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et, pour l’admettre un seul instant, il fallait avoir l’esprit fortement tourné au merveilleux.

      C’était le cas d’Hervé et il y crut si bien qu’il prolongea de trois semaines son séjour à Trégunc et qu’il revint souvent au dolmen de Trévic, dans le chimérique espoir d’y rencontrer encore la touriste américaine.

      Il en fut pour ses peines. La dame blanche ne se montra plus; il lui fallut revenir à Paris sans avoir trouvé le mot de cette énigme. Mais trois ans après, à la veille de se marier, il y pensait encore quelquefois.

      Ainsi, pour la lui rappeler, il avait suffi qu’une inconnue masquée lui dit qu’elle l’avait déjà vu, autrefois, en Bretagne, et depuis qu’il avait lu sa lettre, il ne doutait plus d’avoir retrouvé la fée, comme elle s’intitulait elle-même. Mais il ne s’expliquait pas qu’elle eût attendu si longtemps avant de lui donner signe de vie.

      Encore moins s’expliquait-il comment elle avait deviné qu’elle le rencontrerait au bal de l’Opéra, la nuit du samedi gras. Et il fallait qu’elle l’eût deviné, puisqu’elle lui avait écrit avant d’y venir.

      Tout cela était incompréhensible et Hervé ne cherchait plus à comprendre, mais il évoquait par la pensée la scène de la grève; il l’évoquait en plein Paris, à cent cinquante lieues de son pays, au bruit lointain des voitures roulant sur les boulevards et en face de la colonne Vendôme qui ne ressemblait pas du tout au dolmen de Trévic.

      La lettre qu’il avait sous les yeux le fit souvenir qu’il avait une décision à prendre.

      Répondrait-il à ce billet anonyme, ou bien s’abstiendrait-il d’entrer en correspondance avec celle qui le lui adressait? La question valait qu’il y réfléchît.

      La dame ne comptait pas s’en tenir aux préambules épistolaires, puisqu’elle lui annonçait un prochain rendez-vous, sous prétexte de lui donner des nouvelles d’Héva, et rien ne prouvait que ce prétexte ne cachait pas l’arrière-pensée de séduire le jeune et beau seigneur de Scaër.

      Une femme qui va seule au bal de l’Opéra est toujours sujette à caution et Hervé craignait d’avoir affaire à une intrigante.

      Il aurait mal pris son temps pour s’embarquer dans une liaison dangereuse, maintenant que son mariage était décidé, et il ne se souciait pas de déranger sa vie.

      D’un autre côté, il lui semblait dur de manquer l’occasion inespérée d’éclaircir un mystère qui lui tenait fort au cœur.

      Quelles que fussent au fond les intentions de l’énigmatique personne que Pibrac avait irrespectueusement surnommée: Double-Blanc, elle ne pouvait pas avoir inventé l’histoire de la rencontre nocturne, sur une côte sauvage, et Hervé, en l’interrogeant, apprendrait à coup sûr beaucoup de choses qu’il voulait savoir.

      Il n’aurait qu’à s’en tenir à une première entrevue, s’il s’apercevait que cette blonde cherchait à nouer avec lui des relations de galanterie, et pour se réserver la possibilité d’y couper court dès le début, il fallait que cette entrevue se passât sur un terrain neutre.

      Madame – ou mademoiselle – ne donnait pas son adresse. Rien n’obligeait Hervé à donner la sienne, en écrivant poste restante, comme elle l’y invitait. Elle aussi avait sans doute des précautions à prendre, puisqu’elle n’avait voulu dire ni où elle demeurait, ni comment elle s’appelait. Un rendez-vous aux Tuileries ou au parc Monceau ne compromettrait personne.

      Après, on verrait.

      Ce fut le parti auquel s’arrêta le futur mari de Mlle de Bernage. La prudence n’était pas sa qualité dominante, mais il ne manquait pas de jugement et il sentait bien que, dans le cas présent, la sagesse est obligatoire.

      Il crut avoir trouvé le moyen de tout concilier et il se promit d’envoyer, le lendemain matin, la réponse demandée.

      La nuit porte conseil et il la rédigerait mieux quand il aurait dormi.

      Rien ne fatigue comme une longue station au bal de l’Opéra, et il éprouvait le besoin de se reposer.

      Il se mit donc en devoir de se dévêtir, avant de procéder à sa toilette de nuit, et il commença naturellement par ôter son pardessus qu’il n’avait pas pris le temps d’enlever en arrivant, puis son habit noir qu’il avait endossé à sept heures du soir pour aller dîner à son cercle.

      On a beau être accoutumé à porter le harnais mondain, il arrive un moment où on n’est pas fâché de s’en débarrasser.

      Hervé jeta le sien sur un fauteuil. Il n’était pas de ceux qui ne se déshabillent jamais sans plier avec soin les vêtements qu’ils quittent et, de plus, il avait, cette nuit-là, d’autres soucis en tête. Mais il fut bien étonné de voir tomber de la poche de poitrine de cet habit un carnet en cuir de Russie.

      Hervé n’en avait jamais possédé un pareil.

      Il serrait ses billets de banque dans un portefeuille qu’il laissait le plus souvent au fond d’un des tiroirs de son secrétaire – surtout depuis qu’il avait renoncé au jeu – et il était sûr de n’avoir pris sur lui, la veille, qu’une vingtaine de louis dans le gousset de son gilet.

      Ils y étaient encore, presque au complet, car il n’en avait dépensé que deux ou trois, y compris celui dont il avait fait cadeau à son compatriote Alain.

      On ne l’avait pas volé au bal, mais d’où lui était venu ce carnet qui se trouvait dans sa poche?

      Il n’y était pas tombé du ciel.

      Qui l’y avait mis?

      Et comment avait-on pu l’y mettre, sans qu’il s’en aperçût?

      Les filous à Paris sont d’une dextérité sans égale, mais ils emploient leur adresse à vider les poches et non pas à les emplir.

      Hervé s’épuisait à chercher l’explication de ce phénomène.

      Il alla jusqu’à se demander si ce n’était pas le domino blanc qui avait exécuté ce tour de passe-passe. Dans quel but? Il ne s’en doutait pas et il allait se décider à en finir avec les suppositions en ouvrant tout bonnement le carnet, lorsque le souvenir de la bousculade du corridor des troisièmes loges lui revint tout à coup à l’esprit.

      Ce fut un trait de lumière.

      Hervé se rappela que le voleur poursuivi s’était jeté sur lui en le prenant à bras le corps, et que l’étreinte avait duré quelques secondes.

      Il comprenait maintenant que cet homme avait profité de ce contact prémédité pour se défaire de l’objet qu’il venait d’escamoter dans la poche d’un monsieur.

      Le drôle, s’attendant à être pris, s’était débarrassé du corps du délit. Si on l’eût arrêté, il aurait nié et ceux qui l’auraient fouillé n’auraient rien trouvé sur lui.

      Le truc est connu, mais il peut réussir, surtout quand celui qui l’emploie n’a pas d’antécédents judiciaires.

      Et c’était peut-être le cas.

      – Parbleu! dit entre ses dents Hervé, voilà un habile coquin et encore plus hardi qu’habile, puisqu’il a eu l’audace de me guetter à la sortie du bal et de me suivre jusqu’à ma porte. Il avait résolu de me reprendre le butin dont il m’avait chargé, sans ma permission, et je commence à croire que si ce brave Alain n’était pas survenu j’aurais passé un mauvais quart d’heure.

      Mais tout est bien qui finit bien, et il ne me reste plus qu’à aller conter ma mésaventure au commissaire de police en lui remettant ce carnet en cuir de Russie… à moins que je n’y trouve l’adresse du propriétaire… Mais quel singulier portefeuille!… il n’est pas de taille à contenir beaucoup de billets de mille et, avec ses fermoirs d’argent, il a plutôt l’air d’un carnet de boursier… ou d’un simple agenda… je m’étonne qu’il ait tenté un voleur à la tire… Il est vrai que ces messieurs-là pêchent au hasard et prennent ce qu’ils trouvent…

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