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les diamants de son collier, des places sur sa poitrine nue resplendissaient ; on sentait derrière elle comme l’odeur d’un temple, et quelque chose s’échappait de tout son être qui était plus suave que le vin et plus terrible que la mort. Elle marchait cependant, et puis elle s’est arrêtée.»

      Il resta béant, la tête basse, les prunelles fixes.

      – «Mais je la veux ! il me la faut ! j’en meurs ! A l’idée de l’étreindre dans mes bras, une fureur de joie m’emporte, et cependant je la hais, Spendius ! je voudrais la battre ! Que faire ? J’ai envie de me vendre pour devenir son esclave. Tu l’as été, toi ! Tu pouvais l’apercevoir : parle-moi d’elle ! Toutes les nuits, n’est-ce pas, elle monte sur la terrasse de son palais ? Ah ! les pierres doivent frémir sous ses sandales et les étoiles se pencher pour la voir !»

      Il retomba tout en fureur, et râlant comme un taureau blessé.

      Puis Mâtho chanta : «Il poursuivait dans la forêt le monstre femelle dont la queue ondulait sur les feuilles mortes, comme un ruisseau d’argent.» Et en traînant la voix, il imitait la voix de Salammbô, tandis que ses mains étendues faisaient comme deux mains légères sur les cordes d’une lyre.

      A toutes les consolations de Spendius, il lui répétait les mêmes discours ; leurs nuits se passaient dans ces gémissements et ces exhortations.

      Mâtho voulut s’étourdir avec du vin. Après ses ivresses il était plus triste encore. Il essaya de se distraire aux osselets, et il perdit une à une les plaques d’or de son collier. Il se laissa conduire chez les servantes de la Déesse ; mais il descendit la colline en sanglotant, comme ceux qui s’en reviennent des funérailles.

      Spendius, au contraire, devenait plus hardi et plus gai. On le voyait, dans les cabarets de feuillages, discourant au milieu des soldats. Il raccommodait les vieilles cuirasses. Il jonglait avec des poignards, il allait pour les malades cueillir des herbes dans les champs. Il était facétieux, subtil, plein d’inventions et de paroles ; les Barbares s’accoutumaient à ses services ; il s’en faisait aimer.

      Cependant ils attendaient un ambassadeur de Carthage qui leur apporterait, sur des mulets, des corbeilles chargées d’or ; et toujours recommençant le même calcul, ils dessinaient avec leurs doigts des chiffres sur le sable. Chacun, d’avance, arrangeait sa vie ; ils auraient des concubines, des esclaves, des terres ; d’autres voulaient enfouir leur trésor ou le risquer sur un vaisseau. Mais dans ce désoeuvrement les caractères s’irritaient ; il y avait de continuelles disputes entre les cavaliers et les fantassins, les Barbares et les Grecs, et l’on était sans cesse étourdi par la voix aigre des femmes.

      Tous les jours, il survenait des troupeaux d’hommes presque nus, avec des herbes sur la tête pour se garantir du soleil ; c’étaient les débiteurs des riches Carthaginois, contraints de labourer leurs terres, et qui s’étaient échappés. Des Libyens affluaient, des paysans ruinés par les impôts, des bannis, des malfaiteurs. Puis la horde des marchands, tous les vendeurs de vin et d’huile, furieux de n’être pas payés, s’en prenaient à la République ; Spendius déclamait contre elle. Bientôt les vivres diminuèrent. On parlait de se porter en masse sur Carthage et d’appeler les Romains.

      Un soir, à l’heure du souper, on entendit des sons lourds et fêlés qui se rapprochaient, et, au loin, quelque chose de rouge apparut dans les ondulations du terrain.

      C’était une grande litière de pourpre, ornée aux angles par des bouquets de plumes d’autruche. Des chaînes de cristal, avec des guirlandes de perles, battaient sur sa tenture fermée. Des chameaux la suivaient en faisant sonner la grosse cloche suspendue à leur poitrail, et l’on apercevait autour d’eux des cavaliers ayant une armure en écailles d’or depuis les talons jusqu’aux épaules.

      Ils s’arrêtèrent à trois cents pas du camp, pour retirer des étuis qu’ils portaient en croupe, leur bouclier rond, leur large glaive et leur casque à la béotienne. Quelques-uns restèrent avec les chameaux ; les autres se remirent en marche. Enfin les enseignes de la République parurent, c’est-à-dire des bâtons de bois bleu, terminés par des têtes de cheval ou des pommes de pins. Les Barbares se levèrent tous, en applaudissant ; les femmes se précipitaient vers les gardes de la Légion et leur baisaient les pieds.

      La litière s’avançait sur les épaules de douze Nègres, qui marchaient d’accord à petits pas rapides. Ils allaient de droite et de gauche, au hasard, embarrassés par les cordes des tentes, par les bestiaux qui erraient et les trépieds où cuisaient les viandes. Quelquefois une main grasse, chargée de bagues, entrouvrait la litière ; une voix rauque criait des injures ; alors les porteurs s’arrêtaient, puis ils prenaient une autre route à travers le camp.

      Mais les courtines de pourpre se relevèrent ; et l’on découvrit sur un large oreiller une tête humaine tout impassible et boursouflée ; les sourcils formaient comme deux arcs d’ébène se rejoignant par les pointes ; des paillettes d’or étincelaient dans les cheveux crépus, et la face était si blême qu’elle semblait saupoudrée avec de la râpure de marbre. Le reste du corps disparaissait sous les toisons qui emplissaient la litière.

      Les soldats reconnurent dans cet homme ainsi couché le Suffète Hannon, celui qui avait contribué par sa lenteur à faire perdre la bataille des îles Aegates ; et, quant à sa victoire d’Hécatompyle sur les Libyens, s’il s’était conduit avec clémence, c’était par cupidité, pensaient les Barbares, car il avait vendu à son compte tous les captifs, bien qu’il eût déclaré leur mort à la République.

      Lorsqu’il eut, pendant quelque temps, cherché une place commode pour haranguer les soldats, il fit un signe : la litière s’arrêta, et Hannon, soutenu par deux esclaves, posa ses pieds par terre, en chancelant.

      Il avait des bottines en feutre noir, semées de lunes d’argent. Des bandelettes, comme autour d’une momie, s’enroulaient à ses jambes, et la chair passait entre les linges croisés. Son ventre débordait sur la jaquette écarlate qui lui couvrait les cuisses ; les plis de son cou retombaient jusqu’à sa poitrine comme des fanons de boeuf, sa tunique, où des fleurs étaient peintes, craquait aux aisselles ; il portait une écharpe, une ceinture et un large manteau noir à doubles manches lacées. L’abondance de ses vêtements, son grand collier de pierres bleues, ses agrafes d’or et ses lourds pendants d’oreilles ne rendaient que plus hideuse sa difformité. On aurait dit quelque grosse idole ébauchée dans un bloc de pierre ; car une lèpre pâle, étendue sur tout son corps, lui donnait l’apparence d’une chose inerte. Cependant son nez, crochu comme un bec de vautour, se dilatait violemment, afin d’aspirer l’air, et ses petits yeux, aux cils collés, brillaient d’un éclat dur et métallique. Il tenait à la main une spatule d’aloès, pour se gratter la peau.

      Enfin deux hérauts sonnèrent dans leurs cornes d’argent ; le tumulte s’apaisa, et Hannon se mit à parler.

      Il commença par faire l’éloge des Dieux et de la République ; les Barbares devaient se féliciter de l’avoir servie. Mais il fallait se montrer plus raisonnables, les temps étaient durs, «– et si un maître n’a que trois olives, n’est-il pas juste qu’il en garde deux pour lui ?»

      Ainsi le vieux Suffète entremêlait son discours de proverbes et d’apologues, tout en faisant des signes de tête pour solliciter quelque approbation.

      Il parlait punique et ceux qui l’entouraient (les plus alertes accourus sans leurs armes) étaient des Campaniens, des Gaulois et des Grecs, si bien que personne dans cette foule ne le comprenait. Hannon s’en aperçut, il s’arrêta, et il se balançait lourdement, d’une jambe sur l’autre, en réfléchissant.

      L’idée lui vint de convoquer les capitaines ; alors ses hérauts crièrent cet ordre en grec, – langage qui, depuis Xantippe, servait aux commandements dans les armées carthaginoises.

      Les gardes, à coups de fouet, écartèrent la tourbe des soldats ; et bientôt les capitaines des phalanges à la spartiate et les chefs des cohortes barbares arrivèrent, avec les insignes de leur grade et l’armure de leur nation. La nuit était tombée, une grande rumeur circulait par la plaine ; çà et là des feux brûlaient ; on allait de l’un

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