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rares, naturels, majestueux? Ses défauts même décèlent la source de son talent. L'école de Bologne a dit de ses figures qu'elles ne sont que des statues copiées. Ce reproche, qui fixe dans la médiocrité toute une grande école moderne, était alors le plus flatteur des éloges.

       SUITE DE GIOTTO.

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      Les premières fresques qu'il peignit à Assise à côté des fresques de son maître font voir de combien il le surpassait déjà. En avançant dans cet ouvrage qui représente la vie de saint François, il va croissant en correction. Arrivé aux dernières scènes de cette singulière vie, le voyageur remarque avec plaisir un dessin varié dans les traits du visage, des extrémités plus soignées, une plus grande vivacité dans les airs de tête, des mouvements plus ingénieux donnés aux figures, des paysages plus naturels. Ce qui frappe surtout dans cette suite de tableaux, c'est l'art de la composition, où l'on voit que tous les jours Giotto faisait des progrès, et où, malgré le siècle où il a vécu, le surpasser semble presque impossible. J'admire la hardiesse de ses accessoires. Il n'hésita point à transporter dans ses fresques les grands édifices que ses contemporains élevaient de toutes parts, et à leur conserver ces brillantes couleurs bleues, rouges, jaunes, ou d'une éclatante blancheur, alors si fort à la mode. Il eut le sentiment de la couleur.

      Aussi ses fresques d'Assise arrêtent-elles les yeux du savant comme de l'ignorant. C'est là que se trouve cet homme dévoré par la soif, qui se précipite vers une source qu'il découvre à ses pieds. Raphaël, le peintre de l'expression, n'aurait pas ajouté à celle de cette figure. Que si l'on descend dans l'église souterraine, où il y a encore des ouvrages de Giotto, l'on verra, ce me semble, ce qu'il a fait de mieux. Il y donna le premier exemple de la peinture allégorique dans un Saint François qui s'éloigne du vice, et qui suit la vertu.

      Les savants retrouvent dans ces fresques le style des bas-reliefs de Nicolas Pisano. Il est tout simple que Giotto les ait étudiés; et la peinture, encore au berceau, incapable de perspective aérienne, incapable de clair-obscur, ne perdait presque rien à suivre les pas de sa sœur.

       ÔTER LE PIÉDESTAL.

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      Pour être juste envers cet homme rare, il faut regarder ses prédécesseurs. Ses défauts sautent aux yeux; son dessin est sec; il a soin de cacher toujours sous de longues draperies les extrémités de ses figures, et il a raison, car il s'en tire fort mal. Au total, ses tableaux ont l'air barbare.

      Il n'est pas un de nos peintres qui ne se sente une immense supériorité sur le pauvre Giotto. Mais ne pourrait-il pas leur dire:

      Sans moi, qui suis si peu, vous seriez moins encore.

      (Boursault.)

      Il est sûr que, quand un bourgeois de Paris prend un fiacre pour aller au spectacle, il est plus magnifique que les plus grands seigneurs de la cour de François Ier. Ceux-ci, par les pluies battantes de l'hiver, allaient à la cour à cheval, avec leurs femmes en croupe, au travers des rues non pavées, qui avaient un pied de boue et pas de réverbères. Faut-il conclure que le connétable de Montmorency ou l'amiral Bonnivet étaient des gens moins considérables dans l'État que le petit marchand de la rue Saint-Denis?

      Je conçois bien que l'on n'ait pas de plaisir à voir les œuvres de Giotto. Si l'on dit: «Que cela est laid!» on peut avoir raison; mais si l'on ajoute: «Quel peintre pitoyable!» on manque de lumières.

       SUITE DE GIOTTO.

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      Giotto, admiré sans réserve par ses contemporains, fut appelé dans toute l'Italie; ses tableaux sont des scènes de l'Évangile, qu'il ne se faisait pas scrupule de répéter, presque de la même manière, en des lieux différents. Une certaine symétrie qui plaît à l'amateur éclairé, et surtout un dessin moins anguleux, et un coloris plus moelleux que chez ses rudes prédécesseurs, les distinguent facilement. Ces mains grêles, ces pieds en pointe, ces visages malheureux, ces yeux effarés, restes de la barbarie apportée de Constantinople, disparaissent peu à peu. Je trouve que ses ouvrages plaisent d'autant plus qu'ils sont de moindre dimension.

      Par exemple, les petites figures de la sacristie du Vatican sont des miniatures pleines de grâce; et ce qui manquait surtout aux arts avant lui, c'est la grâce. Quelque sauvages que soient les hommes, on peut leur faire peur, car ils ont éprouvé la souffrance; mais, pour qu'ils fassent attention à ce qui n'est que gracieux, il faut qu'ils connaissent le bonheur d'aimer.

      Giotto sut exprimer beaucoup de petites circonstances de la nature peu dignes des scènes graves où il les introduisait; mais c'était la nature.

      On peut dire qu'il fut l'inventeur du portrait. On lui doit entre autres ceux du Dante, son ami. Quelques peintres avaient bien cherché la ressemblance avant lui; mais le premier il réussit. Il était architecte. Le fameux clocher de la cathédrale de Florence fut élevé sur ses dessins. C'est réellement une tour très-remarquable. Quoique un peu gothique, elle donne sur-le-champ l'idée de la richesse et de l'élégance. Elle est isolée de l'église, et se trouve dans l'endroit le plus fréquenté de la ville, fortune qui manque à beaucoup de monuments admirables.

      Giotto voyagea toute sa vie. A peine de retour d'Assise, Boniface VIII le fit venir à Rome, où il eut une nouvelle occasion de voir l'antique.

      Avignon étant devenu la résidence des papes, Clément V l'appela en France. Avant d'y aller, il s'arrêta dans Padoue. De retour en Italie, après huit années d'absence, les princes, ou du moins ceux qui aspiraient à le devenir, semblèrent se le disputer.

      Chaque ville avait quelque famille puissante qui ambitionnait le pouvoir suprême, et ces familles, profitant de la sensibilité du peuple, en embellissant leur patrie, cherchaient à l'asservir. C'est cette politique qui rendit si brillante la carrière de Giotto. Les Polentini de Ravenne, les Malatesti de Rimini, les Este de Ferrare, les Castruccio de Lucques, les Visconti de Milan, les Scala de Vérone, firent tout au monde pour l'avoir quelque temps à leur service.

      Le roi Robert le fit venir à Naples, et le combla de distinctions. Ce roi, qui était homme d'esprit, encourageait Giotto, qui passait pour avoir la repartie la plus brillante de l'Italie. Mais il faut de l'indulgence pour l'esprit de ce temps-là.

      Un jour, par une chaleur accablante,—«Si j'étais à ta place, dit le roi, je me donnerais un peu de relâche.—Et moi aussi, si j'étais roi.

      —Puisque rien n'est impossible à tes pinceaux, peins-moi mon royaume.» Quelques instants après, le roi revient à l'atelier, et Giotto lui présente un âne revêtu d'un bât fort usé, et flairant avec l'air de la stupidité et du désir un bât tout neuf qui est à ses pieds. Toute l'Italie rit de cette caricature qui plaisantait les Napolitains sur l'empressement qu'on eut toujours à Naples pour changer de souverain.

       LA BEAUTÉ MÉCONNUE.

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      Giotto fut l'homme sur qui le quatorzième siècle eut les yeux, comme Raphaël fut le modèle du seizième siècle, et les Carrache du dix-septième.