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      Et il était très facile de me capturer, puisque j’étais élevé dans les conditions artificielles des concombres dans les serres. Notre nourriture trop abondante, avec l’oisiveté physique complète, n’est autre chose que l’excitation systématique de notre concupiscence. Les hommes de notre monde sont nourris et sont tenus comme les étalons reproducteurs. Il suffit de fermer la soupape, c’est-à-dire qu’il suffit à un jeune homme de mener quelque temps une vie de continence pour qu’aussitôt en résulte une inquiétude, une excitation, qui, en s’exagérant à travers le prisme de notre vie innaturelle, provoque l’illusion de l’amour.

      Toutes nos idylles et le mariage, toutes, pour la plupart, sont le résultat de la nourriture. Cela vous étonne ? Quant à moi, je m’étonne que nous ne nous en apercevions pas. Non loin de ma propriété, ce printemps, des moujicks travaillaient à un remblai de chemin de fer. Vous connaissez bien la nourriture d’un paysan : du pain, du kvass, des oignons. Avec cette nourriture frugale, il vit, il est dispos, il fait les travaux légers des champs. Mais au chemin de fer, son menu devient du « cacha », une livre de viande. Seulement, cette viande il la restitue en un labeur de seize heures, en poussant une brouette de douze cents livres.

      Et nous, qui mangeons deux livres de viande, de gibier, nous qui absorbons toute espèce de boissons et de nourritures échauffantes, comment dépensons-nous cela ? En des excès sexuels. Si la soupape est ouverte, tout va bien, mais fermez-la, comme je l’avais fermée temporairement avant mon mariage, et aussitôt il en résultera une excitation qui, déformée par les romans, vers, musique, par notre vie oisive et luxueuse, donnera un amour de la plus belle eau. Moi aussi, je suis tombé amoureux, comme tout le monde ; il y avait des transports, des attendrissements, de la poésie, mais au fond toute cette passion était préparée par la maman et les couturiers. S’il n’y avait pas eu de promenades en bateau, des vêtements bien ajustés, etc., si ma femme avait porté quelque blouse sans forme, et que je l’eusse vue ainsi chez elle, je n’aurais pas été séduit.

      VIII

      Table des matières

      Et notez encore ce mensonge de tout le monde : la façon dont se font nos mariages. Que devrait-il y avoir de plus naturel : la jeune fille est mûre, il faut la marier. Quoi de plus simple, si la jeune personne n’est pas un monstre et s’il se trouve des hommes qui désirent se marier ? Eh bien ! non, c’est ici que commence une nouvelle hypocrisie.

      Jadis, quand la vierge arrivait à l’âge favorable, les parents, qui ne s’emballaient pas pour un veston et qui en même temps aimaient leur fille non moins qu’eux-mêmes, arrangeaient le mariage. Cela se faisait, cela se fait encore dans toute l’humanité, Chinois, Hindous, Musulmans, et chez notre commun peuple aussi. Cela se passe dans l’espèce humaine au moins dans les quatre-vingt-dix-neuf pour cent des familles.

      Il n’y a guère que nous, noceurs, qui avons imaginé que cette mode était mauvaise, et qui avons inventé autre chose, et cette autre chose, qu’est-ce ? C’est que les jeunes filles sont assises, et que les messieurs se promènent comme dans un bazar et font leur choix. Les vierges attendent et pensent, mais n’osent pas le dire : « Prends-moi, jeune homme, moi et non pas elle... Regarde ces épaules et le reste ! » Nous, mâles, nous nous promenons et estimons la marchandise du regard. Et puis nous discourons sur les droits de la femme, sur la liberté qu’elle acquiert, je ne sais pas comment, dans les salles d’amphithéâtre...

      – Que faire alors ? lui dis-je. Est-ce à la femme de faire des avances ?

      – Je ne sais pas, moi ! Mais s’il s’agit d’égalité, que l’égalité soit complète. Si l’on a trouvé que de contracter des mariages par l’intermédiaire des marieuses est humiliant, c’est pourtant mille fois préférable à notre système. Là, les droits et les chances sont égaux ; ici, la femme est une esclave exposée au marché. Mais, comme elle ne peut pas se plier à sa condition, comme elle ne peut pas non plus faire d’avances elle-même, alors commence cet autre mensonge plus abominable qui parfois s’appelle aller dans le monde, parfois s’amuser, et qui n’est autre chose que la chasse au fiancé.

      Dites seulement à une mère ou à sa fille qu’elles ne sont préoccupées que de la chasse au mari. Dieu, quelle offense ! Pourtant, elles ne peuvent pas faire autre chose et n’ont pas autre chose à faire. Et ce qui est terrible, c’est de voir parfois de toutes jeunes, pauvres et innocentes vierges uniquement hantées pas ces idées. Si encore, je le répète, cela se faisait franchement ; mais ce n’est que du mensonge et des bavardages dans ce genre :

      – « Ah ! la descendance des espèces..., que c’est intéressant.

      – « Oh ! Lily s’intéresse beaucoup à la peinture !

      – « Serez-vous à l’exposition... Que c’est charmant !

      – « Et la troïka et les spectacles... et la symphonie. Ah ! que c’est adorable !

      – « Ma Lise raffole de musique !

      – « Et vous, pourquoi ne partagez-vous pas ces convictions ? »

      Et toutes, à travers ce verbiage, n’ont qu’une seule idée : « Prends-moi, prends ma Lise. Non, moi ! Essaie seulement. »

      IX

      Table des matières

      Savez-vous, reprit subitement Posdnicheff, que cette puissance des femmes dont souffre le monde provient uniquement de ce que je viens de dire ?

      – Comment, la puissance des femmes ? dis-je. Tout le monde, au contraire, se plaint de ce qu’elles n’ont pas assez de droits, de ce qu’elles sont asservies.

      – C’est ça, c’est ça, précisément, dit-il avec vivacité. C’est bien ce que je veux dire et c’est ce qui explique ce phénomène extraordinaire que d’une part la femme est amenée jusqu’au plus bas degré d’humiliation, et que, d’autre part, elle règne par-dessus tout. Voyez les juifs : avec leur pouvoir d’argent ils se vengent de leur assujettissement comme les femmes. « Ah ! vous voulez que nous ne soyons que des marchands ? bon ! En restant marchands, nous nous emparerons de vous », disent les juifs. « Ah ! vous voulez que nous ne soyons que des objets de sensualité ? bon ! À l’aide de la sensualité, nous vous courberons sous le joug », disent les femmes.

      L’absence des droits de la femme n’est pas dans la privation du droit de vote ou du droit de magistrature, mais dans ce que, en ses relations sexuelles, elle n’est pas l’égale de l’homme, elle n’a pas le droit d’user de l’homme et de s’abstenir, de le choisir au lieu d’être choisie. Vous dites que ce serait abominable, bon ! Mais alors que l’homme n’ait pas non plus ces droits, tandis que sa compagne en est privée et se trouve forcée d’agir par la sensualité par laquelle elle domine, de telle sorte qu’il en résulte que l’homme choisit « formellement », tandis qu’en réalité c’est la femme qui choisit. Dès qu’elle est en possession de ses moyens, elle en abuse et acquiert une suprématie terrible.

      – Mais où voyez-vous cette puissance exceptionnelle ?

      – Où ? Mais partout, dans tout. Allez voir les magasins dans une grande ville. Il y a là des millions, des millions. Il est impossible d’estimer l’énorme quantité de travail qui s’y dépense. Dans les neuf dixièmes de ces magasins y a-t-il quoi que ce soit pour l’usage des hommes ? Tout le luxe de la vie est demandé et soutenu par la femme. Comptez les fabriques, la plus grande partie travaillent à des ornements féminins ; des millions d’hommes, des générations d’esclaves meurent dans des travaux de forçats uniquement pour les caprices de nos compagnes.

      Les femmes, telles des reines, gardent comme prisonniers de guerre et de travaux forcés les neuf dixièmes du genre humain. Et tout ça parce qu’on les a humiliées, parce qu’on

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