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le soir de l'incendie. Le Galpin a manié ce fusil et a ensuite demandé quand monsieur avait feu avec pour la dernière fois. Monsieur a répondu qu'il y avait cinq jours… Vous m'entendez, je dis: cinq jours. Et là-dessus, mon Galpin a remis le fusilà sa place, sans examiner les canons.

      – Eh bien? fit maître Folgat.

      – Eh bien! monsieur, moi, Antoine, j'avais, l'avant-veille – je dis bien l'avant-veille – lavé et nettoyé à fond le Klebb de monsieur…

      – Sarpejeu! s'écria M, de Chandoré, comment n'avez-vous pas dit cela plus tôt, Antoine… Si les canons sont propres, c'est la preuve irrécusable que Jacques est innocent!

      Le vieux serviteur branla la tête.

      – C'est vrai, dit-il, seulement… les canons sont-ils propres?

      – Oh!

      – Monsieur peut s'être trompé quant à la date de son dernier coup de fusil, et alors les canons seraient encrassés, et au lieu de le sauver, ma déclaration le perdrait définitivement. Avant de parler, il fautêtre sûr.

      – Oui, approuva maître Folgat, et vous avez bien fait de vous taire, mon brave, et je ne saurais trop vous adjurer de ne parler à personne au monde de cette circonstance, qui peut devenir pour la défense un argument décisif.

      – Oh! je saurai tenir ma langue, monsieur; seulement vous devez comprendre ce que je me suis fait de mauvais sang, devant ces maudits scellés qui m'empêchaient d'aller m'assurer de l'état du fusil… Oh! si j'avais osé les briser!…

      – Malheureux!

      – J'en ai eu l'idée, mais je me suis retenu. Seulement j'ai songé, après, que cette pensée pouvait venir à d'autres. Les scélérats qui ont organisé ce complot abominable contre monsieur Jacques sont capables de tout, n'est-ce pas? Pourquoi ne seraient-ils pas venus, de nuit, briser les scellés… J'ai mis le métayer de garde dans le jardin, sous les fenêtres; j'ai placé son fils de faction dans la cour, et moi je suis resté en sentinelle devant les scellés, avec des armes sous la main… Les brigands pouvaient venir ils auraient trouvé à qui parler!

      On a beau dire, les avocats valent mieux que leur réputation. Il est des grâces d'état. Le premier qui versera une larme à la représentation d'un drame bien noir sera toujours dramaturge, un homme du métier qui connaît toutes les ficelles et pour qui les coulisses n'ont plus de secrets. L'avocat, tant accusé de scepticisme, est par excellence crédule et naïf. C'est sincèrement qu'il se passionne, et, quand on pense qu'il joue la comédie, il est de bonne foi. Les trois quarts du temps est gagnée dans son esprit la cause détestable qu'il plaide et qu'il perd devant les juges.

      D'heure en heure, depuis son arrivée à Sauveterre, maître Folgat s'était pénétré de l'innocence de Jacques de Boiscoran, et le récit du vieil Antoine n'était pas fait pourébranler ses convictions. Non qu'il admît l'existence d'un complot. Mais il n'était paséloigné de croire à l'audacieux calcul de quelque scélérat, profitant de circonstances connues de lui seul pour faire retomber le châtiment de son crime sur M. de Boiscoran.

      Mais il avait bien d'autres explications à demander, et ilétait difficile de les obtenir d'Antoine, dans l'état de fiévreuse exaltation où il se trouvait. Car interroger un homme, si disposé qu'il soit à parler, n'est pas facile. Et si l'on n'apporte pas à cette tâche un grand sang-froid, beaucoup de soin et une méthode imperturbable, on risque fort de passer à côté du fait le plus important à recueillir.

      Donc, après un moment:

      – Mon brave Antoine, reprit maître Folgat, je ne saurais trop louer votre conduite en toute cette affaire. Nous sommes loin d'en avoir fini… Seulement, comme je n'ai rien pris depuis hier à Paris, et que j'entends sonner midi…

      M. de Chandoré se frappa le front.

      – Ah! vieil oublieux que je suis! interrompit-il. Comment ne vous ai-je rien offert!… Pourtant, vous m'excuserez, n'est-ce pas, je suis si bouleversé!… Antoine, qu'avez-vous à nous servir?

      – La métayère a desœufs, du confit d'oie, du jambon…

      – Ce qui sera le plus vite prêt sera le meilleur, dit le jeune avocat.

      – Avant vingt minutes ces messieurs seront à table! s'écria le digne serviteur.

      Et il s'élança dehors, pendant que M. de Chandoré faisait entrer maître Folgat dans le salon.

      Le pauvre grand-père faisait appelà toute sonénergie pour garder une contenance assurée.

      – Cette circonstance du fusil, dit-il, c'est le salut, n'est-ce pas?

      – Peut-être, répondit le jeune avocat.

      Et ils gardèrent le silence: le grand-père songeant à la douleur de sa petite-fille et maudissant le jour où, en ouvrant sa maison à Jacques, il l'avait ouverte à tant et de si cruelles angoisses; l'avocat classant dans son esprit les faits qu'il avait recueillis et préparant les questions qu'il voulait poser encore.

      Ilsétaient, l'un et l'autre, si profondément enfoncés dans leurs réflexions qu'ils tressautèrent quand Antoine reparut disant:

      – Ces messieurs sont servis!

      La table avaitété dressée dans la salle à manger, et les deux convives y ayant pris place, l'honnête domestique se plantait debout, près d'eux, la serviette au bras, quand M. de Chandoré l'interpellant:

      – Mettez un troisième couvert, Antoine, dit-il, et déjeunez avec nous.

      – Oh! monsieur, protesta le brave homme, monsieur le baron…

      – Asseyez-vous, insista M. de Chandoré, manger après nous vous ferait perdre du temps, et un serviteur tel que vous fait partie de la famille.

      Antoine obéit, confus, mais rouge de plaisir de l'honneur qui luiétait fait, car ce n'est pas par excès de familiarité que péchait le baron de Chandoré.

      Et le jambon et lesœufs de la métayère expédiés:

      – Maintenant, reprit maître Folgat, revenons à notre affaire, et vous, mon cher Antoine, du calme, et rappelez-vous que si nous n'obtenons pas une ordonnance de non-lieu, vos réponses seront leséléments de ma défense! Quellesétaient, ici, les habitudes de monsieur de Boiscoran?

      – Ici, monsieur, il n'en avait pour ainsi dire pas. Nous venions si rarement et pour si peu de temps…

      – N'importe, quelétait son genre de vie?

      – Il se levait tard, il se promenait beaucoup, il chassait quelquefois, il dessinait, il lisait… car monsieur est un grand liseur, et qui aime les livres autant que monsieur le marquis, son père, aime la porcelaine.

      – Qui recevait-il?

      – Monsieur Galpin-Daveline, le plus souvent; le docteur Seignebos, le curé de Bréchy, monsieur Séneschal, monsieur Daubigeon…

      – Comment passait-il ses soirées?

      – Chez monsieur le baron de Chandoré, qui est ici pour le dire.

      – Il n'avait pas d'autres relations dans le pays?

      – Non.

      – Vous ne lui connaissez pas quelque… bonne amie?

      Antoine eut un geste pudibond.

      – Oh! monsieur, prononça-t-il, monsieur, ne savez-vous donc pas que monsieur est le fiancé de mademoiselle Denise!

      Le baron de Chandoré n'était pas né d'hier, ainsi qu'il se plaisait à le dire. Si puissamment intéressé qu'il fût, il se leva.

      – J'ai besoin de prendre l'air, fit-il.

      Et il sortit, comprenant que sa qualité de grand-père de Denise pouvait arrêter la vérité sur les lèvres d'Antoine.

      Voilà un homme d'esprit, pensa maître Folgat.

      Et tout haut:

      – Puisque nous voilà seuls, mon brave Antoine, reprit-il, parlons nettement.

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