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un grain de plomb, lésions mortelles cependant, ne se révéler qu'après douze ou quinze heures.

      Il eût continué longtemps, s'il n'eûtété brusquement interrompu:

      – Monsieur le docteur, prononça le juge d'instruction, c'est parce qu'un crime aété commis que je suis ici. Il faut que le coupable soit retrouvé et puni. Et c'est au nom de la justice que, dès ce moment, je requiers le concours de vos lumières.

      3. Par cette seule phrase, M. Galpin-Daveline s'emparait despotiquement de la situation et reléguait au second plan le docteur Seignebos…

      Par cette seule phrase, M. Galpin-Daveline s'emparait despotiquement de la situation et reléguait au second plan le docteur Seignebos, M. Séneschal et le procureur de la République lui-même. Rien plus n'existait qu'un crime dont l'auteurétait à découvrir, et un juge: lui.

      Mais il avait beau exagérer sa raideur habituelle et ce dédain des sentiments humains qui a fait à la justice plus d'ennemis que ses plus cruelles erreurs, tout en lui tressaillait d'une satisfaction contenue, tout, jusqu'aux poils de sa barbe, taillée comme les buis de Versailles.

      – Donc, monsieur le médecin, reprit-il, voyez-vous quelque inconvénient à ce que j'interroge le blessé?

      – Mieux vaudrait certainement le laisser en repos, gronda le docteur Seignebos, je viens de le martyriser pendant une heure, je vais dans un moment recommencer à extraire les grains de plomb dont ses chairs sont criblées. Cependant, si vous y tenez…

      – J'y tiens…

      – Eh bien! dépêchez-vous, car la fièvre ne va pas tarder à le prendre.

      M. Daubigeon ne cachait guère son mécontentement.

      – Daveline! faisait-ilà demi-voix, Daveline!

      L'autre n'y prenait garde. Ayant tiré de sa poche un calepin et un crayon, il s'approcha du lit de M. de Claudieuse, et toujours du même ton:

      – Vous sentez-vous enétat, monsieur le comte, demanda-t-il, de répondre à mes questions?

      – Oh! parfaitement.

      – Alors, veuillez me dire ce que vous savez des funestesévénements de cette nuit.

      Aidé de sa femme et du docteur Seignebos, le comte de Claudieuse se haussa sur ses oreillers.

      – Ce que je sais, commença-t-il, n'aidera guère, malheureusement, les investigations de la justice… Il pouvaitêtre onze heures, car je ne saurais même préciser l'heure, j'étais couché, et depuis un bon moment j'avais soufflé ma bougie, lorsqu'une lueur très vive frappa mes vitres. Je m'enétonnai, mais très confusément, car j'étais dans cetétat d'engourdissement qui, sansêtre le sommeil, n'est déjà plus la veille. Je me dis bien: «Qu'est-ce que cela?», mais je ne me levai pas. C'est un grand bruit, comme le fracas d'un mur qui s'écroule, qui me rendit au sentiment de la réalité. Oh! alors, je bondis hors de mon lit, en me disant: «C'est le feu!…»Ce qui redoublait mon inquiétude, c'est que je me rappelais qu'il y avait, dans ma cour et autour des bâtiments, seize mille fagots de la coupe de l'an dernier… À demi vêtu, je m'élançai dans les escaliers. J'étais fort troublé, je l'avoue, à ce point que j'eus toutes les peines du monde à ouvrir la porte extérieure. J'y parvins cependant. Mais à peine mettais-je le pied sur le seuil que je ressentis au côté droit, un peu au-dessus de la hanche, une affreuse douleur et que j'entendis tout près de moi une détonation…

      D'un geste, le juge d'instruction interrompit.

      – Votre récit, monsieur le comte, dit-il, est certes d'une remarquable netteté. Cependant, il est un détail qu'il importe de préciser. C'est bien au moment juste où vous paraissiez qu'on a tiré sur vous?

      – Oui, monsieur.

      – Donc l'assassinétait tout près, à l'affût. Il savait que, fatalement, l'incendie vous attirerait dehors et il attendait…

      – Telle aété, telle est encore mon impression, déclara le comte.

      M. Galpin-Daveline se retourna vers M. Daubigeon.

      – Donc, lui dit-il, l'assassinat est le fait principal que doit retenir la prévention; l'incendie n'est qu'une circonstance aggravante, le moyen imaginé par le coupable pour arriver plus sûrement à la perpétration du crime… (Après quoi, revenant au comte): Poursuivez, monsieur, dit le juge d'instruction.

      – Me sentant blessé, continua M. de Claudieuse, mon premier mouvement, mouvement tout instinctif, d'ailleurs, fut de me précipiter vers l'endroit d'où m'avait paru venir le coup de fusil. Je n'avais pas fait trois pas que je me sentis atteint de nouveau à l'épaule et au cou. Cette seconde blessureétait plus grave que la première, car le cœur me faillit, la tête me tourna, et je tombai…

      – Vous n'aviez pas même entrevu le meurtrier?

      – Pardonnez-moi. Au moment où je tombais, il m'a semblé voir… j'ai vu un homme s'élancer de derrière une pile de fagots, traverser la cour et disparaître dans la campagne.

      – Le reconnaîtriez-vous?

      – Non.

      – Mais vous avez vu comment ilétait vêtu, vous pouvez me donner à peu près son signalement?

      – Non plus. J'avais comme un nuage devant les yeux, et il a passé comme une ombre.

      Le juge d'instruction dissimula mal un mouvement de dépit.

      – N'importe, fit-il, nous le retrouverons… Mais continuez, monsieur.

      Le comte hocha la tête.

      – Je n'ai plus rien à vous apprendre, monsieur, répondit-il. J'étaisévanoui, et ce n'est que quelques heures plus tard que j'ai repris connaissance, ici, sur ce lit.

      Avec un soin extrême, M. Galpin-Daveline notait les réponses du comte. Lorsqu'il eut terminé:

      – Nous reviendrons, reprit-il, et minutieusement, sur les circonstances du meurtre. Pour le moment, monsieur le comte, il importe de savoir ce qui s'est passé après votre chute. Qui pourrait me l'apprendre?

      – Ma femme, monsieur.

      – Je le pensais. Madame la comtesse a dû se lever en même temps que vous?

      – Ma femme n'était pas couchée, monsieur.

      Vivement le juge se retourna vers la comtesse, et il lui suffit d'un coup d'œil pour reconnaître que le costume de la comtesse n'était pas celui d'une femmeéveillée en sursaut par l'incendie de sa maison.

      – En effet, murmura-t-il.

      – Berthe, poursuivit le comte, la plus jeune de nos filles, celle qui est là sur ce lit, enveloppée d'une couverture, est atteinte de la rougeole et sérieusement souffrante. Ma femmeétait restée près d'elle. Malheureusement, les fenêtres de nos filles donnent sur le jardin, du côté opposé à celui où le feu aété mis…

      – Comment donc madame la comtesse a-t-elleété avertie du désastre? demanda le juge d'instruction.

      Sans attendre une question plus directe, Mme de Claudieuse s'avança.

      – Ainsi que mon mari vient de vous le dire, monsieur, répondit-elle, j'avais tenu à veiller ma petite Berthe. Ayant déjà passé près d'elle la nuit précédente, j'étais un peu lasse, et j'avais fini par m'assoupir, lorsque je fus réveillée par une détonation… à ce qui m'a semblé. Je me demandais si ce n'était pas une illusion, quand un second coup retentit presque immédiatement. Plusétonnée qu'inquiète, je quittai la chambre de mes filles. Ah! monsieur, telleétait déjà la violence de l'incendie qu'il faisait clair, dans l'escalier, comme en plein jour. Je descendis en courant. La porte extérieureétait ouverte, je sortis… À cinq ou six pas, à la lueur des flammes, j'aperçus le corps de mon mari. Je me jetai sur lui, il ne m'entendait plus, son cœur avait cessé de battre, je le crus mort, j'appelai au secours d'une voix désespérée…

      M. Séneschal et M. Daubigeon frémissaient.

      – Bien! approuva d'un

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