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de Rome. Mais, rendu prudent par le peu qu’il savait, et surtout par ce qu’il supposait, il fit un grand détour, et, vers le soir, rentra dans la ville par une autre porte que celle qu’il avait prise pour en sortir.

      VII. ALEXANDRE BORGIA

      Le lendemain, de bonne heure, Ragastens, resplendissant dans son beau costume se prépara à se rendre au château Saint-Ange. Comme il allait sortir, il vit une foule de gens du peuple qui, causant et riant entre eux, se dirigeaient tous dans le même sens.

      – Où vont donc tous ces gens ? demanda le chevalier à son hôte qui, respectueusement, lui tenait l’étrier.

      – À Saint-Pierre, seigneur.

      – À Saint-Pierre ? Il y a donc une fête religieuse ? Nous ne sommes ni à Pâques, ni à la Pentecôte…

      – Non, mais il y aura cérémonie tout de même ! Et une belle ! On dit que ce sera magnifique. Pour tout dire, il s’agit des funérailles de monseigneur François Borgia, duc de Gandie, mort lâchement assassiné…

      – Assassiné ?…

      – Hélas, oui ! On a retrouvé son cadavre, percé d’un maître coup de poignard !

      – Et où a-t-on retrouvé ce cadavre ?… demanda Ragastens avec une avide curiosité.

      – Dans le Tibre !… À trois cents pas à peine d’ici !

      – Dans le Tibre !…

      – Les brigands, non contents d’assassiner le pauvre sei-gneur, ont jeté à l’eau son corps, dans l’espoir peut-être qu’il se-rait entraîné jusqu’à la mer…

      – Ainsi, on a trouvé le cadavre dans le Tibre ! interrompit Ragastens.

      – Comme j’ai l’honneur de vous le dire, à trois cents pas d’ici !… La découverte en fut faite hier matin, une heure à peine après que vous eûtes quitté l’hôtellerie…

      – Et soupçonne-t-on l’assassin ?…

      – On a arrêté une douzaine de gens mal famés… Il est sûr qu’on retrouvera les criminels, car c’est monseigneur César en personne qui dirige les recherches…

      – Merci de vos renseignements, mon cher monsieur Bartho-lomeo.

      – Savez-vous, seigneur chevalier, ce que quelques-uns disent tout bas ?…

      – Que dit-on ? fit Ragastens en se penchant sur sa selle, car il était déjà à cheval.

      Mais Bartholomeo se tut soudain. Il venait de se rappeler que le chevalier avait reçu, la veille, la visite de Giacomo, l’intendant du Palais-Riant, et que, selon toute apparence, il était l’ami des Borgia… Il jeta un regard effaré sur Ragastens.

      – Rien ! fit-il en balbutiant ; on ne dit rien…

      – Eh bien, je vais vous l’apprendre, ce qu’on dit ! On dit que le Palais-Riant est bien près du Tibre où l’on a retrouvé le duc de Gandie… n’est-ce pas ?

      Bartholomeo devint cramoisi, puis livide de terreur.

      – Je n’en sais rien, Excellence… Rien, je vous jure ! je ne dis rien, je ne suppose rien, je ne sais rien…

      Le chevalier se dirigea, au pas de sa monture, vers le châ-teau Saint-Ange et passa Saint-Pierre. Là, sur la place dallée, ve-naient aboutir et se perdre en de sombres remous les fleuves d’hommes que déversaient toutes les rues.

      La nouvelle de la mort de François Borgia avait produit une profonde impression.

      Ragastens observa la foule qu’il fendait lentement du poi-trail du Capitan. De sourdes rumeurs faisaient tressaillir cette foule et couraient à sa surface comme les souffles d’une pro-chaine tempête sur la face des mers. Dans certains groupes, on n’hésitait pas à dire qu’il fallait venger la mort de François. Et, au mot de vengeance, des regards se tournaient vers le château Saint-Ange. De toute évidence, ces regards menaçaient César.

      Préoccupé de ce qu’il voyait et entendait, Ragastens ne fit pas attention à un homme – un religieux, un moine ! – qui par-courait les groupes, glissant un mot dans l’oreille des uns, faisant à d’autres des signes mystérieux. Ce moine, c’était Dom Garco-nio.

      À quelle besogne se livrait-il ?

      C’est ce que se fût demandé le chevalier s’il eût vu le moine. Mais, comme nous l’avons dit, il marchait, tâchant de recueillir les impressions qui se dégageaient de la foule, puis songeant à l’étrange entrevue qu’il avait eue la veille avec Béatrix. L’image de la jeune fille flottant devant ses yeux finit par l’absorber com-plètement.

      Et lorsqu’il fut parvenu devant la porte du château Saint-Ange, une modification extraordinaire s’était opérée dans l’attitude de la foule. Tout brave qu’il était, Ragastens eût sans doute frémi s’il eût vu à ce moment les yeux luisants qui se bra-quaient sur lui, et les sourires mauvais qui l’accompagnaient. Mais il ne vit rien et, paisiblement, pénétra dans la cour du châ-teau, sillonnée de laquais, de soldats, d’officiers et de seigneurs.

      Ragastens avait mis pied à terre et, assez embarrassé, re-gardait autour de lui sans trop savoir à qui s’adresser, lorsqu’une voix de basse-taille retentit à ses côtés.

      – Comment, « facchini » !… Vous ne voyez pas que M. le chevalier de Ragastens vous tend la bride de sa monture ?

      Les laquais auxquels s’adressait cette apostrophe se précipi-tèrent vers le chevalier et, avec toutes les marques d’un grand respect, s’emparèrent de Capitan, qu’ils conduisirent dans l’une des vastes écuries du château. Ragastens s’était retourné vers ce-lui qui venait si à propos de le tirer d’embarras.

      – Le baron Astorre ! s’écria-t-il non sans surprise.

      – Moi-même, répondit le colosse, enchanté de me mettre à votre disposition, pour vous guider à travers cette petite ville touf-fue qu’est le château de Saint-Ange !

      – Ma foi, mon cher baron, je vous suis vraiment obligé de l’offre… Mais permettez-moi de m’enquérir de votre santé… Bien que vous ayez le bras en écharpe, j’espère que je n’aurais pas été assez maladroit pour vous endommager sérieusement…

      – Vous le voyez, chevalier, je n’ai pas l’air d’un moribond ; par tous les diables, l’épée qui doit m’envoyer ad patres n’est pas encore forgée… Mais venez… je vais vous conduire jusqu’aux ap-partements de monseigneur César qui, en ce moment, est en con-férence avec son illustre Père…

      Le baron lui fit monter un somptueux escalier de granit rose, au haut duquel commençait une enfilade de salles décorées avec un luxe plus sobre que celui du Palais-Riant. Ils arrivèrent ainsi à une sorte de vaste salon où grouillait tout un monde de seigneurs chamarrés, de gardes, de courtisans, qui bavardaient sans la moindre retenue.

      – Messieurs, dit Astorre de façon à dominer les conversa-tions, permettez-moi de vous présenter M. le chevalier de Ragas-tens, gentilhomme français, venu en Italie pour nous montrer à tous comment on manie une épée et qui a débuté par me donner, à moi l’Invincible Astorre, une leçon dont je me souviendrai long-temps !

      Tous les regards convergèrent sur le chevalier. Ragastens tressaillit. Car il lui avait semblé démêler dans la voix d’Astorre quelque intonation ironique et c’étaient des regards moqueurs qui se tournaient vers lui…

      César Borgia se trouvait en effet chez le pape, ainsi que le baron Astorre l’avait annoncé à Ragastens.

      Alexandre VI était, à cette époque, un vieillard de soixante-dix ans. Sa physionomie « ondoyante et diverse » portait les marques d’une subtile diplomatie.

      Alexandre était de taille un peu au-dessus de la moyenne ; il se tenait droit, bien que parfois il feignît de courber la tête comme sous le poids de la pensée. C’était un vieillard d’une ad-mirable verdeur. Ses origines espagnoles se

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