE

      Effet musical produit par différents sons entendus successivement, et formulés en phrases plus ou moins symétriques. L'art d'enchaîner d'une façon agréable ces séries de sons divers, ou de leur donner un sens expressif, ne s'apprend point, c'est un don de la nature, que l'observation des mélodies préexistantes et le caractère propre des individus et des peuples modifient de mille manières.

L'HARMONIE

      Effet musical produit par différents sons entendus simultanément. Les dispositions naturelles peuvent seules, sans doute, faire le grand harmoniste; cependant la connaissance des groupes de sons produisant les accords (généralement reconnus pour agréables et beaux), et l'art de les enchaîner régulièrement, s'enseignent partout avec succès.

LE RHYTHME

      Division symétrique du temps par les sons. On n'apprend pas au musicien à trouver de belles formes rhythmiques; la faculté particulière qui les lui fait découvrir est l'une des plus rares. Le rhythme, de toutes les parties de la musique, nous paraît être aujourd'hui la moins avancée.

L'EXPRESSION

      Qualité par laquelle la musique se trouve en rapport direct de caractère avec les sentiments qu'elle veut rendre, les passions qu'elle veut exciter. La perception de ce rapport est excessivement peu commune; on voit fréquemment le public tout entier d'une salle d'opéra, qu'un son douteux révolterait à l'instant, écouter sans mécontentement, et même avec plaisir, des morceaux dont l'expression est d'une complète fausseté.

LES MODULATIONS

      On désigne aujourd'hui par ce mot les passages ou transitions d'un ton ou d'un mode à un mode ou à un ton nouveau. L'étude peut faire beaucoup pour apprendre au musicien l'art de déplacer ainsi avec avantage la tonalité, et à modifier à propos sa constitution. En général les chants populaires modulent peu.

L'INSTRUMENTATION

      Consiste à faire exécuter, à chaque instrument ce qui convient le mieux à sa nature propre et à l'effet qu'il s'agit de produire. C'est en outre l'art de grouper les instruments de manière à modifier le son des uns par celui des autres, en faisant résulter de l'ensemble un son particulier que ne produirait aucun d'eux isolément, ni réuni aux instruments de son espèce. Cette face de l'instrumentation est exactement, en musique, ce que le coloris est en peinture. Puissante, splendide et souvent outrée aujourd'hui, elle était à peine connue avant la fin du siècle dernier. Nous croyons également, comme pour le rhythme, la mélodie et l'expression, que l'étude des modèles peut mettre le musicien sur la voie qui conduit à la posséder, mais qu'on n'y réussit point sans des dispositions spéciales.

LE POINT DE DÉPART DES SONS

      En plaçant l'auditeur à plus ou moins de distance des exécutants, et en éloignant dans certaines occasions les instruments sonores les uns des autres, on obtient dans l'effet musical des modifications qui n'ont pas encore été suffisamment observées.

LE DEGRÉ D'INTENSITÉ DES SONS

      Telles phrases et telles inflexions présentées avec douceur ou modération ne produisent absolument rien, qui peuvent devenir fort belles en leur donnant la force d'émission qu'elles réclament. La proposition inverse amène des résultats encore plus frappants: en violentant une idée douce, on arrive au ridicule et au monstrueux.

LA MULTIPLICITÉ DES SONS

      Est l'un des plus puissants principes d'émotion musicale. Les instruments ou les voix étant en grand nombre et occupant une large surface, la masse d'air mise en vibration devient énorme, et ses ondulations prennent alors un caractère dont elles sont ordinairement dépourvues. Tellement que, dans une église occupée par une foule de chanteurs, si un seul d'entre eux se fait entendre, quels que soient la force, la beauté de son organe et l'art qu'il mettra dans l'exécution d'un thème simple et lent, mais peu intéressant en soi, il ne produira qu'un effet médiocre; tandis que ce même thème repris, sans beaucoup d'art, à l'unisson, par toutes les voix, acquerra aussitôt une incroyable majesté.

      Des diverses parties constitutives de la musique que nous venons de signaler, presque toutes paraissent avoir été employées par les anciens. La connaissance de l'harmonie leur est seule généralement contestée. Un savant compositeur, notre contemporain, M. Lesueur, s'était, il y a quarante ans, posé l'intrépide antagoniste de cette opinion. Voici les motifs de ses adversaires:

      «L'harmonie n'était pas connue des anciens, disent-ils, différents passages de leurs historiens et une foule de documents en font foi. Ils n'employaient que l'unisson et l'octave. On sait en outre que l'harmonie est une invention qui ne remonte pas au delà du huitième siècle. La gamme et la constitution tonale des anciens n'étant pas les mêmes que les nôtres, inventées par l'Italien Guido d'Arezzo, mais bien semblables à celles du plain-chant, qui n'est lui-même qu'un reste de la musique grecque, il est évident, pour tout homme versé dans la science des accords, que cette sorte de chant, rebelle à l'accompagnement harmonique, ne comporte que l'unisson et l'octave.»

      On pourrait répondre à cela que l'invention de l'harmonie au moyen âge ce prouve point qu'elle ait été inconnue aux siècles antérieurs. Plusieurs des connaissances humaines ont été perdues et retrouvées; et l'une des plus importantes découvertes que l'Europe s'attribue, celle de la poudre à canon, avait été faite en Chine fort longtemps auparavant. Il n'est d'ailleurs rien moins que certain, au sujet des inventions de Guido d'Arezzo, qu'elles soient réellement les siennes, car lui-même dans ses écrits en cite plusieurs comme choses universellement admises avant lui. Quant à la difficulté d'adapter au plaint-chant notre harmonie, sans nier qu'elle ne s'unisse plus naturellement aux formes mélodiques modernes, le fait du chant ecclésiastique exécuté en contre-point à plusieurs parties, et de plus accompagné par les accords de l'orgue dans toutes les églises, y répond suffisamment. Voyons à présent sur quoi était basée l'opinion de M. Lesueur.

      «L'harmonie

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