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envers vous, agissez ainsi envers les autres. Aime ton ennemi. » Voilà la doctrine du Christ. Elle ne donne aucune indication d’acte, elle dit seulement l’idéal immuable que chaque homme voit dans son cœur aussitôt qu’il lui a été révélé. Pour celui qui confesse la doctrine extérieure, l’exécution exacte de la loi représente l’accomplissement de la perfection, et cet accomplissement arrête tout perfectionnement ultérieur.

      Les Pharisiens remercient Dieu pour avoir tout accompli ; un adolescent riche a aussi tout accompli, et ils ne peuvent penser autrement. Ils n’ont pas devant eux de but vers lequel ils doivent tendre : mais pour celui qui confesse la doctrine du Christ, chaque degré de perfection atteint provoque le besoin de monter plus haut, d’où il découvre des degrés encore plus haut, et ainsi sans fin.

      Le Chrétien se trouve toujours dans la situation du Publicain : il se sent toujours imparfait ; il voit devant lui le chemin qu’il doit suivre et qu’il n’a pas encore parcouru. L’homme qui confesse la loi superficielle est celui qui se trouve dans la lumière d’une lanterne attachée à un poteau, et il n’a plus où aller. L’homme qui confesse la doctrine de la conscience intérieure est semblable à celui qui porte devant lui la lanterne, sur une canne plus ou moins longue : la lumière est toujours devant lui, elle le stimule toujours à la suivre, et lui découvre toujours de nouveaux espaces éclairés qui l’attirent. On dit que l’Idéal de l’Humanité ne peut pas être la chasteté et le célibat, puisque la chasteté supprime celui qui tend à l’Idéal. On ne peut donner comme Idéal de l’Espèce humaine, sa propre suppression.

      Mais l’Idéal n’est idéal que s’il est inatteignable, la possibilité de l’approcher est infinie. Ainsi est l’idéal chrétien, – la formation du royaume de Dieu, l’union de tous les vivants par l’amour. – L’idée de l’atteindre n’est pas compatible avec l’idée de la vie. Quelle vie est possible quand tous les vivants seront unis par l’amour en un seul ? Aucune ! L’idée de la vie est possible seulement dans l’effort vers l’idéal inatteignable. Mais si nous admettions même que l’Idéal chrétien de la chasteté s’est réalisé, alors nous serions arrivés à des affirmations très connues d’un côté par la religion, dont un des dogmes est la fin du monde, d’autre part, par la soi-disant science qui affirme le futur refroidissement du soleil, dont une des conséquences doit être la fin de l’espèce humaine. C’est pour cela seulement (nous autres chrétiens nous vivons dans cette contradiction effrayante, entre la réalité et notre conscience), que nous ne comprenons pas l’éternel idéal de la doctrine du Christ : les doctrines ecclésiastiques qui s’intitulent sans droit chrétiennes, ont changé cet idéal chrétien par des définitions extérieures. Elles l’ont fait à l’égard du culte, de la prédication, du pouvoir et de beaucoup d’autres choses. La même chose a été faite par l’Église pour le mariage. Le Christ, non seulement n’a jamais institué le mariage, mais, s’il faut absolument chercher des définitions extérieures, l’a nié plutôt. « Quitte ta femme et suis-moi », disait-il. Il a indiqué seulement, aux gens mariés comme aux célibataires, la tendance à la perfection qui implique la chasteté en mariage et en dehors du mariage. Quant aux Églises cherchant, malgré la doctrine du Christ, d’établir le mariage comme institution chrétienne, c’est-à-dire de définir les conditions extérieures où l’amour corporel peut soi-disant être sans péché et absolument légal, sans avoir établi de solides institutions extérieures, elles ont privé l’humanité de l’idéal conducteur du Christ. Il en est résulté que les gens de notre monde ont quitté une rive et n’ont pas abordé l’autre : ils ont perdu le véritable idéal de chasteté donné par le Christ, et c’est extérieurement seulement qu’ils ne croient pas au sacrement du mariage basé sur rien. De là ce phénomène, qui paraît d’abord étrange, que le principe de famille de la fidélité conjugale est plus solide chez les peuples qui reconnaissent des doctrines religieuses extérieures, chez le juif, chez le musulman, que chez le soi-disant chrétien. Ceux-là ont des définitions extérieures du mariage claires et précises, tandis que les chrétiens n’en ont aucune. Ce n’est que rarement qu’on fait faire par le clergé, pour une certaine petite partie des relations sexuelles qui se pratiquent en réalité, une certaine cérémonie nommée mariage ; mais, les hommes de notre société vivent pour le surplus en pleine débauche de polygamie et de polyandrie, sans se soumettre, dans leurs relations, à des règlements quelconques, et s’adonnent à cet égard à des vices sexuels convoités, et ils s’imaginent qu’ils vivent dans cette monogamie qu’ils confessent. De mariage chrétien il n’en saurait exister, ni de culte (Mathieu V, 5 à 12, et Jean IV, 21), ni de pasteurs, ni de pères de l’Église (Mathieu XXIII, 8 à 10), ni d’armée chrétienne, ni de tribunaux, ni d’États chrétiens. Et même c’est ainsi que cela s’est compris toujours par les véritables chrétiens des premiers âges et par les suivants. L’idéal du chrétien n’est pas le mariage, mais l’amour de Dieu et de son prochain, et voilà pourquoi, pour les chrétiens, les relations corporelles dans le mariage, non seulement ne peuvent être reconnues comme un état légal, juste et heureux, ainsi qu’on se l’imagine dans notre société, mais toujours une chute, une faiblesse, un péché. Le mariage chrétien n’exista jamais et ne peut être. Il existe seulement un point de vue chrétien sur le mariage. Ce point de vue est celui-ci : le chrétien, et je ne parle pas de celui qui croit l’être, parce qu’il est baptisé et communie chaque année, mais du chrétien qui se guide dans sa vie par la doctrine du Christ, ne peut envisager la relation sexuelle autrement que comme un péché, ainsi qu’il est dit par Mathieu (V, 28), – et le soi-disant rituel du mariage n’y peut changer la valeur d’un cheveu, – et jamais il ne désirera le mariage, mais cherchera toujours à l’esquiver. Mais si la vérité se révèle au chrétien dans le mariage, ou bien, s’il ne peut surmonter la faiblesse de l’amour, il entrera en relations sexuelles, sous les conditions du mariage religieux ou sans lui ; il ne peut pas faire autrement que de ne pas quitter sa femme (ou la femme son mari, s’il s’agit de la femme), il cherchera avec elle, avec la complice ou le complice de son péché, à s’en affranchir ; il tendra à la plus grande chasteté dans le mariage et vers l’idéal final, c’est-à-dire à remplacer l’amour corporel par des relations pures : voilà le point de vue chrétien pour le mariage, et il ne saurait y en avoir d’autre pour quiconque se guide, dans sa vie, par la doctrine du Christ. Pour beaucoup et beaucoup de personnes, les idées émises par moi paraîtront étranges et obscures, et même contradictoires, et elles le sont en réalité, mais pas entre elles : ces idées contredisent toute notre vie et, malgré nous, le doute nous vient sur la question de savoir qui a raison. Sont-ce les idées qui paraissent justes, ou la vie des millions de gens, la mienne entre autres ? C’est ce sentiment-là que j’ai éprouvé moi-même à un degré supérieur quand j’ai écrit ma nouvelle. Je ne m’attendais pas à ce que le cours de mes idées m’amenât où il m’a mené. J’étais terrifié par mes propres conclusions ; je voulais ne pas y croire, mais il m’a été impossible de me dérober à la raison et à la conscience, et, aussi étranges, aussi contradictoires que puissent paraître ces conclusions à toute l’organisation de notre vie, aussi contradictoires qu’elles soient à ce que j’ai pensé et dit auparavant, j’ai été obligé de les reconnaître.

      Mais l’homme est faible ; il faut lui donner une tâche d’après sa force, dit-on. C’est la même chose que de dire : « Ma main est faible ; je ne puis pas tracer une ligne qui soit droite, c’est-à-dire la plus courte distance entre deux points », et voilà pourquoi, pour me rendre la tâche plus facile, je prendrai pour faire une ligne droite, comme échantillon, une ligne courbe ou brisée !

      Plus ma main est faible, plus j’ai besoin d’un exemple parfait.

      LÉON TOLSTOÏ.

      Yasnaïa Poliana, 6 avril 1890.

      I

      Table des matières

      Des voyageurs descendaient de notre wagon, d’autres y montaient à chaque arrêt du train. Trois personnes cependant restèrent, allant comme moi jusqu’à la station la plus lointaine

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