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notes de l'auteur. C'était l'ombre de Beethoven, évoquée par le virtuose, dont nous entendions la grande voix. Chacun de nous frissonnait en silence, et après le dernier accord on se tut encore… nous pleurions.

      Une assez notable partie du public français ignore pourtant l'existence de ces œuvres merveilleuses. Certes, le trio en si bémol tout entier, l'adagio de celui en et la sonate en la avec violoncelle ont dû prouver à ceux qui les connaissent que l'illustre compositeur était loin d'avoir versé dans l'orchestre tous les trésors de son génie. Mais son dernier mot n'est pas là; c'est dans les sonates pour piano seul qu'il faut le chercher. Le moment viendra bientôt peut-être où ces œuvres, qui laissent derrière elles ce qu'il y a de plus avancé dans l'art, pourront être comprises, sinon de la foule, au moins d'un public d'élite. C'est une expérience à tenter; si elle ne réussit pas, on la recommencera plus tard.

      Les grandes sonates de Beethoven serviront d'échelle métrique pour mesurer le développement de notre intelligence musicale.

      FIDELIO

      OPÉRA EN TROIS ACTES DE BEETHOVEN

SA REPRÉSENTATION AU THÉÂTRE LYRIQUE

      Le 1er ventôse de l'an VI, le théâtre de la rue Feydeau représenta pour la première fois LÉONORE, OU L'AMOUR CONJUGAL, fait historique en deux actes (tel était le titre de la pièce), paroles de M. Bouilly, musique de P. Gaveaux. L'œuvre parut médiocre malgré le talent que montrèrent, dans les deux rôles principaux, Gaveaux, l'auteur de la musique, et madame Scio, une grande actrice de ce temps.

      Plusieurs années après, Paër écrivit une partition gracieuse sur un libretto italien dont la Léonore de Bouilly était encore l'héroïne, et ce fut en sortant d'une représentation de cet ouvrage que Beethoven, avec la rudesse humoriste qui lui était habituelle, dit à Paër:

      – Votre opéra me plaît, j'ai envie de le mettre en musique.

      Telle fut l'origine du chef-d'œuvre dont nous avons à nous occuper aujourd'hui. La première apparition du Fidelio de Beethoven sur la scène allemande ne fit pas prévoir la célébrité réservée à cet ouvrage, et les représentations, dit-on, en furent bientôt suspendues. Quelque temps après il reparut, modifié de diverses façons dans la musique et dans le drame, et précédé d'une nouvelle ouverture. Cette seconde tentative eut un succès complet; Beethoven, rappelé à grands cris par l'auditoire, fut traîné sur la scène après le premier et après le second acte, dont le finale produisit un enthousiasme inconnu à Vienne jusque-là. La partition de Fidelio n'en dut pas moins subir mille critiques plus ou moins acerbes; et cependant, à partir de ce moment, on l'exécuta sur tous les théâtres d'Allemagne, où elle s'est maintenue jusqu'à présent, où elle fait partie du répertoire classique. Le même honneur lui arriva un peu plus tard sur les théâtres de Londres. En 1827, une troupe allemande étant venue donner des représentations à Paris, Fidelio, dont les deux rôles principaux étaient chantés avec un rare talent par Haitzinger et madame Schroeder-Devrient, fut accueilli avec enthousiasme. Il vient d'être mis en scène au Théâtre-Lyrique; quinze jours auparavant, il reparaissait à celui de Covent-Garden de Londres; on le joue en ce moment à New-York. Cherchez les théâtres où sont représentés à cette heure la Léonore de Gaveaux et la Leonora de Paër… Les érudits seuls connaissent l'existence de ces deux opéras. Ils ont passé… ils ne sont plus. C'est que, des trois partitions, la première est d'une faiblesse extrême, la seconde à peine une œuvre de talent, et la troisième une œuvre de génie.

      En effet, plus j'entends, plus je lis l'ouvrage de Beethoven, et plus je le trouve digne d'admiration. L'ensemble et les détails m'en paraissent également beaux; partout s'y décèlent l'énergie, la grandeur, l'originalité et un sentiment profond autant que vrai.

      Il appartient à cette forte race d'œuvres calomniées sur lesquelles s'accumulent les plus inconcevables préjugés, les mensonges les plus manifestes, mais dont la vitalité est si intense, que rien contre elles ne peut prévaloir. Comme ces hêtres vigoureux nés dans les rochers et parmi les ruines, qui finissent par fendre les rocs, trouer les murailles, et s'élever enfin fiers et verdoyants, d'autant plus solidement fixés au sol qu'ils ont eu plus d'obstacles à vaincre pour en sortir; tandis que des saules, qui poussèrent sans peine au bord d'une rivière, tombent dans la vase, où ils pourrissent oubliés.

      Beethoven a écrit quatre ouvertures pour son unique opéra. Après avoir terminé la première, il la recommença sans que l'on sache pourquoi; il en garda la disposition générale et tous les thèmes, mais en les enchaînant par d'autres modulations, en les instrumentant autrement, en y ajoutant un effet de crescendo et un solo de flûte. Ce solo n'est pas digne, à mon avis, du grand style de tout le reste de l'œuvre. L'auteur semble avoir préféré pourtant cette seconde version, car elle fut publiée la première. L'autre, dont le manuscrit était resté entre les mains d'un ami de Beethoven, M. Schindler, parut, il y a dix ans seulement, chez l'éditeur français Richaut. J'ai eu l'honneur d'en diriger l'exécution une vingtaine de fois au théâtre de Drury-Lane à Londres et dans quelques concerts à Paris; l'effet en est grandiose et entraînant. La seconde version pourtant a conservé la popularité qui lui était acquise sous le nom d'ouverture d'Eléonore; elle la gardera probablement.

      Cette superbe ouverture, la plus belle peut-être de Beethoven, partagea le sort de plusieurs morceaux de l'opéra, et fut supprimée après les premières représentations. Une autre (en ut majeur, comme les deux précédentes), d'un caractère doux et charmant, mais dont la conclusion ne parut pas propre à exciter les applaudissements, ne fut pas plus heureuse. Enfin l'auteur écrivit, pour la reprise de son opéra modifié, l'ouverture en mi majeur, connue sous le nom d'ouverture de Fidelio, qu'on adopta définitivement de préférence aux trois précédentes. C'est une page magistrale, d'une verve et d'un éclat incomparables, un vrai chef-d'œuvre symphonique, mais qui ne se rattache, ni par son caractère ni par les thèmes qu'il contient, à l'opéra auquel on le fait servir de préface. Les autres ouvertures, au contraire, sont en quelque sorte l'opéra de Fidelio en raccourci. On y trouve, avec les accents tendres d'Éléonore, les lamentables plaintes du prisonnier mourant de faim, les délicieuses mélodies du trio du dernier acte, la fanfare lointaine de la trompette annonçant l'arrivée du ministre qui doit délivrer Florestan; tout y est palpitant d'intérêt dramatique, et ce sont bien des ouvertures de Fidelio.

      Les principaux théâtres d'Allemagne et d'Angleterre s'étant aperçus, après trente ou quarante ans, que la deuxième grande ouverture d'Éléonore (la première publiée) était une œuvre magnifique, l'exécutent maintenant comme un entr'acte avant le second acte de l'opéra, tout en conservant l'ouverture en mi pour le premier. Il est fâcheux que le Théâtre-Lyrique n'ait pas cru devoir suivre cet exemple. Nous voudrions même que le Conservatoire tentât ce que fit un jour Mendelssohn à l'un des concerts du Gewanthaus à Leipzig, et qu'il nous donnât, dans une de ses séances, les quatre ouvertures de l'opéra de Beethoven.

      Mais ceci paraîtrait peut-être à Paris une tentative par trop audacieuse (pourquoi?), et l'audace, on le sait, n'est pas le défaut de nos institutions musicales.

      Le sujet de Fidelio (car il faut dire quelques mots de la pièce) est triste et mélodramatique. Il n'a pas peu contribué à faire naître les préventions que nourrissait le public français contre cet opéra. Il s'agit d'un prisonnier d'état que le gouverneur d'une forteresse veut faire mourir de faim dans son cachot. Sa femme Éléonore, déguisée en jeune garçon, s'est fait agréer de Rocko le geôlier, comme domestique, sous le nom de Fidelio. Marceline, fille de Rocko et fiancée du guichetier Jacquino, bientôt séduite par la bonne mine de Fidelio, ne tarde pas à délaisser pour lui son vulgaire amoureux. Pizarre, le gouverneur, impatient de voir mourir sa victime et trouvant que la faim n'agit pas assez vite, se résout à venir lui-même l'égorger sur son grabat. Ordre est donné à Rocko de creuser dans un coin du cachot une fosse où le prisonnier sera jeté dans quelques heures.

      Fidelio est choisi par Rocko pour l'aider dans ce lugubre office. Angoisses de la pauvre femme en se trouvant ainsi auprès de son mari qu'elle voit prêt à succomber et dont elle n'ose s'approcher. Bientôt le cruel Pizarre se présente; le

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