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ses droits contre l’homme blanc.

      2º Les qualités nécessaires pour maintenir ses droits sont l’énergie, le courage, le respect de soi-même, la fermeté, la foi en sa force et en sa dignité; mais ces qualités ne peuvent être acquises par l’esclave que dans une lutte armée pour rentrer dans ses droits.

      3° Lorsqu’un peuple, tombé entre les mains de brigands, a, par suite de plusieurs années d’oppression, perdu ces qualités, il est non seulement du droit, mais du devoir de l’homme blanc de travailler en faveur de ce peuple, de verser le baume et l’huile dans ses plaies et de le soutenir jusqu’à ce qu’il puisse marcher tout seul.

      «Depuis 1831, jusqu’en 1854, dit encore M. Marquand, nous trouvons John Brown occupé à réaliser sa grande idée. Quoique à peu près seul à l’œuvre, rien ne le rebute; il arrache à l’esclavage un grand nombre de nègres et brave tous les dangers pour les assister dans leur fuite».

      Le bruit des troubles qui ont éclaté dans le Kansas parvient à ses oreilles. Il voit là, une excellente occasion de faire prévaloir ses doctrines, et abandonnant immédiatement la Virginie, il vole offrir son grand cœur aux abolitionnistes.

      C’est pourquoi, dès 1855, il apparaît avec ses sept garçons sur les bords du Missouri, où l’a précédé une réputation colossale.

      En arrivant dans le Kansas, il acheta une ferme, puis monta une scierie et en commença l’exploitation.

      Mais il ne tarda guère à essuyer les violences des esclavagistes.

      Un soir, entouré de sa robuste famille, il faisait, suivant son habitude, la lecture d’un passage de la Bible, lorsqu’on heurta brusquement à la porte de l’habitation.

      – Entrez, dit Brown, de sa voix calme et ferme.

      La porte s’ouvrit pour donner accès à Edwin Coppie.

      Le jeune homme était essoufflé, hors d’haleine.

      Les fils de Brown l’interrogèrent d’un regard anxieux. Mais le père continua froidement sa lecture:

      «Ils immolent des bœufs en mon honneur et ils se rendent homicides; ils font couler le sang des agneaux et ils offrent des chiens en sacrifice, vos offrandes sont pour moi comme des animaux immondes, votre encens comme l’encens des idoles. Vous n’avez pas abandonné vos vices, et votre âme s’est réjouie dans vos abominations.

      Je choisirai des maux pour vous; je ferai tomber sur vos têtes les fléaux que vous craignez. J’ai appelé, nul ne m’a répondu. J’ai parlé, qui m’a entendu? Ils ont fait le mal en ma présence; ils ont choisi ce que je n’ai pas voulu».

      Pendant ce temps, Edwin s’était remis.

      – Capitaine, dit-il en s’approchant de Brown.

      – Je t’écoute, mon fils, répondit celui-ci en fermant le livre sacré et en posant un signet à la place où il avait suspendu sa lecture.

      – Capitaine, reprit Coppie, les esclavagistes ont dévasté les terres que vous possédiez près de Lexington, brûlé les récoltes, enlevé les troupeaux et égorgé les bergers.

      À ces mots, les fils de Brown se levèrent tous ensemble et se précipitèrent sur des armes pendues aux parois de la chambre où se passait cette scène.

      – Paix, mes enfants, paix, fit-il avec un geste de la main pour modérer leur fougue; paix! Le juste a dit:

      «La patience est une grande sagesse: l’homme emporté manifeste sa folie».

      Puis, s’adressant à Coppie:

      – Combien y a-t-il de temps que cela s’est passé?

      – Dans la nuit d’hier je chassais avec Cox aux environs; j’ai pu voir nos ennemis qui se retiraient en emmenant leur butin. Hamilton les commandait.

      – Cet Hamilton!… Ah! qu’il ne tombe jamais à portée de ma carabine ou de mon couteau-bowie, s’écria le fils aîné de Brown.

      – Silence! lui commanda sévèrement son père; c’est la justice et non la vengeance que nous devons exercer. «Ne dis point: je me vengerai, attends le Seigneur, et il te délivrera».

      Le jeune homme baissa respectueusement la tête, et Brown continua:

      – Dites-moi, Coppie, de quel côté sont-ils allés?

      – Ils se sont réfugiés vers la rivière Kansas.

      – Étaient-ils nombreux?

      – Vingt-cinq ou trente.

      – Vingt-cinq ou trente, répéta le capitaine d’un ton rêveur.

      Il réfléchit pendant une minute; puis, promenant un coup d’œil satisfait sur les sept hercules que la nature lui avait donnés:

      – Mes enfants, demanda-t-il, vous sentez-vous de taille, en y joignant nos amis Coppie, Cox, Hazlett, Stevens et Joe, à vous mesurer avec les vingt-cinq bandits qui ont saccagé nos biens, massacré nos serviteurs?

      – À l’instant, père! clamèrent-ils à l’envi.

      – Que le Dieu d’Israël vous bénisse, et qu’il vous protège contre nos ennemis, car nous allons sans tarder marcher sur eux, dit le vieux Brown en levant les yeux au ciel.

      – Amen! répondirent les assistants.

      – Mais où sont les autres? interrogea encore le capitaine.

      – Cox et Hazlett sont restés près de Lexington pour surveiller les esclavagistes; Stevens et Joe m’accompagnent. J’ai couru un peu, afin de vous prévenir plus tôt. Sans cela, ils seraient arrivés avec moi.

      – En route donc! dit Brown en examinant les amorces de sa carabine.

      Chacun de ses fils s’arma d’un fusil à deux coups, d’une paire de revolvers, d’un couteau à double tranchant, d’une hache; chacun remplit de munitions et de provisions de bouche une gibecière en peau de daim, et la petite troupe sortit de la ferme, le vieux Brown en tête.

      La porte de l’habitation ne fut pas fermée, car on savait que l’on n’y reviendrait pas et qu’avant deux jours l’ennemi l’aurait brûlée.

      Au moment du départ, le soleil se couchait sous un épais rideau de nuages noirs avec de larges franges orangées; le vent soufflait par rafales bruyantes; du sud-ouest, comme un écho de l’Océan courroucé, montaient les grondements de la foudre; tout faisait présager une nuit sombre, tempétueuse.

      V. L’expédition[5]

      Presque au sortir de la ferme, la bande s’engagea dans un chemin creux, qui courait le long d’une petite rivière. Des rochers énormes, tantôt à pic, tantôt surplombant le sentier, et tantôt fuyant en arrière par un angle aigu, bastionnaient la passe d’un côté, tandis qu’une immense prairie, dont les herbes dépassaient de plusieurs pieds la tête des voyageurs, l’encaissait de l’autre côté.

      Cette passe, connue de John Brown et de ses fils seulement, menait à la rivière Kansas; mais elle se bifurquait plusieurs fois avant d’y aboutir.

      Quoiqu’elle fût au ras du sol de la prairie, on se serait cru à vingt mètres sous terre, tant les sons d’en haut descendaient sourds et profonds.

      Les mugissements du vent y parvenaient à peine; les cimes des longues tiges herbacées frémissaient, grésillaient avec un bruit monotone, irritant et fouettaient les piétons à la face. Mais les roulements du tonnerre se faisaient plus imposants dans l’étroit sentier. Son rempart de granit en tremblait. On eût pu craindre qu’il ne s’écroulât sur les audacieux qui bravaient ainsi les fureurs de l’ouragan.

      À ces voix lugubres, ajoutez, d’intervalle en intervalle, la plainte aiguë de quelque nocturne habitant des airs, ou un rugissement qui glace les bêtes d’épouvante et fait frissonner les hommes les plus hardis, le rugissement du carcajou; l’animal sanguinaire s’il en fût, l’ennemi caché qui peut à chaque pas fondre sur vous et vous trancher

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