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mais nous ne gagnions pas toujours de quoi manger et il nous est arrivé plus d’une fois de coucher dehors sur un banc.

      – Quel miracle vous a tirés de cette misère!

      – Un miracle?… oui… c’en est un. Figurez-vous qu’un soir, nous crevions de faim et nous rôdions devant les cafés du boulevard Saint-Michel… nous n’osions pas demander l’aumône, mais nous espérions qu’on nous la ferait… les étudiants ont bon cœur… malheureusement il pleuvait et il ne passait presque personne. Eh! bien, le bon Dieu voulut qu’une dame s’arrêta et nous parla. La figure de Zina lui avait plu. Elle nous questionna. Je lui dis que nous étions dans la peine, sans argent, sans abri, et que nous ne demandions qu’à travailler pour gagner notre vie. Elle voulut savoir si nous étions de Paris. Je lui répondis que nous venions d’arriver de la province et que nous n’y connaissions personne. Là-dessus, elle nous dit: je ne me charge pas de vous nourrir, mais je puis vous loger. Venez avec moi.

      – Et elle vous amena ici?

      – Tout droit. Elle avait dans sa poche la clef de la porte de la rue, la clé de l’appartement que vous voyez, des allumettes et un rat de cave pour monter l’escalier, car la maison était déjà abandonnée. Elle nous fit entrer; elle nous montra les quatre pièces et le mobilier du logement. Enfin, elle nous dit: le propriétaire voyage à l’étranger, il ne reviendra que dans un an; il a des raisons pour ne pas louer sa maison pendant son absence, mais il m’a chargé d’y installer un gardien. Je ne vous connais pas encore mais vous m’inspirez confiance et je vous offre l’emploi. Il sera bien facile à remplir, car vous n’aurez qu’à surveiller et à me rendre compte…

      – Surveiller quoi?

      – Ah! voilà!… cette dame m’explique que la propriété se composait de quatre corps de logis formant un carré, avec des façades sur trois rues et sur le quai Saint-Michel… que toutes les portes étaient condamnées, excepté celle de la rue de la Huchette par laquelle nous venions d’entrer, personne ne pourrait s’introduire à notre insu, dans les bâtiments qui entourent la cour centrale.

      Nous serions là pour avertir la dame si nous nous apercevions qu’on y pénétrait, et pour lui signaler tout ce qui s’y passerait. À cette condition, nous aurions sans rien payer la jouissance du logement et des meubles, jusqu’au retour du propriétaire absent, c’est-à-dire pour un an.

      – Tu t’es empressé d’accepter?

      – Oui, notre maître. Ai-je mal fait?

      – Je ne dis pas cela. Et tu l’as revue, cette charitable gérante d’immeubles qui vous héberge pour rien?

      – Pas souvent. Elle vient à peu près une fois par mois et elle ne reste pas longtemps. Elle est venue la semaine dernière et en voilà pour trois semaines. Mais s’il y avait du nouveau ici, je lui écrirais.

      – Alors, tu sais qui elle est.

      – Je ne sais que l’adresse qu’elle m’a donnée… Mme Chauvry, à Clamart… elle m’a défendu d’aller la voir.

      – Décidément, c’est un vrai roman que cette histoire, et cette femme me fais l’effet de ne pas valoir grand-chose. Pourquoi tant de précautions et tant de mystères?

      – Ma foi! notre maître, je n’en sais rien et je ne cherche pas à le savoir… mais je la bénis tous les jours. Sans elle, ma pauvre Zina serait morte de misère. Elle ne va guère bien, mais nous avons eu de bons jours quand elle avait encore la force de travailler et j’espère que le printemps la remettra. Je ne me déplais pas ici, mais quand je pourrai partir avec elle pour Lanriec, je serai bien content de rendre les clés à Mme Chauvry… en la remerciant… et je ne lui dirais pas où nous allons…, pas plus que je ne lui ai dit que j’étais du Finistère et que Zina dansait sur la corde… Moins on parle, mieux ça vaut.

      – Approuvé, mon gars. Je suppose que tu ne parleras pas de ma visite.

      – Oh! non… d’autant que la dame m’a bien recommandé de ne recevoir personne et de voisiner le moins possible. C’est ce que je fais… et c’est tout au plus si on connaît ma figure dans le quartier, car je ne sors guère que pour aller à mon théâtre et pour acheter des remèdes… quand j’ai de quoi payer le pharmacien. Zina ne bouge plus de sa chambre depuis un mois.

      Ce colloque se tenait dans une pièce dépourvue de meubles et éclairée par une fenêtre unique donnant sur la cour, une cour carrée, dominée des quatre côtés par de hauts bâtiments. Cela ressemblait au préau d’une prison.

      Les murs s’effritaient et l’herbe poussait entre les pavés.

      – Parbleu! dit Hervé, voilà un immeuble où les voleurs ne seront pas tentés d’entrer par escalade ou par effraction. Ils n’y trouveraient rien à prendre. C’est à se demander s’il a jamais été habité… et le propriétaire, s’il compte y demeurer en revenant de voyage, aura fort à faire pour s’y installer commodément. Quelle drôle d’idée il a eue d’y placer quelqu’un pour garder des ruines! Et quelle surveillance peux-tu exercer du haut de ton cinquième étage sur cette grande caserne? As-tu seulement le moyen d’y faire des rondes?

      – J’ai la clef d’une porte qui est en bas, au fond de l’allée par laquelle vous êtes arrivé, et cette porte s’ouvre dans la cour que vous voyez.

      – T’en es-tu servi, de la clef?

      – Une seule fois… en rentrant du théâtre, après minuit. J’ai cru apercevoir d’ici de la lumière au rez-de-chaussée du bâtiment qui est à notre gauche. Ça m’a étonné et je suis descendu. Quand je suis entré dans la cour, la lumière avait disparu. J’ai écrit dès le lendemain à Mme Chauvry. Elle est venue ici deux jours après et elle m’a dit que j’avais rêvé. J’ai fini par croire que j’avais pris pour une illumination le reflet de la lune sur les vitres… cette nuit-là, elle était dans son plein, la lune, et tout en haut du ciel… depuis, je n’ai plus jamais rien vu…

      – Je ne comprends toujours pas pourquoi cette femme t’a mis dans ce logement. Peu importe, d’ailleurs, puisque ta malade en a bénéficié, mais j’espère lui trouver prochainement un domicile plus confortable, en attendant que tu t’établisses avec elle à Lanriec.

      – Je voudrais que ce fût demain.

      – Et ce ne sera guère avant la fin de l’été, car je tiens à être là pour vous installer et je vais voyager pendant quelques mois. Maintenant, mon gars, parlons un peu de ce coquin dont tu m’as débarrassé sur la place Vendôme. Tu ne l’as pas revu?

      – Non, monsieur Hervé. Et vous?

      – Pas davantage. Je pensais bien qu’il n’aurait pas l’audace de se présenter chez moi.

      – Il aurait pu vous suivre dans la rue.

      – Je crois bien que je ne l’aurais pas reconnu.

      – Oh! non… vous n’avez fait que l’entrevoir au bal… et d’ailleurs il change de figure à volonté.

      – Avant-hier, dimanche, sur le boulevard de la Madeleine, il m’a semblé un instant qu’un individu me suivait; j’ai dû me tromper, car il a disparu presque aussitôt, mais un homme averti en vaut deux et j’ouvre l’œil quand je sors. Le principal, c’est que ce gredin ne s’occupe pas de toi, mon brave. Moi, je saurai me garder.

      – Vous ferez bien, notre maître, car on ne m’ôtera pas de l’idée qu’il vous en veut… je ne sais pas pourquoi, par exemple.

      Hervé, lui, le savait bien, mais il ne jugea pas à propos de raconter à Alain l’histoire du carnet volé qu’il avait trouvé dans la poche de son habit et qui y était encore, car il aimait mieux le porter sur lui que de le serrer dans un meuble qu’on aurait pu forcer pendant son absence.

      Hervé s’était juré de ne parler à qui que ce fût de cet incident bizarre, et il n’avait pas tort.

      Alain ne disait plus mot. Un bruit le fit tressaillir.

      – C’est

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