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l’orient, un ami veille encore.

      Maurice n’eut pas plutôt jeté les yeux sur ce papier qu’il tressaillit.

      L’écriture ne lui semblait pas inconnue.

      – Oh! mon Dieu! s’écria-t-il, serait-ce celle de Geneviève? Oh! mais non, c’est impossible, et je suis fou. Elle lui ressemble, sans doute; mais que pourrait avoir de commun Geneviève avec la reine?

      Il se retourna et vit que Marie-Antoinette le regardait. Quant à la femme Tison, dans l’attente de son sort, elle dévorait Maurice des yeux.

      – Tu viens de faire une bonne œuvre, dit-il à la femme Tison; et vous, citoyenne, une belle œuvre, dit-il à la reine.

      – Alors, monsieur, répondit Marie-Antoinette, que mon exemple vous détermine; brûlez ce papier, et vous ferez une œuvre charitable.

      – Tu plaisantes, l’Autrichienne, dit Agricola; brûler un papier qui va nous faire pincer toute une couvée d’aristocrates peut-être? Ma foi, non, ce serait trop bête.

      – Au fait, brûlez-le, dit la femme Tison; cela pourrait compromettre ma fille.

      – Je le crois bien, ta fille et les autres, dit Agricola en prenant des mains de Maurice le papier que celui-ci eût certes brûlé, s’il eût été tout seul.

      Dix minutes après, le billet fut déposé sur le bureau des membres de la Commune; il fut ouvert à l’instant même et commenté de toutes façons.

      – À l’orient, un ami veille, dit une voix. Que diable cela peut-il signifier?

      – Pardieu! répondit un géographe, à Lorient, c’est clair: Lorient est une petite ville de la Bretagne, située entre Vannes et Quimper. Morbleu! on devrait brûler la ville, s’il est vrai qu’elle renferme des aristocrates qui veillent encore sur l’Autrichienne.

      – C’est d’autant plus dangereux, dit un autre, que, Lorient étant un port de mer, on peut y établir des intelligences avec les Anglais.

      – Je propose, dit un troisième, qu’on envoie une commission à Lorient, et qu’une enquête y soit faite.

      Maurice avait été informé de la délibération.

      – Je me doute bien où peut être l’orient dont il s’agit, se dit-il; mais, à coup sûr, ce n’est pas en Bretagne.

      Le lendemain, la reine, qui, ainsi que nous l’avons dit, ne descendait plus au jardin pour ne point passer devant la chambre où avait été enfermé son mari, demanda à monter sur la tour pour y prendre un peu d’air avec sa fille et Madame Élisabeth.

      La demande lui fut accordée à l’instant même; mais Maurice monta, et, s’arrêtant derrière une espèce de petite guérite qui abritait le haut de l’escalier, il attendit, caché, le résultat du billet de la veille.

      La reine se promena d’abord indifféremment avec Madame Élisabeth et sa fille; puis elle s’arrêta, tandis que les deux princesses continuaient de se promener, se retourna vers l’est et regarda attentivement une maison, aux fenêtres de laquelle apparaissaient plusieurs personnes; l’une de ces personnes tenait un mouchoir blanc.

      Maurice, de son côté, tira une lunette de sa poche, et, tandis qu’il l’ajustait, la reine fit un grand mouvement, comme pour inviter les curieux de la fenêtre à s’éloigner. Mais Maurice avait déjà remarqué une tête d’homme aux cheveux blonds, au teint pâle, dont le salut avait été respectueux jusqu’à l’humilité.

      Derrière ce jeune homme, car le curieux paraissait avoir au plus de vingt-cinq à vingt-six ans, se tenait une femme à moitié cachée par lui. Maurice dirigea sa lorgnette sur elle, et, croyant reconnaître Geneviève, fit un mouvement qui le mit en vue. Aussitôt la femme qui, de son côté, tenait aussi une lorgnette à la main, se rejeta en arrière, entraînant le jeune homme avec elle. Était-ce réellement Geneviève? avait-elle, de son côté, reconnu Maurice? Le couple curieux s’était-il retiré seulement sur l’invitation que lui en avait faite la reine?

      Maurice attendit un instant pour voir si le jeune homme et la jeune femme ne reparaîtraient point. Mais, voyant que la fenêtre restait vide, il recommanda la plus grande surveillance à son collègue Agricola, descendit précipitamment l’escalier et alla s’embusquer à l’angle de la rue Porte-Foin, pour voir si les curieux de la maison en sortiraient. Ce fut en vain, personne ne parut.

      Alors, ne pouvant résister à ce soupçon qui lui mordait le cœur, depuis le moment où la compagne de la fille Tison s’était obstinée à demeurer cachée et à rester muette, Maurice prit sa course vers la vieille rue Saint-Jacques, où il arriva l’esprit tout bouleversé des plus étranges soupçons.

      Lorsqu’il entra, Geneviève, en peignoir blanc, était assise sous une tonnelle de jasmins, où elle avait l’habitude de se faire servir à déjeuner. Elle donna, comme à l’ordinaire, un bonjour affectueux à Maurice, et l’invita à prendre une tasse de chocolat avec elle.

      De son côté, Dixmer, qui arriva sur ces entrefaites, exprima la plus grande joie de voir Maurice à cette heure inattendue de la journée; mais avant que Maurice prît la tasse de chocolat qu’il avait acceptée, toujours plein d’enthousiasme pour son commerce, il exigea que son ami le secrétaire de la section Lepelletier vînt faire avec lui un tour dans les ateliers. Maurice y consentit.

      – Apprenez, mon cher Maurice, dit Dixmer en prenant le bras du jeune homme et en l’entraînant, une nouvelle des plus importantes.

      – Politique? demanda Maurice, toujours préoccupé de son idée.

      – Eh! cher citoyen, répondit Dixmer en souriant, est-ce que nous nous occupons de politique, nous? Non, non, une nouvelle tout industrielle, Dieu merci! Mon honorable ami Morand, qui, comme vous le savez, est un chimiste des plus distingués, vient de trouver le secret d’un maroquin rouge, comme on n’en a pas encore vu jusqu’à présent, c’est-à-dire inaltérable. C’est cette teinture que je vais vous montrer. D’ailleurs, vous verrez Morand à l’œuvre; celui-là, c’est un véritable artiste.

      Maurice ne comprenait pas trop comment on pouvait être artiste en maroquin rouge. Mais il n’en accepta pas moins, suivit Dixmer, traversa les ateliers, et, dans une espèce d’officine particulière, vit le citoyen Morand à l’œuvre: il avait ses lunettes bleues et son habit de travail, et paraissait effectivement on ne peut pas plus occupé de changer en pourpre le blanc sale d’une peau de mouton. Ses mains et ses bras, qu’on apercevait sous ses manches retroussées, étaient rouges jusqu’au coude. Comme le disait Dixmer, il s’en donnait à cœur joie dans la cochenille.

      Il salua Maurice de la tête, tout entier qu’il était à sa besogne.

      – Eh bien, citoyen Morand, demanda Dixmer, que disons-nous?

      – Nous gagnerons cent mille livres par an, rien qu’avec ce procédé, dit Morand. Mais voilà huit jours que je ne dors pas, et les acides m’ont brûlé la vue.

      Maurice laissa Dixmer avec Morand et rejoignit Geneviève en murmurant tout bas:

      – Il faut avouer que le métier de municipal abrutirait un héros. Au bout de huit jours de Temple, on se prendrait pour un aristocrate et l’on se dénoncerait soi-même. Bon Dixmer, va! brave Morand! suave Geneviève! Et moi qui les avais soupçonnés un instant!

      Geneviève attendait Maurice avec son doux sourire, pour lui faire oublier jusqu’à l’apparence des soupçons qu’il avait effectivement conçus. Elle fut ce qu’elle était toujours: douce, amicale, charmante.

      Les heures où Maurice voyait Geneviève étaient les heures où il vivait réellement. Tout le reste du temps, il avait cette fièvre qu’on pourrait appeler la fièvre 93, qui séparait Paris en deux camps et faisait de l’existence un combat de chaque heure.

      Vers midi, il lui fallut cependant quitter Geneviève et retourner au Temple.

      À l’extrémité de la rue Sainte-Avoye, il rencontra Lorin, qui descendait sa garde: il était en serre-file; il se détacha de son rang

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