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le pape achevait un entretien commencé de-puis une demi-heure. Ses yeux pétillants se fixaient sur un ta-bleau qu’on venait d’accrocher à la muraille. Le jeune homme suivait ce regard avec une évidente inquiétude.

      – Admirable ! disait le pape. Merveilleux ! Raphaël, mon cher enfant, tu seras un grand peintre…

      – Ainsi… Votre Sainteté n’est pas mécontente de cette ma-done ?…

      – Admirable, Sanzio ! Je ne trouve pas d’autre terme… Elle est si simple dans cette chaise populaire…

      Le jeune homme aux yeux rêveurs écoutait ces éloges avec une noble simplicité. Il allait se retirer, lorsque le pape le retint d’un geste.

      – Et cette « Transfiguration », dit-il, avance-t-elle ?

      Raphaël Sanzio devint soucieux et poussa un soupir.

      – Cette œuvre me désespère, fit-il sourdement.

      – Allons, allons ! Du courage per bacco ! Va, mon enfant, tu es libre… Ah ! un mot encore. Où prends-tu tes modèles ? Où trouves-tu ces parfaites beautés que tu peins ?… Quelque grande dame, sans doute…

      – Que Votre Sainteté daigne me pardonner, répondit Ra-phaël. Ce n’est pas parmi les grandes dames que je pourrais trouver cette suavité de lignes, cette pure harmonie des contours et ces reflets de profonde noblesse qui viennent des âmes vrai-ment pures…

      – Et où donc, per bacco ?…

      – Dans le peuple qui sait aimer, qui sait souffrir…

      – Ainsi, ta madone ?…

      – Est une simple fille du peuple, une humble fornarina .

      Le pape demeura songeur et ferma les yeux une minute. Puis, simplement, il ajouta :

      – Eh bien, Raphaël, je veux la connaître !… Va, maintenant.

      Le jeune homme se retira, étonné, presque inquiet. Quant au pape, les yeux fixés sur la « Vierge à la chaise », il murmurait :

      – Oui… connaître cette pure enfant !… Réveiller peut-être quelques étincelles dans les cendres déjà froides de mon vieux cœur !… Aimer encore une fois !… Vivre… Oh ! ne fût-ce qu’une heure !

      Alexandre VI se tourna alors à demi vers une porte et dit : « Entre ! »

      La porte s’ouvrit aussitôt. César parut.

      Une singulière transformation venait de s’opérer dans la physionomie du pape. La tête penchée sur la poitrine, les mains jointes, il paraissait horriblement souffrir. Mais il eût été impos-sible de dire si son mal était corporel ou moral. Sur un geste de lui, César s’assit.

      Le duc de Valentinois, cuirassé, botté, la figure rude, le poing appuyé sur le pommeau d’une lourde épée, l’œil en éveil, la bouche plissée par un sourire d’une cynique impudence, formait un violent contraste avec son père. C’était le reître en présence du diplomate…

      – Eh bien, mon fils, dit enfin le pape, cette immense douleur nous était donc réservée ?… J’étais donc destiné, sur la fin de ma vie, à voir tomber un de mes enfants sous le poignard d’un misé-rable bravo ? Le plus soumis de mes enfants… le meilleur, peut-être !… Ah ! malheureux père que je suis ! Le ciel réservait ce châtiment cruel à mes péchés, sans doute !

      César ne répondit pas un mot. Le pape essuya ses yeux où d’ailleurs il n’y avait pas de larmes.

      – Mais, reprit-il, ma vengeance sera éclatante. Sais-tu le châtiment qu’a mérité l’assassin, César ? Le sais-tu ?

      César tressaillit et une ombre passa sur son front. Mais il continua à se taire. Alexandre lui saisit la main.

      – Je veux que ce soit terrible. L’assassin, quel qu’il soit, du peuple ou de la noblesse, fût-il même quelque puissant seigneur, même un de nos parents, l’assassin subira le supplice dont j’ai dicté tout à l’heure l’ordonnance : il aura les ongles arrachés, la langue coupée, les yeux crevés, et demeurera exposé ainsi au po-teau d’infamie jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors, on lui arra-chera le cœur et le foie pour les jeter aux chiens, puis le cadavre sera brûlé et les cendres jetées au Tibre…, Cela te paraît-il suffi-sant, César ?… Parle !

      César garda le silence. Il était seulement un peu pâle. Le pape reprit :

      – Ah ! mon pauvre François ! Quand je songe que l’autre soir, plein de vie et de gaîté, il vint me trouver… et que je lui con-seillai d’aller passer la soirée chez ta sœur Lucrèce… Ah ! maudit conseil… Car c’est sûrement en sortant du Palais de Lucrèce qu’il a été tué… pauvre François ! Si bon ! Si tendre !… Mon cœur en saigne… Mais tu ne pleures donc pas, César ?…

      – Mon père, j’attends, pour vous parler de choses sérieuses que vous ayez fini de jouer la comédie…

      – Per bacco ! Que signifie !…

      – Cela signifie que la mort de François vous enchante ou si-non je ne comprends plus, moi !

      – Malheureux enfant ! Comment peux-tu penser de pareilles abominations ! Tu outrages ma douleur !

      – François vous gênait, mon père, reprit César en haussant la voix. Fourbe, lâche, imposteur, indigne de ce nom de Borgia qu’il portait, ennemi en secret de votre gloire et de votre gran-deur, impuissant conspirateur, ne sachant ni aimer ni haïr, il nous déshonorait, mon père ! Sa mort est la bienvenue !

      – Conspirateur ?… Tu dis qu’il conspirait ?…

      – Vous le savez aussi bien que moi, mon père !

      – N’importe ! Le crime est atroce et doit être puni ! Tu m’entends, César ?… Quoi qu’ait pu faire contre nous le pauvre François, il est intolérable que quelqu’un au monde ait osé porter la main sur un Borgia ! Un châtiment exemplaire doit apprendre à l’univers que les Borgia sont inviolables !

      – Je suis de votre avis, mon père, dit froidement César. Aus-si, je vous jure que l’assassin sera retrouvé : c’est moi-même qui m’en occupe !

      – Alors je commence à me tranquilliser, César… Si après avoir réduit la noblesse et muselé le peuple, si après avoir dompté l’Italie et mis Rome dans une cage, nous laissons assassiner, ce n’est pas la peine d’avoir fait ce que nous avons fait !… Seul, un Borgia peut toucher à un Borgia !

      – Mon père, votre sagesse est infinie et je m’incline hum-blement devant votre génie. François nous trahissait…

      – La Providence l’en a puni avec une sérénité qui fait trem-bler de douleur mon cœur paternel…

      – Maintenant que nous avons réglé la question des justes vengeances…

      – Tu retrouveras l’assassin, n’est-ce pas, César ? Promets-le-moi pour me tranquilliser.

      – C’est juré, mon père… et vous savez ce que valent les ser-ments d’un Borgia… quand il y va de son intérêt !… Maintenant que cette question est réglée, je voudrais connaître un détail qui m’échappe…

      – Parle, César.

      – Vous avez dit que François conspirait, et que sa mort vous délivrait d’un danger.

      – Per bacco ! C’est toi qui as dit cela !

      – Oui, mais vous l’avez pensé. Mettons que vous l’ayez dit par l’intermédiaire de ma bouche…

      – Soit, admettons-le… Après ?…

      – Eh bien, mon père, achevez de m’éclairer : avec qui cons-pirait François ? Il est important que je le sache…

      Le pape réfléchit quelques instants.

      – Mon fils, dit-il enfin, il n’est que trop vrai que François avait fait alliance avec nos pires ennemis…

      – Nommez-les,

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