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de son désespoir! Oui, princesse, répondit le roi avec embarras; je sais qu'en perdant le prince Amalafroy, Bazin perd un fils adoré, la Thuringe un héros, vous, belle princesse, un époux, un amant aimé… Bazine baissa les yeux, et ne répondit point; après un moment de silence, elle se leva: Je vais me retirer, dit-elle au roi, je crains le retour de Bazin. Nous nous reverrons, prince, et j'espère que vous ne me refuserez point le récit de vos aventures, et de ces faits extraordinaires qui ont marqué même votre enfance. Permettez-moi de vous présenter ma chère Eusèbe, et Berthilie, ma meilleure et plus tendre amie; elle est fille du vertueux Théobard, chef du conseil; nous fûmes élevées ensemble, nos cœurs s'entendirent en naissant. Childéric, à son tour, présenta aux dames l'aimable Eginard. Bazine se retira avec celles qui l'avoient accompagnée; Childéric n'osa les suivre, mais fixé près de la fenêtre, il vit la princesse traverser les jardins; il admiroit sa légèreté, les grâces de sa taille, tous ses mouvemens; il cessa de la voir, mais non de l'admirer. Eginard, non moins charmé, interrogeoit la trace des pas de Bazine et de Berthilie; il se perdoit, comme son maître, dans un double enchantement. Berthilie, ainsi que la princesse, n'a vu encore paroître que son seizième printems; elle n'a point, comme son amie, des traits réguliers, un teint d'albâtre, des cheveux blonds, fins et déliés; son front n'a point cette sérénité virginale, ses yeux cette mélancolie voluptueuse; mais ses cheveux bruns clairs, et naturellement bouclés, conviennent à la fraîcheur de son teint; sa physionomie est expressive, une gaieté innocente l'anime, sa bouche vermeille sourit avec bonté, et quelquefois avec malice; sa taille est celle des Grâces, son caractère vrai, constant, son ame innocente et sensible, son esprit fin; elle est vive, étourdie, sait qu'elle est jolie, aime à l'entendre dire, adore son père, et mourroit pour son amie. Ces deux charmantes fleurs, nées au même printems, et près l'une de l'autre, se sont épanouies en s'aimant, et si l'attachement de Berthilie a plus de respect et de déférence, Bazine la dédommage en se livrant à tout ce qu'elle sent d'amitié, et répare ainsi ce que le rang met entre elles de distance.

      Childéric et Eginard furent arrachés à leur douce rêverie par le bruit du retour de Bazin, entouré de sa cour. On désapprouvoit l'injuste vengeance du roi, on détestoit sa fureur; cependant on avoit exécuté ses ordres sans résistance, on l'avoit suivi en foule au lieu du supplice, on applaudissoit tout haut à des cruautés dont on frémissoit au fond du cœur. Tel est le sort des rois; le cri de la vérité est étouffé pour eux, à travers les clameurs de la flatterie; trompés, ils s'abandonnent; trahis, ils s'égarent. Bazin, fier du sang qu'il a fait couler, admire sa puissance et les effets terribles de son courroux; il s'approche de Childéric, lui parle d'Amalafroi, de sa mort prématurée, des funérailles qu'il vient d'ordonner, d'exécuter même. Sa douleur, appaisée sans doute par sa vengeance, ne l'arrache point à l'entretien général, ni aux soins qu'il doit aux étrangers. Un festin s'apprête; Childéric et Eginard y ont pris place; la coupe vole toujours remplie de nouveau, et le vin animant les esprits, chacun se livre sans réflexion à sa pensée. Mais bientôt on ne parle plus que du supplice des Vandales; leur nom, leur rang, leur âge, leur courage ou leur foiblesse, leurs cris, leurs larmes, ou leur force et leur étonnante fermeté, occupent tous les convives. Le roi de Thuringe, charmé, se mêloit à ce barbare récit. Théobard seul, silencieux et triste, jetoit sur tous un regard froid ou mécontent. Childéric l'observoit, et conçut pour lui autant d'estime que d'intérêt: Eginard, placé près de lui, sut d'abord qu'il étoit le père de Berthilie; c'étoit un titre à ses égards. Ce n'est pas qu'Eginard ait oublié les adieux de la tendre Grislidis, il s'en souvenoit, et se promettoit d'y penser toujours. Childéric, qui ne prenoit aucune part à une conversation si peu d'accord avec son cœur, vit avec plaisir la fin du repas. On alloit quitter la table, lorsque plusieurs Bardes entrèrent, ils étoient couronnés de cyprès; un d'eux tenoit une harpe, trois autres chantèrent ainsi la mort du jeune Amalafroi.

CHANT FUNEBRE

      sur la mort d'Amalafroi.

      Il n'est plus! chantons sa valeur,

      Célébrons ses vertus, sa gloire;

      Mais n'outrageons pas sa mémoire

      Par une éternelle douleur.

      Disons-nous: son ame sublime

      Vole vers la divinité,

      Et laissons le vice et le crime

      Douter de l'immortalité.

      Avant de t'élever aux cieux,

      Esus t'éprouva sur la terre;

      De cette épreuve passagère,

      Dépendoit ton sort glorieux.

      Mais où finit ce joug pénible,

      Commence un destin solennel:

      Du fond de la tombe insensible

      Tu sors pour un jour éternel.

FIN DU LIVRE DOUZIÈME

      CHILDÉRIC.

      LIVRE TREIZIÈME

SOMMAIRE DU LIVRE TREIZIÈME

      Childéric ne se croit point amoureux. Eginard se promet de rester fidèle. Le roi raconte une partie de ses aventures à la princesse. A la chasse, il sauve la vie au roi de Thuringe. Il reprend son récit; la princesse, trop émue, l'interrompt. Ils se rencontrent par hasard dans une promenade, et Childéric achève sa narration. Emotion mutuelle, aveux muets. Coquetterie de Berthilie et d'Eginard. Inquiétude qu'éprouve Berthilie.

      LIVRE TREIZIÈME

      Childéric, conduit à l'appartement qui lui est destiné, se trouve seul avec Eginard; tous deux ont déjà nommé Bazine; tous deux ont plus parlé encore de ses vertus que de ses charmes. Combien elle étoit touchante aux pieds du roi, et implorant sa clémence! qu'elle étoit belle, les yeux baignés de pleurs! Que la mélancolie sied bien à ses traits divins! qu'Amalafroi étoit heureux! Cette pensée arrache au prince un soupir; mais c'est Bazine qu'il plaint: déjà elle a connu l'amour, elle en a senti les charmes, pour en éprouver les éternelles douleurs. Cependant elle n'a point laissé voir ni regret violent, ni désespoir inconsolable. Childéric espère que la belle princesse n'est pas pour toujours affligée. A seize ans, doit-elle, dans un éternel veuvage, ensevelir ses attraits et fermer son cœur à l'amour? Mais Bazine peut-elle être inconstante? Childéric ne le croit pas, et ne veut pas le croire.

      L'heure du sommeil n'interrompt point ses pensées; le jeune roi, cependant, n'a vu qu'une fois celle qui l'occupe; il n'a point formé le désir de lui plaire, il est aussi loin du projet de l'aimer; l'amour brûle, souhaite, espère, et Childéric n'éprouve point ces mouvemens impétueux; son imagination est calme, il n'est point livré à cet orage des sens qui l'agitoit près d'Egésippe; il a vu la bonté céleste, il adore sa belle image, mais sans trouble, sans émotion, sans délire: le prince est sans désirs comme sans espérance. Le lendemain, Childéric reçut les chefs de l'état; mais ayant demandé l'honneur d'être admis chez la princesse, Bazin y consentit et l'accompagna lui-même. Bazine reçut les rois avec les grâces nobles qui suivoient tous ses mouvemens, et Childéric ne sut, en y réfléchissant, ce qui la rendoit plus belle de son sourire ou de ses larmes. Le roi, en se retirant, lui dit qu'il espéroit qu'à l'avenir elle reparoîtroit à sa cour; la princesse s'inclina avec respect; les rois la quittèrent. Pour obéir sans doute aux ordres qu'elle avoit reçus, elle parut le lendemain au palais du roi, et la charmante Berthilie entra avec elle; toutes les dames qui composoient la cour de Thuringe, s'étoient également réunies autour de la princesse, et se mêlèrent aux amusemens qui d'ordinaire occupoient Bazin et ceux qui l'environnoient. Le jeune roi de France attira d'abord tous les regards; mais il promenoit, sur toutes ces jeunes et belles nymphes, des yeux si indifférens, qu'aucune n'osa espérer. Eginard, dont le rang plus modeste, semble aussi plus près du plaisir; Eginard, galant et léger, tourne toutes les têtes et blesse même plus d'un cœur. On l'invite en vain à l'inconstance, Eginard ne veut aimer que Grislidis; cependant il ne renonce point à plaire, il ne renonce point à cette aimable coquetterie qui flatte sa vanité, amuse sa pensée, distrait son cœur; il veut respirer toutes ces fleurs qu'il s'interdit de cueillir. Pour échapper à tant d'attraits, il les désire tous: aimable, mais frivole, léger sans perfidie, et volage par fidélité,

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