Скачать книгу

trouvé sur la malheureuse aucun papier pouvant aider à constater son identité, on l’avait portée à la Morgue. Là, superbe, admirable, comme endormie sur la sombre pierre, ce nu mortel avait la splendeur des sculptures de Jean Goujon.

      C’était un tableau bien étrange et propre à frapper l’imagination de ceux qui l’avaient vu. La tête, un peu inclinée dans la masse de ses cheveux blonds, semblait sourire à un être invisible. Autour de la créature magnifique qui paraissait endormie… les dalles lugubres!… Au dessus,–à côté de hideuses défroques,–pendaient la soie miroitante du domino rose, l’éventail, le gros bouquet de violettes, des bas de soie à chevilles brodées, des bottines roses, qui, toutes deux, auraient tenu dans une main, les gants longs étaient mignons (on voyait encore leur trace.bistrée s’étendre comme un bracelet sur les bras blancs de la morte), la chemise de fine batiste brodée et plissée.

      Les oripeaux de carnaval!… au-dessous, la mort!...

      On était pris d’une rage sourde en voyant ce corps jeune, impudiquement livré au regard de tous.

      Depuis une demi-heure à peine, la malheureuse était exposée, lorsqu’une jeune fille d’environ dix-huit ans, mise comme une ouvrière, ayant atteint la balustrade, jeta un cri et tomba entre les bras de ceux de ceux qui l’entouraient, en exclamant:

      –Elle!... elle!...

      Elle perdit connaissance. On l’entraîna dans le cabinet du gardien, on tira les longs rideaux verts sur les vitres, et les agents ayant fait évacuer la salle, on ferma les portes.

      Quelques soins ranimèrent bientôt la jeune fille.

      En revenant à elle, en reconnaissant le lieu où elle se trouvait, elle porta vivement la main à ses yeux et elle sanglota. Le gardien, la voyant tout à fait remise, lui demanda doucement:

      –Mon enfant, vous avez reconnu cette femme?

      La jeune fille essuya ses yeux, regarda longuement autour d’elle, sembla hésiter quelques minutes, puis, comme prenant une résolution, elle dit:

      –Non, monsieur, non! je ne la connais pas.

      –Que dites-vous, fit le gardien stupéfait, vous ne connaissez pas cette femme. que signifie alors ce que vous avez dit dès que vous avez aperçu le corps: Elle! elle!

      La jeune fille ne répondit pas. Le gardien reprit:

      –Vous refusez de nous répondre.

      –Je vous dis que je ne connais pas cette femme. Je désire me retirer pour aller à mon travail.

      Le gardien fit un signe à un agent, qui partit aussitôt, et il dit à la jeune fille:

      –Mon enfant, vous ne pouvez partir… asseyez-vous… vous répondrez à M. le commissaire.

      La jeune fille devint livide, ses traits se contractèrent, mais, se domptant encore, elle dit d’une voix calme:

      –J’attendrai.

      Et elle s’assit; baissant les yeux, elle attendit, évitant le regard des gardiens et des agents qui clignaient de l’œil entre eux.

      Une grande demi-heure se passa silencieuse; on n’entendait que le bruit éloigné du gloussement sinistre des gargouilles de la salle d’exposition. Le commissaire arriva enfin. Après avoir causé quelques minutes à voix basse avec le gardien, il pria ce dernier de rester près de lui, renvoya les agents, et après avoir observé longuement la jeune fille, dont le regard ne s’était levé qu’à son entrée pour s’abaisser aussitôt, il dit doucement:

      –Mademoiselle, voulez-vous me dire votre nom?

      La jeune fille leva la tête, son regard limpide se fixa sur celui qui lui parlait, et elle répondit:

      –Monsieur, je me nomme Caroline Vallier, je suis couturière chez Mme Aumont, et je demeure chez ma mère, rue Saint-Jacques.

      Le commissaire fut étonné du ton calme avec lequel cette réponse était faite, il regarda le gardien, semblant dire: «Que me racontiez-vous donc qu’elle ne voulait pas parler.» Il demanda:

      –Vous avez reconnu la malheureuse femme qui est exposée?

      –Oui, monsieur, fit Caroline, je refusais de répondre à ce monsieur, croyant éviter ainsi des tracas nombreux, mais mon refus a pris une telle importance, que j’aime mieux parler.

      –Quelle est cette femme?

      –C’est une cliente de ma patronne, elle se nomme Hélène Verdier, on l’appelait aussi la Dame aux violettes.

      –Vous étiez liée avec elle?

      La jeune fille à cette question, eut un mouvement qui n’échappa pas au commissaire, car il échangea un regard avec le gardien, mais elle répondit aussitôt d’un ton étrange:

      –Non, monsieur, non!

      –Vous n’avez eu aucune relation avec elle?

      –Non, monsieur.

      –D’où la connaissez-vous?

      –Je vous l’ai dit, monsieur, reprit sèchement la jeune ouvrière, c’est une cliente de la maison dans laquelle je travaille. Je ne l’ai vue qu’une fois, il y a dix jours, elle venait à l’atelier faire faire le domino rose qui est pendu au-dessus de sa tête.

      –Connaissez-vous sa demeure?

      –Non, monsieur, mais Madame doit la connaître.

      –Madame?

      –Oui, ma patronne.

      –Vous ne savez rien de plus sur elle?

      –Non, monsieur.

      –Rien, absolument rien?….. Vous l’avez bien reconnue, voulez-vous la voir de plus près?

      –Oh non!… non, monsieur. Je vous en prie, j’ai peur des morts.

      Il y eut quelques minutes de silence, puis le commissaire et le gardien parlèrent bas; le premier, s’adressant à la jeune couturière, lui dit d’un ton doucereux:

      –Vous avez eu tort, mon enfant, de ne pas dire à monsieur le gardien ce que vous m’avez dit. Vous auriez pu vous rendre à votre travail et m’épargner ce pénible interrogatoire. Nous avons pris les adresses que vous nous avez données, vous pouvez vous retirer.

      –Ah! je vous remercie, monsieur, fit Caroline avec un gros soupir.

      Le commissaire la reconduisit jusqu’à la porte du cabinet, et pendant que le gardien allait lui ouvrir la porte de la rue, il dit à un des hommes qui étaient venus avec lui:

      –Etienne, faites-vous accompagner par Crochin et suivez cette petite. filez-la. postez-vous, et ce soir, au rapport.

      La jeune couturière était à peine sortie, que les larmes jaillirent de ses yeux. puis, elle se mit à courir, sans voir que les deux agents Crochin et Etienne ne la perdaient pas de vue.

      Arrivée sur le quai Saint-Paul, elle s’arrêta soudain et sembla réfléchir une longue minute; inconsciente de ce qu’elle faisait elle parlait ses pensées:

      –Travailler aujourd’hui, cela me serait impossible, on verrait la fièvre qui me fait trembler. Aller chez lui. non, ce serait indigne!… et je voudrais. mieux vaut retourner chez nous, je dirai à maman que j’ai ma migraine. elle me laissera me reposer. et seule je déciderai ce que je dois faire.

      Sa conduite arrêtée, Caroline se retourna aussitôt et revenant sur ses pas, elle passa entre les deux agents chargés de la suivre, sans les voir, et remonta le quai jusqu’au pont d’Arcole, voulant éviter ainsi de se trouver encore devant le sinistre monument, où elle avait failli être si singulièrement arrêtée.

      Marchant rapidement, elle arriva bientôt rue Saint-Jacques. Lorsque la

Скачать книгу