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fut alors, monseigneur, que vous me donnâtes ce beau diamant…

      – C’était vous ?…

      –… en me disant qu’il me servirait à me faire reconnaître de vous partout où vous seriez, dès que j’aurais besoin d’aide et de protection…

      – Jeune homme ! Touchez là… Mon aide et ma protection vous sont acquises… Dès cette heure vous êtes à mon service et malheur à qui oserait seulement vous vouloir du mal !…

      Un regard circulaire jeté autour de lui appuya ces paroles. Toute l’escorte, jusqu’à Astorre, dont le bras était bandé, jusqu’à dom Garconio, s’inclina devant le jeune Français qui, d’une façon aussi imprévue, venait de conquérir la faveur de César Borgia.

      – En route, messieurs, commanda celui-ci. Nous retournons à Rome. Quant à vous, jeune homme, je vous attends ce soir, à minuit… Minuit, ajouta-t-il avec un singulier sourire, c’est mon heure, à moi !…

      – Où vous trouverai-je, monseigneur ?

      – Au palais de ma sœur Lucrèce… Au Palais-Riant… Tout le monde, à Rome, vous l’indiquera.

      – Au Palais-Riant !… À minuit !… On y sera !…

      Le chevalier de Ragastens s’inclina.

      Quand il se redressa, il vit la troupe des seigneurs qui s’éloignait dans un nuage de poussière. Mais, si vite que s’éloignât cette troupe, le chevalier n’en distingua pas moins deux regards de haine mortelle qui lui furent jetés à la dérobée : l’un par le baron Astorre, l’autre par le moine Garconio.

      Ragastens haussa les épaules. Il acheva tranquillement son modeste déjeuner et, ayant payé son écot, se remit en selle.

      III. LE PALAIS-RIANT

      Il était environ quatre heures de l’après-midi, lorsque le chevalier de Ragastens pénétra dans la Ville Éternelle. Il avait fait au pas le reste de la route, tant pour donner du repos au brave Capitan qu’il aimait comme un bon et fidèle compagnon, que pour se livrer à l’aise à ses méditations…

      Enfant du pavé parisien, le chevalier de Ragastens avait jusqu’à cette époque vécu un peu au hasard. Il n’avait connu ni son père, ni sa mère.

      En effet, celle-ci était morte en lui donnant le jour. Et quant à son père, pauvre gentilhomme gascon, venu à Paris pour tâcher de faire fortune, il avait succombé à la misère, alors que le petit chevalier tétait encore le sein d’une nourrice.

      Cette nourrice, marchande de hardes sous un auvent placé à l’encoignure de la rue Saint-Antoine, presque en face la grande porte de la Bastille, s’était attachée au petit orphelin. Elle s’était mis en tête d’en faire son successeur dans son négoce de friperies.

      Or, étant devenue veuve, elle prit un amant pour remplacer le digne homme que l’on venait de porter en terre. Le petit cheva-lier avait alors sept ans.

      L’amant de la fripière était un clerc. Vrai savant qui lisait, écrivait, et même calculait. Toute la science du clerc passa de son cerveau à celui de l’enfant.

      À quatorze ans, celui-ci en savait presque autant qu’un abbé. La digne fripière rêvait déjà pour lui de flamboyantes destinées, lorsqu’une épidémie de petite vérole l’emporta.

      Le jeune chevalier suivit en pleurant, jusqu’au cimetière, le corps de celle qui lui avait servi de mère. Puis il revint, s’ébroua, sécha ses larmes et dans la boutique de la défunte, choisit un équipement complet dont le principal ornement était une im-mense rapière qui traînait sur le pavé dès qu’il cessait d’appuyer sur la poignée.

      Vers l’âge de dix-huit ans, c’était un fieffé spadassin, redouté dans les cabarets et tavernes, grand coureur de filles, grand vi-deur de brocs de Suresnes, un peu dépenaillé, friand de la lame, l’épée toujours à moitié hors du fourreau, courant la prétentaine, rossant le bourgeois et battant le guet : enfin, un vrai gibier de potence.

      Le chevalier était surtout une nature aventureuse. Généreux, il partageait ce qu’il avait – quand il avait ! – avec de plus pauvres que lui. Il défendait les faibles avec sa bonne rapière. Il n’eût pas commis une mauvaise action. Mais, sans ressources, n’ayant pour guide que son robuste appétit d’aventures, jeté d’ailleurs dans un milieu d’une morale infiniment élastique, il vi-vait comme il pouvait, prenait son bien où il le trouvait…

      Un beau jour, celui qu’on appelait le chevalier La Rapière et qui, entre la Bastille et le Louvre, était devenu ce qu’on appelait une « Terreur », disparut soudain.

      Nous le retrouvons assagi. Les bonnes qualités l’ont emporté sur les mauvaises. Le chevalier de Ragastens a jeté sa gourme et, à bon droit, il peut alors se considérer comme un parfait gentil-homme.

      Au moment où le cavalier franchit la porte de Rome, il con-clut, en secouant la tête comme pour laisser derrière lui un passé qui était bien mort :

      – Me voici avec deux ennemis sur les bras : le signor Astorre et le moine Garconio. J’ai menacé l’un et malmené l’autre. Oui, mais j’ai un protecteur puissant…

      Et le chevalier jeta autour de lui un regard conquérant. Pourtant, dans cet avenir rose et or qu’il entrevoyait, un point noir obscurcissait son horizon. Bien qu’il s’en défendît, il pensait à cette mystérieuse inconnue au nom si doux, au visage plus doux encore, et ce fut avec un profond soupir, qu’il répéta :

      – Primevère !… La reverrai-je jamais ?… Qui est-elle ?… Pourquoi cet horrible moine la poursuivait-il ?…

      Cependant, ayant tout à coup levé la tête, il s’aperçut que des gens le regardaient avec curiosité. Il jeta les yeux autour de lui et vit qu’il se trouvait sur un pont.

      – Quel est ce pont ? demanda-t-il à un gamin en lui jetant une menue pièce de monnaie.

      – Excellence, c’est le pont des Quatre-Têtes…

      – Et le Palais-Riant, le connais-tu ?

      – Le palais de la signora Lucrézia ! s’exclama l’enfant, avec une évidente terreur.

      – Oui, sais-tu où il est ?

      – Là ! fit le gamin en étendant le bras.

      Puis, il s’enfuit comme s’il eût eu à ses trousses une armée des diables d’enfer. Le chevalier se dirigea dans la direction qui venait de lui être désignée, réfléchissant à cette étrange frayeur qu’avait manifestée l’enfant.

      Une fois encore, il demanda son chemin à un homme. Et l’homme, au nom du Palais-Riant, le regarda tout à coup d’un air sombre, puis passa son chemin en grommelant une malédiction.

      – Étrange ! murmura le chevalier.

      Il arriva enfin sur une place déserte. Au fond de cette place se dressait une somptueuse demeure. Une double rangée de co-lonnes en marbre rose, que doraient les rayons du soleil à son dé-clin, formaient une sorte de galerie couverte qui s’étendait en avant du palais.

      Au fond de cette galerie, par une large baie ouverte, on aper-cevait un escalier monumental, également en marbre… Quant à la façade du palais, elle était décorée de motifs d’ornements, pré-cieux travaux de sculpture antique pris, raflés au hasard des trouvailles parmi les trésors de l’ancienne Rome.

      Le chevalier se dit que ce devait être là le Palais-Riant qui, à coup sûr, méritait son nom grâce à la profusion de statues blanches et riantes qui l’ornaient, grâce aussi à la profusion de plantes rares et de fleurs merveilleuses qui formaient, sous la ga-lerie, un incomparable jardin.

      En avant de ce jardin, pareils à deux statues équestres, deux cavaliers immobiles, silencieux, montaient la garde. Ragastens s’adressa à l’un d’eux.

      – C’est ici le Palais-Riant ? demanda-t-il.

      – Oui…

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