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de faire connaissance avec des personnages distingués. C’est ainsi qu’il avait été très heureux, ce jour-là, de faire connaissance avec le fameux avocat de Pétersbourg, pour qui sa considération avait encore doublé quand il avait su qu’un seul procès lui avait rapporté dix mille roubles.

      Dès que le président l’eut autorisé à faire prêter serment aux jurés, le vieux pope, soulevant avec lenteur ses pieds enflés, se mit en marche vers le pupitre dressé devant l’image sainte. Les jurés se levèrent, et, en troupe pressée, le suivirent.

      — Un instant! — dit le pope, taquinant sa croix de sa main droite, et attendant que tous les jurés se fussent approchés.

      Quand tous furent arrivés auprès de l’image, le pope, penchant sur le côté sa tête blanche, la passa dans le trou graisseux de son étole, puis, ayant remis en ordre ses cheveux clairsemés, se tourna vers les jurés; «Vous lèverez la main droite et vous disposerez vos doigts comme ceci!» dit-il, en même temps qu’il soulevait sa grosse main, les doigts pliés comme pour prendre une prise. «Et maintenant, répétez avec moi: Je jure devant le Saint Évangile et la croix vivifiante de Notre-Seigneur que, dans l’affaire dans laquelle… Ne baissez pas la main!» Dit-il, s’interrompant et s’adressant à un jeune homme qui faisait mine de détendre le bras. Puis il reprit lentement, avec des arrêts après chaque membre de phrase: «que dans l’affaire… dans laquelle…».

      Le personnage représentatif aux beaux favoris, le colonel retraité, le marchand, et d’autres jurés tenaient le bras levé et les doigts pliés exactement comme le voulait le pope; certains autres, au contraire, semblaient procéder sans entrain et d’une façon indécise. Les uns répétaient très haut la formule du serment, avec expression et passion; d’autres la murmuraient tout bas, restaient en retard sur les paroles du pope, puis, comme effrayés, se hâtaient de le rattraper. Mais tous éprouvaient une impression de gêne, à l’exception du vieux pope, qui gardait la conviction sereine d’accomplir un acte éminemment important et utile.

      Après le serment, le président enjoignit aux jurés de se choisir un président du jury. Aussitôt les jurés se levèrent de nouveau et se rendirent dans leur salle de délibération, où presque tous, immédiatement, prirent des cigarettes et se mirent à fumer. Quelqu’un proposa d’élire pour président le personnage représentatif, ce à quoi tous se hâtèrent de consentir. Puis, après avoir jeté leurs cigarettes, les jurés rentrèrent dans la salle. Le personnage représentatif déclara au président que c’était lui qu’on avait élu, et tous se rassirent sur leurs sièges aux hauts dossiers.

      Tout marcha sans accident, mais non pas sans solennité; et cette solennité, cette légalité, ces formalités confirmaient encore magistrats et jurés leur sentiment de remplir un devoir social grave et sérieux. Nekhludov, lui aussi, partageait ce sentiment.

      Quand les jurés se furent assis, le président du tribunal leur adressa une allocution pour leur exposer leurs droits, leurs obligations, et leur responsabilité. En parlant, il ne cessait de changer de pose: tantôt il se tournait à droite, tantôt à gauche, tantôt il s’adossait dans son fauteuil, ou se penchait en avant, tantôt il égalisait les feuilles de papier sur la table, tantôt il soulevait le coupe-papier, tantôt il jouait avec un des crayons.

      Les droits des jurés, d’après ce qu’il leur dit, consistaient en ce qu’ils pourraient poser des questions aux prévenus par l’intermédiaire du président, et en ce qu’ils pourraient examiner et toucher les pièces à conviction. Leurs obligations consistaient en ce qu’ils devaient juger non pas suivant l’injustice, mais suivant la justice. Enfin leur responsabilité consistait en ce que, s’ils ne gardaient pas le secret sur leurs délibérations, ou s’ils communiquaient avec des étrangers, dans l’exercice de leur fonction de jurés, ils s’exposeraient aux sévérités de la loi.

      Les jurés écoutèrent tout cela avec une attention recueillie. Le marchand, répondant autour de lui une forte odeur d’eau-de-vie, approuvait chaque phrase d’un hochement de tête.

      V

      Son allocution finie, le président se tourna vers les prévenus:

      — Simon Kartymkine, levez-vous!

      Simon fit un bond nerveux; ses lèvres se mirent à remuer plus vite.

      — Votre nom?

      — Simon Pétrovitch Kartymkine, — répondit tout d’un trait, d’une voix claquante, le prévenu, qui évidemment avait préparé d’avance ses réponses.

      — Votre condition?

      — Nous sommes paysan.

      — Quel gouvernement? Quel district?

      — Du gouvernement de Toula, district de Krapivo, commune de Koupianskoïe, village de Borki.

      — Quel âge?

      — Trente-quatre ans, né en mil huit cent…

      — Quelle religion?

      — Nous sommes de la religion russe orthodoxe.

      — Marié?

      — Nous ne nous sommes jamais marié.

      — Quel métier faisiez-vous?

      — Nous travaillions dans les corridors de l’Hôtel de Mauritanie.

      — Avez-vous déjà passé en justice?

      — Jamais nous n’avons passé en justice, parce que, comme nous vivions, avant…

      — Vous n’avez jamais passé en justice?

      — Aussi vrai qu’il y a un Dieu, jamais!

      — Avez-vous reçu une copie de l’acte d’accusation?

      — Nous l’avons reçue.

      — Asseyez-vous! Euphémie Ivanovna Botchkov! — poursuivit le président en s’adressant à l’une des deux femmes.

      Mais Simon continuait à rester debout et cachait la Botchkova.

      — Kartymkine, asseyez-vous!

      Kartymkine restait toujours debout. Il ne s’assit que quand l’huissier, inclinant la tête et ouvrant de grands yeux sévères, lui intima, d’une voix tragique, l’ordre de s’asseoir.

      Le prévenu s’assit alors avec la même précipitation avec laquelle il s’était levé, et, s’enveloppant dans son manteau, se remit à agiter les lèvres.

      — Votre nom?

      Avec un soupir de fatigue, en homme impatienté d’avoir toujours à répéter la même chose, le président se tourna vers l’aînée des deux femmes, sans même lever les yeux sur elle et sans cesser de consulter un papier qu’il tenait en main. Cette procédure lui était devenue si familière que, pour aller plus vite, il pouvait parfaitement s’occuper de deux choses à la fois.

      La Botchkova avait quarante-trois ans. Condition, bourgeoise. Métier, femme de chambre dans le même Hôtel de Mauritanie. Elle n’avait jamais passé en jugement. Elle avait reçu la copie de l’acte d’accusation. Elle répondait aux questions du président avec une hardiesse provocante, comme si elle disait: «Eh bien, oui, je suis Euphémie Botchkov, et j’ai reçu la copie, et je m’en vante, et je ne permets à personne d’en rire!» Elle n’attendit pas qu’on lui dît de s’asseoir, et s’assit dès que l’interrogatoire fut fini.

      — Votre nom? — dit le président en s’adressant avec une douceur toute particulière à l’autre prévenue. — Il faut vous lever! — ajouta-t-il d’un ton affable, en remarquant que la Maslova restait assise. La Maslova se dressa debout et, la tête droite, la poitrine tendue en avant, sans répondre, elle fixa résolument le président de ses yeux noirs ingénus et charmeurs.

      — Comment vous appelle-t-on?

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