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du tout à un livret de chèques et Hervé se dit: «Le voleur aurait été volé. Il croyait avoir mis la main sur une somme et il n’aurait trouvé que du papier blanc. J’imagine que le monsieur qu’il a dévalisé ne pleurera pas la perte de cet agenda… et me voilà dispensé de faire une visite au commissaire de police. L’objet ne vaut pas que je prenne la peine de me déranger… à moins que je n’y trouve l’adresse de son propriétaire… auquel cas, je le lui renverrai par la poste.»

      Et il se mit à feuilleter les pages.

      Sur quelques-unes étaient inscrits des chiffres alignés comme des lettres et séparés par des points ou par des signes, absolument comme dans les annonces qu’insèrent certains journaux et qui ne peuvent être comprises que par la personne qui possède la clef de cette cryptographie.

      – À coup sûr, pensa Hervé, ce n’est pas un homme d’affaires qui a pris ces notes. Ces gens-là ne perdent pas leur temps à combiner des écritures incompréhensibles. Mais je commence à croire que je ne découvrirai pas ce que je cherche.

      En continuant à tourner les pages, Hervé en trouva deux où on avait tracé des lignes qui avaient l’air de former des plans topographiques.

      Ces lignes s’entrecroisaient à angle droit comme les rues qu’elles figuraient sans doute, et elles étaient accompagnées de légendes écrites en caractères intelligibles, mais très incomplètes.

      Ainsi, sur l’un des plans, on lisait ces mots tronqués: Zach. – Huch, et sur l’autre: Bagn. Pl. -Eg.

      Sur un troisième et un quatrième feuillet, il y avait deux dessins au trait représentant, l’un l’intérieur d’une chambre, l’autre un jardin planté d’arbres.

      Une petite croix était marquée à la plume sur chacun des croquis, et certainement ces croix n’avaient pas été mises là pour rien. Hervé supposa qu’elles indiquaient des places où on avait caché quelque chose; mais quoi?… et où étaient situés cette chambre et ce jardin? Impossible de le deviner, et comme d’ailleurs il ne songeait pas à se mettre en quête de ces cachettes hypothétiques, il allait refermer ce carnet plein de problèmes qui ne l’intéressaient pas, lorsqu’il avisa, dans une des poches de cuir, un bout de papier qu’il n’avait pas aperçu tout d’abord et qu’il eut quelque peine à en extraire.

      Ce papier était une lettre pliée en quatre et écrite en très bon français, d’une écriture très fine et très nette.

      Le secret devait y être et Hervé ne se fit aucun scrupule d’en prendre connaissance.

      Il lut ceci:

      «Mon cher associé – le mot associé était souligné – vous m’avez cru mort depuis dix ans, mais les morts ressuscitent quand on ne les a pas bien tués. Je viens d’arriver à Paris, tout juste à temps pour vous rappeler que vous n’avez pas tenu tout ce que vous m’aviez promis. Dans huit mois, je n’aurai plus barre sur vous; c’est pourquoi je suis pressé d’en finir. Il me faut trois cent mille francs en échange de la preuve que vous savez et que j’ai précieusement conservée. Trois cent mille francs pour vous, c’est une bagatelle, et dès que je les tiendrai, je quitterai de nouveau la France pour n’y jamais revenir. Je ne veux plus me présenter chez vous, pour des motifs que vous devinez. Je vous invite donc à m’indiquer un endroit où nous nous aboucherons – non pas un endroit désert, où chacun de nous pourrait craindre que l’autre ne lui fit un mauvais parti, mais un lieu public, un théâtre, par exemple, où nous pourrions causer tranquillement dans une loge, ou dans un coin. Vous aurez soin d’apporter la somme en une traite à mon ordre sur une bonne maison de New-York ou de Boston, à votre choix. En billets de banque, elle tiendrait trop de place dans votre poche et dans la mienne. Moi, j’apporterai la preuve qui n’en tient pas plus qu’une traite. Donnant, donnant. Quand ce sera fait, nous nous quitterons bons amis comme autrefois et vous n’entendrez plus parler de moi.

      «J’attends votre réponse d’ici à quarante-huit heures, à l’hôtel où je logeais autrefois et à mon ancien nom que vous n’avez certainement pas oublié, pas plus que je n’ai oublié la date du 24 octobre 1860… Dix ans bientôt!… comme le temps passe!

      «À bon entendeur, salut! Rapportez-moi cette lettre.

      «Sans rancune»! avait ajouté, en guise de signature, le rédacteur de ce billet doux. Et c’était tout.

      Hervé entrevoyait déjà la vérité. Évidemment, il s’agissait d’une tentative de chantage. L’auteur de la lettre était un coquin et le monsieur qu’il menaçait ne valait pas mieux que lui. Quelle mauvaise action avait-il commise? Il était difficile de le deviner, mais il fallait qu’elle l’eût largement enrichi, puisque l’autre tarifait à trois cent mille francs le prix de son silence.

      Et il était naturel de supposer que le propriétaire du carnet ne s’aviserait pas de réclamer une pièce si compromettante. Il avait été très imprudent de ne pas la détruire, et il aurait mérité qu’elle tombât entre les mains d’un troisième larron qui en aurait abusé pour l’exploiter. Son nom ne figurait ni dans la lettre ni sur l’agenda, mais les maîtres chanteurs sont bien fins et en ce temps-là, déjà, ils foisonnaient à Paris.

      Hervé de Scaër, tout gentilhomme qu’il était, aurait fait œuvre d’honnête homme en avertissant la police, mais il n’y songeait guère. Il ne pensait qu’à expliquer cette aventure bizarre. Il supposait que le monsieur volé avait choisi le bal de l’Opéra pour y rencontrer l’homme qui lui avait demandé un rendez-vous. Un filou était survenu, l’avait dévalisé sans le connaître et s’était débarrassé de l’agenda avec d’autant moins de regrets qu’à la dimension et au poids de cet agenda, il avait jugé qu’il n’y trouverait ni or, ni billets de banque.

      Il est vrai que, plus tard, il avait essayé de le reprendre de force en cherchant à attaquer Hervé sur la place Vendôme.

      Et Hervé se demanda tout à coup si ce voleur n’était pas justement l’auteur de la lettre qui, rencontrant l’autre au bal de l’Opéra, où il était venu, lui, affublé d’une fausse barbe, avait trouvé joli de fouiller dans la poche de ce monsieur où il comptait pêcher la traite de trois cent mille francs, ce qui l’aurait dispensé de rendre en échange la pièce qui mettait le capitaliste à sa merci. Mais le volé avait crié: Au voleur! et le voleur, serré de près, avait pris ses précautions pour que, si on l’arrêtait, on ne saisît sur lui aucune preuve du vol.

      Et il s’ensuivait que, maintenant, Hervé possédait en partie un secret qui assurément l’intéressait moins que le sort mystérieux d’Héva Nesbitt, mais qui ne laissait pas de le préoccuper.

      L’inconnu a toujours de l’attrait pour un jeune homme qui a l’imagination vive, et ce Breton se promettait bien de découvrir ce que signifiaient les hiéroglyphes de l’agenda: chiffres, plans et dessins. Il en était déjà à se figurer qu’ils indiquaient des places où on avait enfoui des trésors très probablement mal acquis, car tout cela sentait le crime et la lettre donnait un corps à ce soupçon.

      Cette date du 24 octobre 1860, rappelée comme une menace, devait être celle d’un meurtre ou tout au moins d’un vol. Et l’allusion aux dix ans qui allaient expirer avant la fin de 1870 était assez claire. Aux termes du Code, l’action criminelle se prescrit par dix ans. L’heure de la prescription approchait et le chanteur n’avait plus que huit mois pour exploiter le coupable qui n’aurait plus rien à redouter quand le temps fixé par la loi serait écoulé.

      Le premier mouvement est toujours le bon et c’est pour cela qu’il n’y faut pas céder, disait Talleyrand. Hervé finit par suivre le conseil de ce diplomate célèbre. Il se dit d’abord qu’il devait laisser à la justice le soin d’éclaircir cette affaire, qui avait changé de face. Il ne s’agissait plus d’un vulgaire vol à la tire, et maintenant Hervé pouvait bien prendre la peine de déposer au parquet ou à la préfecture de police le carnet suspect et la lettre accusatrice.

      Mais il ne tarda guère à envisager les désagréments que lui attirerait cette démarche. Il arriverait de deux choses l’une: ou on ne prendrait pas au sérieux

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