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madame, dit Maurice, vous savez que toutes les affections vives ont leurs jalousies, et mon amitié était jalouse de celle que vous paraissez avoir pour M. Morand.

      Il se tut. Geneviève, de son côté, garda le silence. Il ne fut plus question, ce jour-là, de Morand, et Maurice quitta cette fois Geneviève plus amoureux que jamais, car il était jaloux.

      Puis, si aveugle que fût le jeune homme, quelque bandeau sur les yeux, quelque trouble dans son cœur que lui mît sa passion, il y avait dans le récit de Geneviève bien les larmes, bien des hésitations, bien des réticences auxquelles il n’avait point fait attention dans le moment, mais qui, alors, lui revenaient à l’esprit, et qui le tourmentaient étrangement, et contre lesquelles ne pouvaient le rassurer la grande liberté que lui laissait Dixmer de causer avec Geneviève autant de fois et aussi longtemps qu’il lui plaisait, et l’espèce de solitude où tous deux se trouvaient chaque soir. Il y avait plus: Maurice, devenu le commensal de la maison, non seulement restait en toute sécurité avec Geneviève, qui semblait, d’ailleurs, gardée contre les désirs du jeune homme par sa pureté d’ange, mais encore il l’escortait dans les petites courses qu’elle était obligée, de temps en temps de faire dans le quartier.

      Au milieu de cette familiarité acquise dans la maison, une chose l’étonnait, c’était que plus il cherchait, peut-être, il est vrai, pour être à même de mieux surveiller les sentiments qu’il lui croyait pour Geneviève, c’est que plus il cherchait, disons-nous, à lier connaissance avec Morand, dont l’esprit, malgré ses préventions, le séduisait, dont les manières élevées le captivaient chaque jour davantage, plus cet homme bizarre semblait affecter de chercher à s’éloigner de Maurice. Celui-ci s’en plaignait amèrement à Geneviève, car il ne doutait pas que Morand n’eût deviné en lui un rival et que ce ne fût, de son côté, la jalousie qui l’éloignât de lui.

      – Le citoyen Morand me hait, dit-il un jour à Geneviève.

      – Vous? dit Geneviève en le regardant avec son bel œil étonné; vous, M. Morand vous hait?

      – Oui, j’en suis sûr.

      – Et pourquoi vous haïrait-il?

      – Voulez-vous que je vous le dise? s’écria Maurice.

      – Sans doute, reprit Geneviève.

      – Eh bien, parce que je…

      Maurice s’arrêta. Il allait dire: « Parce que je vous aime. »

      – Je ne puis vous dire pourquoi, reprit Maurice en rougissant.

      Le farouche républicain, près de Geneviève, était timide et hésitant comme une jeune fille.

      Geneviève sourit.

      – Dites, reprit-elle, qu’il n’y a pas de sympathie entre vous, et je vous croirai peut-être. Vous êtes une nature ardente, un esprit brillant, un homme recherché; Morand est un marchand greffé sur un chimiste. Il est timide, il est modeste… et c’est cette timidité et cette modestie qui l’empêchent de faire le premier pas au-devant de vous.

      – Eh! qui lui demande de faire le premier pas au-devant de moi? J’en ai fait cinquante, moi, au-devant de lui; il ne m’a jamais répondu. Non, continua Maurice en secouant la tête; non, ce n’est certes point cela.

      – Eh bien, qu’est-ce alors?

      Maurice préféra se taire.

      Le lendemain du jour où il avait eu cette explication avec Geneviève, il arriva chez elle à deux heures de l’après-midi; il la trouva en toilette de sortie.

      – Ah! soyez le bienvenu, dit Geneviève, vous allez me servir de chevalier.

      – Et où allez-vous donc? demanda Maurice.

      – Je vais à Auteuil. Il fait un temps délicieux. Je désirerais marcher un peu à pied; notre voiture nous conduira jusqu’au delà de la barrière, où nous la retrouverons, puis nous gagnerons Auteuil en nous promenant, et, quand j’aurai fini ce que j’ai à faire à Auteuil, nous reviendrons la prendre.

      – Oh! dit Maurice enchanté, l’excellente journée que vous m’offrez là!

      Les deux jeunes gens partirent. Au delà de Passy, la voiture les descendit sur la route. Ils sautèrent légèrement sur le revers du chemin et continuèrent leur promenade à pied.

      En arrivant à Auteuil, Geneviève s’arrêta.

      – Attendez-moi au bord du parc, dit-elle, j’irai vous rejoindre quand j’aurai fini.

      – Chez qui allez-vous donc? demanda Maurice.

      – Chez une amie.

      – Où je ne puis vous accompagner?

      Geneviève secoua la tête en souriant.

      – Impossible, dit-elle. Maurice se mordit les lèvres.

      – C’est bien, dit-il, j’attendrai.

      – Eh! quoi? demanda Geneviève.

      – Rien, répondit Maurice. Serez-vous longtemps?

      – Si j’avais cru vous déranger, Maurice, si j’avais su que votre journée fût prise, dit Geneviève, je ne vous eusse point prié de me rendre le petit service de venir avec moi, je me fusse fait accompagner par…

      – Par M. Morand? interrogea vivement Maurice.

      – Non point. Vous savez que M. Morand est à la fabrique de Rambouillet et ne doit revenir que ce soir.

      – Alors, voilà à quoi j’ai dû la préférence?

      – Maurice, dit doucement Geneviève, je ne puis faire attendre la personne qui m’a donné rendez-vous; si cela vous gêne de me ramener, retournez à Paris; seulement, renvoyez-moi la voiture.

      – Non, non, madame, dit vivement Maurice, je suis à vos ordres.

      Et il salua Geneviève, qui poussa un faible soupir et entra dans Auteuil.

      Maurice alla au rendez-vous convenu et se promena de long en large, abattant de sa canne, comme Tarquin, toutes les têtes d’herbe, de fleurs ou de chardons qui se trouvaient sur son chemin. Au reste, ce chemin était borné à un petit espace; comme tous les gens fortement préoccupés, Maurice allait et revenait presque aussitôt sur ses pas.

      Ce qui occupait Maurice, c’était de savoir si Geneviève l’aimait ou ne l’aimait point: toutes ses manières avec le jeune homme étaient celles d’une sœur ou d’une amie; mais il sentait que ce n’était plus assez. Lui l’aimait de tout son amour. Elle était devenue la pensée éternelle de ses jours, le rêve sans cesse renouvelé de ses nuits. Autrefois, il ne demandait qu’une chose, revoir Geneviève. Maintenant, ce n’était plus assez: il fallait que Geneviève l’aimât.

      Geneviève resta absente pendant une heure, qui lui parut un siècle; puis, il la vit venir à lui, le sourire sur les lèvres. Maurice, au contraire, marcha à elle, les sourcils froncés. Notre pauvre cœur est ainsi fait, qu’il s’efforce de puiser la douleur au sein du bonheur même.

      Geneviève prit en souriant le bras de Maurice.

      – Me voilà, dit-elle; pardon, mon ami, de vous avoir fait attendre…

      Maurice répondit par un mouvement de tête, et tous deux prirent une charmante allée, molle, ombreuse, touffue, qui, par un détour, devait les amener à la grand’route.

      C’était une de ces délicieuses soirées de printemps où chaque plante envoie au ciel son émanation, où chaque oiseau, immobile sur la branche ou sautillant dans les broussailles, jette son hymne d’amour à Dieu, une de ces soirées enfin qui semblent destinées à vivre dans le souvenir.

      Maurice était muet; Geneviève était pensive: elle effeuillait d’une main les fleurs d’un bouquet, qu’elle tenait de son autre main appuyée au bras de Maurice.

      – Qu’avez-vous? demanda tout à coup Maurice, et qui vous rend donc si triste aujourd’hui?

      Geneviève

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