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repas terminé, Pencroff demanda au reporter si celui-ci voulait les accompagner dans la forêt, où Harbert et lui allaient essayer de chasser! Mais, toute réflexion faite, il était nécessaire que quelqu’un restât, afin d’entretenir le feu, et pour le cas, fort improbable, où Nab aurait eu besoin d’aide. Le reporter resta donc.

      «En chasse, Harbert, dit le marin. Nous trouverons des munitions sur notre route, et nous couperons notre fusil dans la forêt.»

      Mais, au moment de partir, Harbert fit observer que, puisque l’amadou manquait, il serait peut-être prudent de le remplacer par une autre substance.

      «Laquelle? demanda Pencroff.

      – Le linge brûlé, répondit le jeune garçon. Cela peut, au besoin, servir d’amadou.»

      Le marin trouva l’avis fort sensé. Seulement, il avait l’inconvénient de nécessiter le sacrifice d’un morceau de mouchoir. Néanmoins, la chose en valait la peine, et le mouchoir à grands carreaux de Pencroff fut bientôt réduit, pour une partie, à l’état de chiffon à demi brûlé. Cette matière inflammable fut déposée dans la chambre centrale, au fond d’une petite cavité du roc, à l’abri de tout vent et de toute humidité.

      Il était alors neuf heures du matin. Le temps menaçait, et la brise soufflait du sud-est. Harbert et Pencroff tournèrent l’angle des Cheminées, non sans avoir jeté un regard sur la fumée qui se tordait à une pointe de roc; puis, ils remontèrent la rive gauche de la rivière.

      Arrivé à la forêt, Pencroff cassa au premier arbre deux solides branches qu’il transforma en gourdins, et dont Harbert usa la pointe sur une roche. Ah! que n’eût-il donné pour avoir un couteau! Puis, les deux chasseurs s’avancèrent dans les hautes herbes, en suivant la berge. À partir du coude qui reportait son cours dans le sud-ouest, la rivière se rétrécissait peu à peu, et ses rives formaient un lit très encaissé recouvert par le double arceau des arbres. Pencroff, afin de ne pas s’égarer, résolut de suivre le cours d’eau qui le ramènerait toujours à son point de départ. Mais la berge n’était pas sans présenter quelques obstacles, ici des arbres dont les branches flexibles se courbaient jusqu’au niveau du courant, là des lianes ou des épines qu’il fallait briser à coups de bâton. Souvent, Harbert se glissait entre les souches brisées avec la prestesse d’un jeune chat, et il disparaissait dans le taillis. Mais Pencroff le rappelait aussitôt en le priant de ne point s’éloigner.

      Cependant, le marin observait avec attention la disposition et la nature des lieux. Sur cette rive gauche, le sol était plat et remontait insensiblement vers l’intérieur. Quelquefois humide, il prenait alors une apparence marécageuse.

      On y sentait tout un réseau sous-jacent de filets liquides qui, par quelque faille souterraine, devaient s’épancher vers la rivière. Quelquefois aussi, un ruisseau coulait à travers le taillis, que l’on traversait sans peine. La rive opposée paraissait être plus accidentée, et la vallée, dont la rivière occupait le thalweg, s’y dessinait plus nettement. La colline, couverte d’arbres disposés par étages, formait un rideau qui masquait le regard. Sur cette rive droite, la marche eût été difficile, car les déclivités s’y abaissaient brusquement, et les arbres, courbés sur l’eau, ne se maintenaient que par la puissance de leurs racines.

      Inutile d’ajouter que cette forêt, aussi bien que la côte déjà parcourue, était vierge de toute empreinte humaine. Pencroff n’y remarqua que des traces de quadrupèdes, des passées fraîches d’animaux, dont il ne pouvait reconnaître l’espèce. Très certainement, – et ce fut aussi l’opinion d’Harbert, – quelques-unes avaient été laissées par des fauves formidables avec lesquels il y aurait à compter sans doute; mais nulle part la marque d’une hache sur un tronc d’arbre, ni les restes d’un feu éteint, ni l’empreinte d’un pas; ce dont on devait se féliciter peut-être, car sur cette terre, en plein Pacifique, la présence de l’homme eût été peut-être plus à craindre qu’à désirer.

      Harbert et Pencroff, causant à peine, car les difficultés de la route étaient grandes, n’avançaient que fort lentement, et, après une heure de marche, ils avaient à peine franchis un mille. Jusqu’alors, la chasse n’avait pas été fructueuse. Cependant, quelques oiseaux chantaient et voletaient sous la ramure, et se montraient très farouches, comme si l’homme leur eût instinctivement inspiré une juste crainte. Entre autres volatiles, Harbert signala, dans une partie marécageuse de la forêt, un oiseau à bec aigu et allongé, qui ressemblait anatomiquement à un martin-pêcheur. Toutefois, il se distinguait de ce dernier par son plumage assez rude, revêtu d’un éclat métallique.

      «Ce doit être un «jacamar», dit Harbert, en essayant d’approcher l’animal à bonne portée.

      – Ce serait bien l’occasion de goûter du jacamar, répondit le marin, si cet oiseau-là était d’humeur à se laisser rôtir!»

      En ce moment, une pierre, adroitement et vigoureusement lancée par le jeune garçon, vint frapper le volatile à la naissance de l’aile; mais le coup ne fut pas suffisant, car le jacamar s’enfuit de toute la vitesse de ses jambes et disparut en un instant.

      «Maladroit que je suis! s’écria Harbert.

      – Eh non, mon garçon! répondit le marin. Le coup était bien porté, et plus d’un aurait manqué l’oiseau. Allons! ne vous dépitez pas! Nous le rattraperons un autre jour!»

      L’exploration continua. À mesure que les chasseurs s’avançaient, les arbres, plus espacés, devenaient magnifiques, mais aucun ne produisait de fruits comestibles. Pencroff cherchait vainement quelques-uns de ces précieux palmiers qui se prêtent à tant d’usages de la vie domestique, et dont la présence a été signalée jusqu’au quarantième parallèle dans l’hémisphère boréal et jusqu’au trente-cinquième seulement dans l’hémisphère austral.

      Mais cette forêt ne se composait que de conifères, tels que les déodars, déjà reconnus par Harbert, des «douglas», semblables à ceux qui poussent sur la côte nord-ouest de l’Amérique, et des sapins admirables, mesurant cent cinquante pieds de hauteur. En ce moment, une volée d’oiseaux de petite taille et d’un joli plumage, à queue longue et chatoyante, s’éparpillèrent entre les branches, semant leurs plumes, faiblement attachées, qui couvrirent le sol d’un fin duvet. Harbert ramassa quelques-unes de ces plumes, et, après les avoir examinées:

      «Ce sont des «couroucous», dit-il.

      – Je leur préférerais une pintade ou un coq de bruyère, répondit Pencroff; mais enfin, s’ils sont bons à manger?…

      – Ils sont bons à manger, et même leur chair est très délicate, reprit Harbert. D’ailleurs, si je ne me trompe, il est facile de les approcher et de les tuer à coups de bâton.»

      Le marin et le jeune garçon, se glissant entre les herbes, arrivèrent au pied d’un arbre dont les basses branches étaient couvertes de petits oiseaux. Ces couroucous attendaient au passage les insectes qui leur servent de nourriture. On voyait leurs pattes emplumées serrer fortement les pousses moyennes qui leur servaient d’appui.

      Les chasseurs se redressèrent alors, et, avec leurs bâtons manœuvrés comme une faux, ils rasèrent des files entières de ces couroucous, qui ne songeaient point à s’envoler et se laissèrent stupidement abattre. Une centaine jonchait déjà le sol, quand les autres se décidèrent à fuir.

      «Bien, dit Pencroff, voilà un gibier tout à fait à la portée de chasseurs tels que nous! On le prendrait à la main!»

      Le marin enfila les couroucous, comme des mauviettes, au moyen d’une baguette flexible, et l’exploration continua. On put observer que le cours d’eau s’arrondissait légèrement, de manière à former un crochet vers le sud, mais ce détour ne se prolongeait vraisemblablement pas, car la rivière devait prendre sa source dans la montagne et s’alimenter de la fonte des neiges qui tapissaient les flancs du cône central.

      L’objet particulier de cette excursion était, on le sait, de procurer aux hôtes des Cheminées la plus grande quantité possible de gibier. On ne pouvait dire que le but jusqu’ici eût été atteint. Aussi

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