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épouvanté.

      En ce moment même une trompette se fait entendre à quelque distance. C'est le signal pour baisser la herse et ouvrir la porte de la forteresse. On annonce l'arrivée du ministre; le gouverneur n'achèvera pas son œuvre de sang; il sort précipitamment du cachot: le prisonnier est sauvé. En effet, le ministre paraît, reconnaît, dans la victime de Pizarre, son ami Florestan; allégresse générale et confusion de la pauvre Marceline, qui, apprenant ainsi que Fidelio est une femme, revient à son Jacquino.

      On a cru devoir, au Théâtre-Lyrique, calquer sur les situations de cette pièce de M. Bouilly un drame nouveau, dont la scène se passe en 1495 à Milan, et dont les personnages principaux sont Ludovic Sforza, Jean Galeas, sa femme Isabelle d'Aragon et le roi de France Charles VIII. On a pu introduire ainsi au dénoûment un brillant tableau final et des costumes moins sombres que ceux de la pièce originale. Telle est la raison, fort insuffisante sans doute, qui a porté M. Carvalho, l'habile directeur de ce théâtre, au moment où Fidelio a été mis à l'étude, à désirer une telle substitution. On n'admet pas en France qu'on puisse purement et simplement traduire un opéra étranger. Ce travail a été fait, du reste, sans trop de préjudice pour la partition, dont tous les morceaux restent unis à des situations d'un caractère semblable à celui des scènes pour lesquelles ils furent écrits.

      Ce qui nuit à la musique de Fidelio auprès du public parisien, c'est la chasteté de sa mélodie, le mépris souverain de l'auteur pour l'effet sonore quand il n'est pas motivé, pour les terminaisons banales, pour les périodes prévues; c'est la sobriété opulente de son instrumentation, la hardiesse de son harmonie; c'est surtout, j'ose le dire, la profondeur même de son sentiment de l'expression. Il faut tout écouter dans cette musique complexe, il faut tout entendre pour pouvoir comprendre. Les parties de l'orchestre, les principales dans certains cas, les plus obscures dans d'autres, contiennent quelquefois l'accent expressif, le cri de passion, l'idée enfin que l'auteur n'a pas pu donner à la partie vocale. Ce qui ne veut point dire que cette partie ne soit pas restée prédominante, ainsi que le prétendent les éternels rabâcheurs du reproche adressé par Grétry à Mozart: «Il a mis le piédestal sur la scène et la statue dans l'orchestre,» reproche fait auparavant à Gluck, et plus tard à Weber, à Spontini, à Beethoven, et qui sera toujours fait à quiconque s'abstiendra d'écrire des platitudes pour la voix et donnera à l'orchestre un rôle intéressant, quelle que soit sa savante réserve. Il est vrai que les gens si prompts à blâmer chez les vrais maîtres la prétendue prédominance des instruments sur la voix ne font pas grand cas de cette réserve; et nous voyons tous les jours, depuis dix ans surtout, l'orchestre transformé en bande militaire, en atelier de forgeron, en boutique de chaudronnier, sans que la critique s'indigne, sans qu'elle fasse même à ces énormités la moindre attention. De sorte qu'à tout prendre, si l'orchestre est bruyant, violent, brutal, plat, révoltant, exterminateur des voix et de la mélodie, la critique ne dit rien; s'il est fin, délicat, intelligent, s'il attire parfois sur lui l'attention par sa vivacité, sa grâce ou son éloquence, et s'il reste néanmoins dans le rôle que les exigences dramatiques et musicales lui assignent, il est censuré. On pardonne aisément à l'orchestre de ne rien dire, ou, s'il parle, de ne dire que des sottises ou des grossièretés.

      Il y a seize morceaux dans la partition de Fidelio, sans compter les quatre ouvertures. Il y en avait davantage dans l'origine; quelques-uns ont été supprimés lors de la seconde mise en scène de cet ouvrage à Vienne, et de nombreuses coupures et modifications furent faites à la même époque dans les morceaux conservés. Un éditeur de Leipzig s'avisa (en 1855, je crois), de publier l'œuvre originale complète avec l'indication des coupures et des changements qui lui furent infligés. L'étude de cette partition curieuse donne l'idée des tortures que l'impatient Beethoven a dû subir en se soumettant à de tels remaniements, qu'il fit sans doute avec rage et en se comparant à l'esclave d'Alfieri:

      Servo, si, ma servo ognor fremente.

      En Allemagne, comme en Italie, comme en France, comme partout, dans les théâtres, tout le monde, sans exception, a plus d'esprit que l'auteur. L'auteur y est un ennemi public; et si un garçon machiniste assure que tel morceau de musique, de n'importe quel maître, est trop long, chacun s'empressera de donner raison au garçon machiniste contre Gluck, ou Weber, ou Mozart, ou Beethoven, ou Rossini. Voyez, à propos de Rossini, les insolentes suppressions faites dans son Guillaume Tell, avant et après la première représentation de ce chef-d'œuvre. Le théâtre, pour les poëtes et les musiciens, est une école d'humilité; les uns y reçoivent des leçons de gens qui ignorent la grammaire, les autres, de gens qui ne savent pas la gamme; et tous ces aristarques, en outre, prévenus contre ce qui porte une apparence de nouveauté ou de hardiesse, sont pleins d'un indomptable amour pour les prudentes banalités. Dans les théâtres lyriques surtout, chacun s'arroge le droit de pratiquer le précepte de Boileau:

      Ajoutez quelquefois et souvent effacez.

      Et on le pratique si bien et de si diverses manières, les correcteurs d'un théâtre voyant en noir ce que ceux d'un autre voient en blanc, que d'une partition qui aurait été, sans protecteur, traînée sur une cinquantaine de scènes, si l'on tenait compte du travail de tous les correcteurs, il resterait à peine dix pages intactes.

      Les seize morceaux du Fidelio de Beethoven ont presque tous une belle et noble physionomie. Mais ils sont beaux de diverses façons, et c'est précisément ce qui me paraît constituer leur mérite principal. Le premier duo entre Marceline et son fiancé se distingue des autres par son style familier, gai, d'une piquante simplicité; le caractère des deux personnages s'y décèle tout d'abord. L'air en ut mineur de la jeune fille semble se rapprocher par sa forme mélodique du style des meilleures pages de Mozart. L'orchestre cependant y est traité avec un soin plus minutieux que ne le fut jamais celui du l'illustre devancier de Beethoven.

      Un quatuor d'une mélodie exquise succède à ce joli morceau. Il est traité en canon à l'octave, chacune des voix entrant à son tour pour dire le thème, de manière à produire d'abord un solo accompagné par un petit orchestre de violoncelles, d'altos et de clarinettes, puis un duo, un trio et enfin un quatuor complet. Rossini écrivit une foule de choses ravissantes dans cette forme; tel est le canon de Moïse: Mi manca la voce. Mais le canon de Fidelio est un andante non suivi de l'allégro de rigueur, avec cabalette et coda bruyante. Et le public, tout charmé qu'il soit par ce gracieux amiante, reste surpris, demeure stupide de ne pas voir arriver son allegro final, sa cadence, son coup de fouet… Au fait, pourquoi ne pas lui donner de coup de fouet?..

      On peut comparer les couplets de Rocko sur la puissance de l'or, écrits par Gaveaux dans sa partition française, à ceux de la partition allemande de Beethoven. C'est peut-être de tous les morceaux de la Léonore de Gaveaux celui qui supporte le mieux une telle comparaison. La chanson de Beethoven charme par sa rondeur joviale, dont une modulation et un changement de mesure survenant brusquement dans le milieu altèrent un peu la vigoureuse simplicité; mais celle de Gaveaux, d'un style moins relevé, n'en est pas moins intéressante par sa franchise mélodique, l'excellente diction des paroles et une orchestration piquante.

      Au trio suivant, Beethoven commence à employer la grande forme, les vastes développements, l'instrumentation plus riche, plus agitée; on sent qu'on entre dans le drame; la passion se décèle par de lointains éclairs.

      Puis vient une marche dont la mélodie et les modulations sont des plus heureuses, bien que la couleur générale en paraisse triste, comme peut l'être du reste une marche de soldats gardiens d'une prison. Les deux premières notes du thème, frappées sourdement par les timbales et un pizzicato des basses, contribuent tout d'abord à l'assombrir. Ni cette marche ni le trio qui la précède n'ont de pendant dans l'opéra de Gaveaux. Il en est de même de beaucoup d'autres morceaux contenus dans la riche partition de Beethoven.

      L'air de Pizarre est de ce nombre. Il n'obtient pas à Paris un seul applaudissement; nous demandons néanmoins la permission de le traiter de chef-d'œuvre. Dans ce morceau terrible, la joie féroce d'un scélérat prêt à satisfaire sa vengeance est peinte avec la plus effrayante vérité. Beethoven dans son opéra a parfaitement observé le précepte de Gluck qui recommande de n'employer les instruments qu'en raison du degré d'intérêt

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