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n’acceptez rien de lui… Redoutez le verre d’eau qu’il vous offrira, le fruit dont il mangera une moitié devant vous, l’arme qu’il vous priera d’accepter… Redoutez surtout qu’il ne vous fasse saisir et jeter dans quelque oubliette du château Saint-Ange… Le moine que vous venez de voir s’appelle dom Garconio…

      – Madame, reprit le chevalier de Ragastens, je vous rends grâce pour les inquiétudes que vous voulez concevoir à mon su-jet… Mais je ne crains rien, ajouta-t-il en se redressant…

      – Il faut que je vous demande un autre service…

      – Parlez, madame !

      – C’est de ne pas chercher à voir de quel côté je me dirige… de ne pas chercher à savoir qui je suis…

      – Quoi ! madame !… Je n’aurai donc aucun souvenir de cette rencontre que je bénis… Je ne saurais même pas quel nom je dois mettre sur ce visage charmant qui va, dès cette heure, hanter mes rêves ?…

      Le chevalier parlait d’une voix émue et tendre. Elle le regar-da avec un intérêt non dissimulé. Un sourire vint se jouer sur ses lèvres.

      – Je ne puis vous dire mon nom, dit-elle. De trop graves in-térêts m’obligent à le tenir caché… Mais je puis vous dire le sur-nom que m’ont donné ceux qui me connaissent.

      – Et quel est ce surnom ? demanda le Français.

      – Quelquefois… on m’appelle… Primevère !…

      Et, faisant un signe d’adieu, la dame blanche prit le galop et s’enfonça dans la direction de Florence…

      Le chevalier était demeuré sur place, tout étourdi, ébloui par cette éclatante et fugitive apparition. Son regard demeurait in-vinciblement attaché sur la robe blanche qui flottait dans un nuage de poussière.

      Il la vit tourner brusquement à droite et se jeter en pleine campagne. Puis elle disparut.

      Longtemps, il demeura au même endroit… Enfin, il poussa un soupir.

      – Primevère ! fit-il. Le joli nom ! Primevère… primavera… printemps ! Elle est belle, en effet, belle comme le printemps en fleur… Mais à quoi bon songer à cela ! Sans doute elle m’aura oublié dans une heure… Et quand même, que pourrais-je espé-rer, pauvre aventurier ?

      Sur cette mélancolique réflexion, le chevalier de Ragastens poursuivit vers Rome son voyage interrompu.

      II. RAGASTENS

      La brillante escorte de jeunes seigneurs qui accompagnaient César Borgia trottait depuis près de deux heures sur la route de Florence. Le fils du Pape interrogeait fiévreusement la cam-pagne, et de temps à autre, un juron lui échappait.

      – Enfin ! s’exclama-t-il tout à coup.

      Et il se précipita au-devant d’un cavalier qui accourait vers lui.

      – Dom Garconio !… Quelles nouvelles ? demanda César im-pétueusement.

      – Bonnes et mauvaises…

      – Ce qui veut dire ? Explique-toi, par la madone !

      – Patience, monseigneur ! Mon ami Machiavel m’affirmait, hier encore, que la patience est une inestimable vertu pour les princes.

      – Drôle ! Prends garde que ma cravache…

      – Eh bien… j’ai vu la jeune fille…

      Borgia pâlit.

      – Tu l’as vue !… fit-il en frémissant.

      – Je lui ai parlé…

      – Garconio !… Je te ferai donner par mon père le bénéfice du couvent de Sainte-Marie-Mineure…

      – Monseigneur, vous êtes un maître généreux…

      – Ce n’est pas moi qui paie ! grommela César dans sa mous-tache… Mais achève !… Donc… tu lui as parlé ?… Qu’a-t-elle dit ?…

      – C’est là que les nouvelles deviennent mauvaises…

      – Elle refuse !…

      – Elle se dérobe… Mais nous en viendrons à bout…

      – As-tu su son vrai nom ?…

      – Je n’ai rien su… sinon qu’elle se montre indomptable, pour le moment.

      – Mais tu l’as suivie ? Tu sais en quel recoin elle se cache ?… Parle, tu me fais mourir…

      – Monseigneur, j’ai suivi la jeune fille selon vos instructions et vous allez voir que si je n’ai pas encore découvert son nid, ce n’est pas de ma faute…

      – Enfer !… Elle m’échappe…

      – Je l’ai rencontrée près du bois d’oliviers, et ce fut un vrai miracle… Dès lors, je m’attachai à ses pas… je lui parlai comme il convenait… Elle voulut fuir… Je la serrai de près… Affolée, telle une biche aux abois, j’allais enfin savoir la vérité lorsque…

      – Elle t’échappa, sans doute, misérable moine…

      – Nous fîmes, continua dom Garconio sans broncher, la rencontre d’un jeune bandit qui me chercha dispute et fonça sur moi, l’épée à la main… Pendant ce temps, le bel oiseau blanc s’envolait…

      – Malédiction !… Et cet homme… ce misérable… où est-il ?… Qu’est-il devenu ? Tu l’as perdu de vue aussi, lâche ?…

      – Non pas ! Je l’ai épié de loin… Et, en ce moment même, le drôle déjeune à l’auberge de la Fourche, à vingt minutes d’ici…

      – En route ! hurla le fils du Pape en enfonçant ses éperons d’or dans les flancs de son cheval qui bondit en avant.

      – Le compte du Français me paraît clair ! murmura le moine.

      Ruée en un galop infernal, la troupe ne tarda pas à se trou-ver devant l’hôtellerie signalée par le moine.

      C’était une méchante auberge, une sorte de bouchon de bas étage où le voyageur altéré ne trouvait pour se rafraîchir qu’un mauvais vin et de l’eau tiède. Un jardin s’étendait contre cette masure, le long de la route, dont il n’était séparé ni par un fossé, ni par une palissade quelconque. Dans ce jardin quelque chose se dressait, qui avait la prétention de ressembler à une tonnelle.

      C’est sous cette tonnelle recouverte d’une toile, à défaut de verdures grimpantes, que déjeunait en effet le chevalier de Ra-gastens.

      – Voilà l’homme ! fit le moine.

      César examina d’un œil sombre le jeune homme qui, à l’arrivée soudaine de ces nombreux cavaliers, avait salué, puis s’était remis tranquillement à son déjeuner.

      Ragastens avait reconnu le moine et, aussitôt, il avait rajusté la ceinture de cuir qui soutenait son épée et qu’il avait dégrafée. Puis, son œil perçant, en parcourant le groupe, avait aussi recon-nu un autre homme. Et celui-là, c’était César Borgia !…

      – Parbleu ! murmura le chevalier entre ses dents, la ren-contre est admirable. Ou je me trompe fort, ou ma bonne étoile m’a ménagé une heureuse surprise…

      Cependant, Borgia s’était tourné vers les jeunes seigneurs qui l’entouraient et, s’adressant à l’un d’eux :

      – Que te semble, dit-il d’un ton goguenard, de cet illustre seigneur qui déjeune en ce palais ? Parle franchement, Astorre.

      Le chevalier ne perdit pas une syllabe de cette interrogation et il en saisit le sens méprisant.

      – Oh ! oh ! pensa-t-il, je crois que décidément la surprise n’aura rien d’heureux et que ma bonne étoile n’y est pour rien…

      Le seigneur que Borgia avait interpellé s’était avancé de quelques pas. C’était un homme d’une trentaine d’années,

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