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est triste et beau comme un grand reposoir.

      Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige,

      Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir!

      Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;

      Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige.

      Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,

      Du passé lumineux recueille tout vestige!

      Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige…

      Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!

      XLVIII. Le flacon

      Il est de forts parfums pour qui toute matière

      Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.

      En ouvrant un coffret venu de l’Orient

      Dont la serrure grince et rechigne en criant,

      Ou dans une maison déserte quelque armoire

      Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire,

      Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,

      D’où jaillit toute vive une âme qui revient.

      Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,

      Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,

      Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,

      Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.

      Voilà le souvenir enivrant qui voltige

      Dans l’air troublé; les yeux se ferment; le Vertige

      Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains

      Vers un gouffre obscurci de miasmes humains;

      Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,

      Où, Lazare odorant déchirant son suaire,

      Se meut dans son réveil le cadavre spectral

      D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.

      Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire

      Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire

      Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,

      Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,

      Je serai ton cercueil, aimable pestilence!

      Le témoin de ta force et de ta virulence,

      Cher poison préparé par les anges! Liqueur

      Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur!

      XLIX. Le poison

      Le vin sait revêtir le plus sordide bouge

      D’un luxe miraculeux,

      Et fait surgir plus d’un portique fabuleux

      Dans l’or de sa vapeur rouge,

      Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux.

      L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,

      Allonge l’illimité,

      Approfondit le temps, creuse la volupté,

      Et de plaisirs noirs et mornes

      Remplit l’âme au delà de sa capacité.

      Tout cela ne vaut pas le poison qui découle

      De tes yeux, de tes yeux verts,

      Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers…

      Mes songes viennent en foule

      Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

      Tout cela ne vaut pas le terrible prodige

      De ta salive qui mord,

      Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord,

      Et, charriant le vertige,

      La roule défaillante aux rives de la mort!

      L. Ciel brouillé

      On dirait ton regard d’une vapeur couvert;

      Ton œil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert?)

      Alternativement tendre, rêveur, cruel

      Réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel.

      Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,

      Qui font se fondre en pleurs les cœurs ensorcelés,

      Quand, agités d’un mal inconnu qui les tord,

      Les nerfs trop éveillés raillent l’esprit qui dort.

      Tu ressembles parfois à ces beaux horizons

      Qu’allument les soleils des brumeuses saisons…

      Comme tu resplendis, paysage mouillé

      Qu’enflamment les rayons tombant d’un ciel brouillé!

      Ô femme dangereuse, ô séduisants climats!

      Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas,

      Et saurai-je tirer de l’implacable hiver

      Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer?

      LI. Le chat

      I

      Dans ma cervelle se promène,

      Ainsi qu’en son appartement,

      Un beau chat, fort, doux et charmant.

      Quand il miaule, on l’entend à peine,

      Tant son timbre est tendre et discret;

      Mais que sa voix s’apaise ou gronde,

      Elle est toujours riche et profonde.

      C’est là son charme et son secret.

      Cette voix, qui perle et qui filtre

      Dans mon fonds le plus ténébreux,

      Me remplit comme un vers nombreux

      Et me réjouit comme un philtre.

      Elle endort les plus cruels maux

      Et contient toutes les extases;

      Pour dire les plus longues phrases,

      Elle n’a pas besoin de mots.

      Non, il n’est pas d’archet qui morde

      Sur mon cœur, parfait instrument,

      Et fasse plus royalement

      Chanter sa plus vibrante corde,

      Que ta voix, chat mystérieux,

      Chat séraphique, chat étrange,

      En qui tout est, comme en un ange,

      Aussi subtil qu’harmonieux!

      II

      De sa fourrure blonde et brune

      Sort un parfum si doux, qu’un soir

      J’en fus embaumé, pour l’avoir

      Caressée une fois, rien qu’une.

      C’est l’esprit familier du lieu;

      Il juge, il préside, il inspire

      Toutes choses dans son empire;

      Peut-être est-il fée, est-il dieu?

      Quand mes yeux, vers ce chat que j’aime

      Tirés comme par un aimant,

      Se retournent docilement

      Et que je regarde en moi-même,

      Je vois avec étonnement

      Le

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