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la couturière, que l’habitude du travail assis rend blême; la modiste, que l’excentricité semi-élégante de sa toilette ferait prendre pour autre chose; l’ouvrière d’usine, au visage barbouillé, à la robe huileuse, etc. Toutes, gaies à la fin de la journée, se promenant riant et babillant, jouant des hanches, le nez en l’air, le rire aux lèvres, la gaîté dans les yeux, troublant les crédules par leurs regards provoquants. Tant pis pour celui qui se laisse prendre à ce regard-là, il verra de quel air il sera reçu. Nous l’avons peinte déjà la petite ouvrière, ce type charmant, honnête, à l’âme pure, au cœur loyal et franc, qui vient là acheter ou accepter de petits bouquets de violettes d’un sou. Petit bouquet pas tapageur, pas compromettant, qui n’engage à rien, qu’on peut accepter ou offrir, qui se donne également à l’amie, à la femme et à l’amante. La petite ouvrière est la fille aux violettes; joyeuse, en robe de laine l’hiver, et d’organdi l’été, en bonnet de linge ou petit chapeau, brides au vent, elle grimpe le dimanche à la banlieue pendue au bras de son homme, portant à sa ceinture son bouquet de violettes, elle a des chansons plein les lèvres et de la gaieté plein son petit cœur.

      Lorsqu’elle approche de ses narines roses son frais bouquet, un sourire éclaire son gentil visage. C’est la fille du peuple! mon Dieu oui! Quand elle écrit, elle met plus de cœur que d’orthographe, c’est l’excuse de ses. fautes. Elle pleure à l’Ambigu, elle pleure au Lyrique, elle pleure à la Porte-Saint-Martin, elle rit devant Thérésa.

      Le dimanche, lorsqu’elle a brossé la redingote de son époux, elle glisse à la boutonnière le petit bouquet de son corsage, grande-chancelière, elle décore son homme et le fait chevalier de la légion damour.

      C’est au marché aux fleurs, aux premiers rayons du soleil printanier, qu’il faut les voir, les pauvrettes; elles vont trois par trois, en taille, sans collerette, sans bonnet, exposant insoucieuses leur cerveau faible au feu turbulent du soleil de mai; bavardant, riant, jacassant, surtout agaçant les passants, et se grisant du parfum des fleurs, leurs poitrines se dilatent sous les émanations de cet air embaumé.

      Un soir de juin, à l’accablante chaleur d’une journée d’été succédait une soirée douce et fraîche; le marché aux fleurs était couvert de promeneurs; le soleil se couchait dans un ciel chaud, sur le grisbleu duquel s’étendaient de longues lames rouges; un vent faible enfilait les boulevards, apportant en fraîcheur la pluie fine du grand jet d’eau; avec la nuit qui tombait on devenait silencieux; il y avait des échanges de regards dans ce tapage éteint. Sur le dernier banc du côté du boulevard du Temple, deux jeunes filles, deux ouvrières, étaient assises, celle qui paraissait la plus âgée–vingt-cinq ans environ–disait à l’autre:

      ,–Es-tu folle, Renée, à quoi t’engages-tu? à rien! du jour où cola ne te plaît plus, tu ne viens plus… –Non, j’ai peur! Oh! je sais bien ce que tu vas dire, toutes les liaisons commencent, ainsi, le jour où l’on voit que l’on se convient, on parle sérieusement. Je ne crois pas cela… et j’ai tort de venir et de n’en pas parler à ma mère… Si l’on nous voyait, je serais compromise.

      –Compromise… comment cela? puisque je suis toujours avec toi…

      –Toi, ce n’est pas la même chose, tu es libre, indépendante, sans famille, tu fais ce que tu veux, tu ne dois compte de ta conduite à personne; moi, si ma mère savait cela, pauvre chère femme, elle ne me reverrait plus.

      –Tu n’as plus dix ans… tu as plus de seize ans, c’est l’âge où une jeune fille pense à sa position… est-ce ta mère qui te la trouvera? elle fait à peine de quoi se suffire… M. Maurice est riche, il t’aime, et si tu sais le prendre, tu l’obligeras bien à faire ce que tu voudras… alors sûre de lui, tu pourras en parler à ta mère… et que veux-tu qu’elle te dise?

      –Elle me dira qu’elle m’a habituée à ne jamais lui rien cacher, à ne jamais lui mentir et si j’ai fait autrement, c’est que je savais commettre une mauvaise action.

      –Ah bien, merci, tu vas en chercher, des affaires I...

      –Sidie, partons, je ne veux plus le revoir…...

      –Tu ne feras pas cela. Renée, il faut être polie; attends-le, et lorsqu’il te parlera, dis-lui à quoi tu es décidée.

      –Non, je ne veux pas l’attendre; tu sais bien que je n’oserai le lui dire… Viens, je veux partir.

      La jeune fille se levait, celle qu’elle appelait Sidie lui dit, en lui prenant le bras:

      –Il est trop tard, le voici.

      Renée leva la tête et vit, se dirigeant vers elle, un jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, élégamment vêtu. Le rouge monta au visage de la jeune fille et elle baissa les yeux.

      Moins confuse, la grande Sidie, le sourire aux lèvres, aborda le jeune homme en lui disant:

      –Vous êtes seul, M. Maurice?

      –Non, Rochon est avec moi, il paie la voiture. Et comment allez-vous aujourd’hui, Mlle Renée?

      –Très-bien, M. Maurice.

      Rochon était un homme de trente-cinq à quarante ans, l’œil brillant, la bouche riante; il vint près de la grande Sidie et lui dit familièrement:

      –Bonjour, Sidie, est-ce qu’il y a longtemps que vous nous attendez?

      –Nous arrivions…

      –Dites donc, les amoureux, nous n’allons pas nous visser ici, hein! on a l’air de sortir de pension et de venir filer le parfait amour avec la bonne de sa tante… Mademoiselle Renée, prenez le bras à Maurice, il est là qui vous regarde la bouche ouverte sans dire un mot.

      –Oh non! marchons… je crains d’être vue.

      –Donnez-moi votre bras, Renée, nous allons par l’avenue des Amandiers gagner le boulevard Ri-chard-Lenoir… et nous serons à l’abri. N’est-ce pas, Rochon?

      Renée n’hésita pas, lorsque Maurice lui prit le bras, mais déjà Sidie s’appuyait lascivement sur celui de Rochon pendant que ce dernier disait:

      –C’est dans le désert que nous allons?.. Dites-donc, Sidie, est-ce que vous êtes pour ces amours-là?… c’est de l’opéra comique!…

      –Pensez donc! cette enfant, c’est la première fois qu’elle aime.

      –Ce n’est pas une raison pour avoir l’air si bête que ça.

      –Que voulez-vous faire?

      Renée, au bras de Maurice, marchait devant, répondant par monosyllabes-aux quelques phrases embarrassées que le jeune homme lui disait; Rochon pressa le pas et tes arrêta en s’écriant:

      –Dites-donc! Mlle Renée craint d’être rencontrée… et puis, vous savez, c’est pas amusant la promenade à deux; est-ce que vous croyez que nous ne serions pas mieux à faire un coup de fourchette?

      Le regard clair de la jeune fille allait de Maurice à Rochon semblant demander ce que cela voulait dire.

      –Vous ne comprenez pas, mon enfant... Nous allons à côté, chez Bonvallet, nous nous ferons servir des huîtres, un poulet, des. écrevisses, et, tout en mangeant, on cause sans se gêner et sans crainte d’être gêné.

      –Oh non! monsieur, non! je ne peux rester que quelques instants avec M. Maurice, et je veux aussitôt retourner chez nous.

      –Vous resterez le temps que vous voudrez… Quand tu me regarderas là comme un mais.…tu ne dis rien, ça te rend donc muet, l’amour! En ont-ils –des têtes!

      La grande Sidie riait comme une folle du sans-façon de son cavalier, elle dit à Renée:

      –Cela vaut mieux, tu partiras quand tu voudras.…mais au moins tu ne risques pas d’être rencontrée.

      –Non, je ne veux

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