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que je ne viens pas solliciter de vous une offrande immédiate. Je ne fais encore que de la propagande charitable. Tout ce que je vous demande, c’est de recommander à Monsieur votre père, à ses amis et aux vôtres, une idée généreuse…

      – Je vous promets de l’appuyer de toutes mes forces et je ne doute pas d’y rallier mon père, dit vivement Mlle de Bernage.

      La marquise était restée debout et Solange, qui ne se lassait pas d’admirer sa rayonnante beauté, ne songeait pas à la prier de s’asseoir; ce que voyant, la gouvernante avança un siège, et Solange pensa enfin aux présentations obligatoires en pareil cas.

      – Mme de Cornuel, dit-elle en désignant la dame de compagnie qui échangea avec l’étrangère un salut assez froid.

      M. de Scaër!

      À ce nom, la marquise tourna vivement la tête du côté où se tenait dans l’ombre Hervé qu’elle n’avait pas aperçu en entrant.

      Lui aussi, il s’était encore une fois oublié à contempler cette adorable quêteuse, et il se sentait troublé, sans savoir pourquoi.

      Il se montra pourtant, et en s’inclinant devant elle, il crut voir qu’elle changeait de visage.

      Elle rougit positivement et une flamme brilla dans ses grands yeux bleus.

      La rougeur passa vite et la flamme s’éteignit aussitôt. Mais la physionomie prit une expression d’étonnement ou d’inquiétude. Le regard semblait demander: «que fait ici ce jeune homme?»

      Hervé ne se permit pas de répondre à cette interrogation muette et la marquise, promptement remise, dit à Solange:

      – Je vous remercie, mademoiselle, et je me flatte que, sur votre recommandation, M. de Bernage ne me refusera pas son appui. Ses relations dans le monde des grandes affaires m’aideront puissamment, s’il veut bien s’intéresser à la création hospitalière que je rêve. Je regrette de ne pas le rencontrer aujourd’hui et je serai très heureuse de le recevoir quand il lui plaira de venir chez moi, car…

      – Le voici, madame, interrompit Solange, qui s’était approchée de la portière ouverte.

      M. de Bernage arrivait au moment où l’entretien allait cesser, car la marquise ne paraissait pas disposée à le prolonger, depuis que M. de Scaër était entré en scène inopinément.

      Solange courut à la rencontre de son père et l’arrêta pour le mettre en peu de mots au courant de la situation. Il l’écouta d’un air assez renfrogné, mais il se dérida dès qu’il se trouva en face de Mme de Mazatlan.

      Cette étrangère n’avait qu’à paraître pour apprivoiser les plus récalcitrants et le quinquagénaire Bernage subit comme les autres l’ascendant de sa beauté. Il fut non seulement poli, mais empressé, galant même plus qu’il ne convenait à son âge, et il fit si bien qu’il retint la marquise, prête à partir. Pour cela, il n’eut qu’à dire ce que son futur gendre n’avait pas dit. Il présenta de nouveau Hervé de Scaër, mais il le présenta comme le fiancé de sa fille, et il alla jusqu’à ajouter qu’après leur très prochain mariage, M. et Mme de Scaër seraient charmés de revoir au château de Trégunc, en Cornouailles, la marquise de Mazatlan.

      C’était, comme on dit, se jeter à la tête de cette marquise, et il fallait qu’elle l’eût ensorcelé à première vue pour qu’il s’avançât ainsi, car il n’était pas coutumier du fait.

      Hervé n’en revenait pas et se reprenait à croire que l’homme mûr qui s’enflammait si facilement pour une jolie femme avait bien pu aller, comme le prétendait Ernest Pibrac, chercher au bal de l’Opéra des bonnes fortunes d’occasion.

      Solange s’étonnait aussi d’entendre son père s’aventurer de la sorte et se réservait de décliner plus tard l’honneur d’héberger, en Bretagne, la trop séduisante marquise.

      Mme de Cornuel, plus étonnée encore, écoutait de toutes ses oreilles et oubliait de servir le thé.

      Mme de Mazatlan reçut sans enthousiasme les compliments et l’invitation, évitant de s’engager pour l’avenir et revenant toujours au but présent de sa visite.

      Sur quoi, M. de Bernage se répandit en éloges et en protestations de dévouement à la noble entreprise patronnée par la dame, déclarant qu’il lui tardait d’aller la voir, en son hôtel de l’avenue de Villiers, à seule fin de s’entendre avec elle sur la marche à suivre pour mener à bien le grand projet qu’elle caressait.

      Elle l’assura qu’il serait le très bien venu, elle le remercia chaleureusement et en excellents termes, mais elle ne se décida pas à s’asseoir.

      On eût dit qu’elle se sentait gênée depuis qu’elle n’était plus seule avec Solange. L’apparition d’Hervé l’avait surprise et sans doute les empressements de M. de Bernage la fatiguaient.

      Elle y coupa court en prenant congé.

      Bernage la reconduisit, et il l’aurait volontiers accompagnée jusqu’à sa voiture, s’il n’eût pas rencontré le valet de pied qui attendait dans l’antichambre.

      Quand il revint, il trouva Hervé et Solange échangeant des regards dont il devina certainement la signification, car il leur dit de but en blanc:

      – Vous vous demandez si j’ai perdu l’esprit de faire tant d’accueil à une marquise d’outre-mer. Vous ne savez pas que je la connaissais déjà sans l’avoir jamais vue et que je puis avoir plus tard intérêt à être bien avec elle. Elle est fort riche et il s’agit d’une très grosse affaire. Il y a dans ses propriétés de l’île de Cuba des gisements miniers dont elle ne soupçonne pas l’existence, et je suis administrateur d’une compagnie financière qui voudrait les acheter. Je la crois un peu folle et son projet d’hôpital pour les phtisiques est une lubie qui lui aura passé par la cervelle. Mais pour la disposer à nous vendre à de bonnes conditions ses terrains, je l’aiderai volontiers… de mes conseils et même de mon influence.

      Le rusé financier ajouta en riant:

      – Quant à l’hospitalité que je lui ai offerte, sans vous consulter, vous pourriez la lui accorder sans trop d’inconvénients, car ce n’est pas une aventurière ni une marquise de contrebande; mais vous ne serez pas installés là-bas avant la fin de l’été… et alors, je n’aurai plus besoin d’elle.

      Vous comprenez, mon cher baron?

      – Parfaitement, dit Hervé, quoiqu’il persistât à penser que son futur beau-père avait de tout autres desseins.

      – Eh! bien, moi, s’écria Solange, je serais désolée qu’elle vînt à Trégunc. Elle est si jolie qu’auprès d’elle, je paraîtrais laide.

      Hervé protesta d’un geste, mais Solange reprit:

      – Pourquoi donc a-t-elle rougi quand vous vous êtes montré?

      – Je… je n’ai pas remarqué, balbutia le fiancé.

      – Vraiment!… eh! bien, j’en suis sûre… et je crois qu’elle a rougi, parce qu’elle ne s’attendait pas à vous trouver ici.

      – Mais elle ne me connaît pas!

      – Qu’en savez-vous?

      – Quoi qu’il en soit, je vous jure, mademoiselle, que je viens de la voir pour la première fois de ma vie.

      – Il ne faut jurer de rien.

      – C’est le titre d’un proverbe d’Alfred de Musset, dit gaiement Hervé; mais puisque vous me défendez de jurer, je me contente d’affirmer… que je ne l’avais jamais aperçue, même de loin.

      – Moi, dit M. de Bernage, je vous crois d’autant mieux qu’elle habite ce quartier et que je ne l’ai jamais rencontrée dans la rue.

      – Ni moi non plus, murmura la gouvernante.

      – Probablement, elle ne sort qu’en voiture. Peu nous importe, du reste, et je te prie, ma chère Solange, de

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