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en Russie, dans ces pays à demi-civilisés. En France, on commence à comprendre sa bassesse. Mesdames Garnett (rue Duphot, nº 12) voulaient me mener chez son frère, leur voisin, nº 14, je crois, ce à quoi je me suis toujours refusé à cause de l’historien de la campagne de Russie.

      M. le comte de Ségur, grand maître des cérémonies à Saint-Cloud en 1811, quand j’y étais, mourait de chagrin de n’être pas duc. A ses yeux c’était pis qu’un malheur, c’était une inconvenance.

      Toutes ses idées étaient vaines, mais il en avait beaucoup et sur tout. Il voyait chez tout le monde partout de la grossièreté, mais avec quelle grâce n’exprimait-il pas ses sentiments?

      J’aimais chez ce pauvre homme l’amour passionné que sa femme avait pour lui. Du reste, quand je lui parlais, il me semblait avoir affaire à un Lilliputien.

      Je rencontrais M. de Ségur, grand maître des cérémonies de 1810 à 1814, chez les ministres de Napoléon. Je ne l’ai plus vu depuis la chute de ce grand homme, dont il fut une des faiblesses et un des malheurs.

      Même les Dangeau de la cour de l’Empereur, et il y en avait beaucoup, par exemple mon ami le baron Martial Daru, même ces gens-là ne purent s’empêcher de rire du cérémonial inventé par M. le comte de Ségur pour le mariage de Napoléon avec Marie-Louise d’Autriche, et surtout pour la première entrevue. Quelque infatué que Napoléon fût de son nouvel uniforme de roi, il n’y put pas tenir, il s’en moqua avec Duroc, qui me le dit. Je crois que rien ne fut exécuté de ce labyrinthe de petitesses. Si j’avais ici mes papiers de Paris je joindrais ce programme aux présentes balivernes sur ma vie. C’est admirable à parcourir, on croit lire une mystification.

      Je soupire en 1832 en me disant: «Voilà cependant jusqu’où la petite vanité parisienne avait fait toucher un Italien: Napoléon!»

      Où en étais-je?... Mon Dieu, comme ceci est mal écrit!

      M. de Ségur était surtout sublime au Conseil d’État. Ce Conseil était respectable; ce n’était pas, en 1810, un assemblage de cuistres (1832), de Cousin, de Jacqueminot, de....[51], et d’autres plus obscurs encore.

      Napoléon avait réuni, dans son Conseil, les cinquante Français les moins bêtes. Il y avait des sections. Quelquefois la section de la guerre (où j’étais apprenti sous l’admirable Gouvion de Saint-Cyr) avait affaire à la section de l’Intérieur que M. de Ségur présidait quelquefois, je ne sais comment, je crois durant l’absence de la maladie du vigoureux Regnault (comte de Saint-Jean-d’Angély).

      Dans les affaires difficiles, par exemples, celle de la levée des gardes d’honneur en Piémont, dont je fus un des petits rapporteurs, l’élégant, le parfait M. de Ségur, ne trouvant aucune idée, avançait son fauteuil; mais c’était par un mouvement incroyable de comique, en le saisissant entre les cuisses écartées.

      Après avoir ri de son impuissance, je me disais: «Mais n’est-ce point moi qui ai tort? C’est là le célèbre ambassadeur auprès de la Grande-Catherine, qui vola sa plume à l’ambassadeur d’Angleterre[52]. C’est l’historien de Guillaume II ou III[53] (je ne me rappelle plus lequel, l’amant de la Lichtenau pour laquelle Benjamin Constant se battait).»

      J’étais sujet à trop respecter dans ma jeunesse. Quand mon imagination s’emparait d’un homme, je restais stupide devant lui: j’adorais ses défauts.

      Mais le ridicule de M. de Ségur guidant Napoléon se trouva, à ce qu’il paraît, trop fort pour ma gallibility.

      Du reste, au comte de Ségur, grand maître des cérémonies (en cela bien différent de Philippe), on eût pu demander tous les procédés délicats et même dans le genre femme s’avançant jusques à l’héroïsme. Il avait aussi des mots délicats et charmants, mais il ne fallait pas qu’ils s’élevassent au dessus de la taille lilliputienne de ses idées.

      J’ai eu le plus grand tort de ne pas cultiver cet aimable vieillard de 1821 à 1830; je crois qu’il s’est éteint en même temps que sa respectable femme. Mais j’étais fou, mon horreur pour le vil allait jusqu’à la passion au lieu de m’en amuser, comme je fais aujourd’hui des actions de la cour de.....[54].

      M. le comte de Ségur m’avait fait faire des compliments en 1817, à mon retour d’Angleterre, sur Rome, Naples et Florence, brochure que j’avais fait mettre à sa porte.

      Au fond du cœur, sous le rapport moral, j’ai toujours méprisé Paris. Pour lui plaire, il fallait être, comme M. de Ségur, le grand maître.

      Sous le rapport physique, Paris ne m’a jamais plu. Même vers 1803, je l’avais en horreur comme n’ayant pas de montagnes autour de lui. Les montagnes de mon pays (le Dauphiné), témoins des mouvements passionnés de mon cœur, pendant les seize premières années de ma vie, m’ont donné là-dessus un bias (pli, terme anglais) dont jamais je ne pus revenir.

      Je n’ai commencé à estimer Paris que le 28 juillet 1830. Encore le jour des Ordonnances, à onze heures du soir, je me moquais du courage des Parisiens et de la résistance qu’on attendait d’eux, chez le comte Réal. Je crois que cet homme si gai et son héroïque fille, madame la baronne Lacuée, ne me l’ont pas encore pardonné.

      Aujourd’hui, j’estime Paris. J’avoue que pour le courage il doit être placé au premier rang, comme pour la cuisine, comme pour l’esprit. Mais il ne m’en séduit pas davantage pour cela. Il me semble qu’il y a toujours de la comédie dans sa vertu. Les jeunes gens nés à Paris de pères provinciaux et à la mâle énergie, qui est celle de faire leur fortune, me semblent des êtres étiolés, attentifs seulement à l’apparence extérieure de leurs habits, au bon goût de leur chapeau gris, à la bonne tournure de leur cravate, comme MM. Féburier, Viollet-le-Duc, etc. Je ne conçois pas un homme sans un peu de mâle énergie, de constance et de profondeur dans les idées, etc. Toutes choses aussi rares à Paris que le tour grossier ou même dur.

      Mais il faut finir ici ce chapitre. Pour tâcher de ne pas mentir et de ne pas cacher mes fautes, je me suis imposé d’écrire ces souvenirs à vingt pages par séance comme une lettre. Après mon départ, on imprimera sur le manuscrit original. Peut-être ainsi parviendrai-je à la véracité, mais aussi il faudra que je supplie le lecteur (peut-être né ce matin dans la maison voisine) de me pardonner mes terribles digressions.

       Table des matières

      23 juin 1832.—Mero.

      Je m’aperçois en 1832—en général, ma philosophie est du jour où j’écris, j’en étais bien loin en 1821—je vois donc que j’ai été un mezzo-termine entre la grossièreté énergique du général Grosse, du comte Regnault de St-Jean-d’Angély et les grâces un peu lilliputiennes, un peu étroites de M. le comte de Ségur, de M. Petit, le maître de l’hôtel de Bruxelles, etc.

      Par la bassesse seule j’ai été étranger aux extrêmes que je me donne.

      Faute de savoir faire, faute d’industrie, comme me disait, à propos de mes livres et de l’Institut, M. Delécluze, des Débats, j’ai manqué cinq ou six occasions de la plus grande fortune politique, financière ou littéraire. Par hasard, tout cela est venu successivement frapper à ma porte. Une rêverie tendre en 1821 et plus tard philosophique et mélancolique (toute vanité à part, exactement pareille à celle de Jacques de As you like it) est devenue un si grand plaisir pour moi, que quand un ami m’aborde, je donnerais un boulet pour qu’il ne m’adressât pas la parole. La vue seule de quelqu’un que je connais me contrarie. Quand je vois un tel être de loin, et qu’il faut que je pense à le saluer, cela me contrarie cinquante pas à l’avance. J’adore, au contraire, rencontrer des amis le soir en société, le samedi chez M. Cuvier, le dimanche chez M. de Tracy,

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