Скачать книгу

      –Nous n’avons pas beaucoup de choix. Je lui ai cédé la mienne.

      –Votre chambre! Et vous, Marthe?

      –Vous savez bien que tout à côté il y a un petit cabinet dont nous ne faisons rien.

      –Oui, mais c’est si petit, si étouffé, une espèce de soupente.

      –Bah! c’est bien bon pour moi. Il y a justement place pour une étagère et une petite table à côté de mon lit. Ma grande armoire, que je n’ai pas la prétention d’y faire entrer, restera sur le carré; mais il faut que je me fasse aider demain pour l’y transporter.

      –Et quel lit avez-vous mis dans votre chambre pour l’enfant?

      –Ne vous souvenez-vous pas que nous en avions un en réserve dans le grenier? Il n’est pas trop grand, c’est juste ce qu’il faut. A propos de cela, quel âge a-t-elle, cette petite fille? J’ai oublié de vous le demander.

      –Elle doit avoir huit ou neuf ans.

      –Eh bien; si elle a peur d’être seule la nuit, je laisserai ma porte ouverte. Et maintenant, bonsoir, Madame, il est temps que je m’en aille pour tout de bon.

      –Bonsoir, Marthe, vous êtes la meilleure créature que je connaisse, dit Madame Darcy en souriant.

      Marthe ferma la porte sans répondre.

      –Oui, la meilleure créature du monde, répéta la vieille dame restée seule. La voilà déjà qui s’oublie et se sacrifie pour cette petite fille dont elle ne voulait pas entendre parler ce matin. Allons, je ne veux plus me mettre en souci, je suis sûre que tout ira bien.

      Et tout en se livrant à ces pensées consolantes, elle dénouait les cordons de son bonnet, ôtait son tour de cheveux bruns, et rassemblait ses rares cheveux gris sous une coiffe de nuit d’une forme bizarre, mais d’une blancheur irréprochable.

      Bientôt on n’entendit plus dans la maisonnette, que le bruit de l’orage qui ne s’apaisa que vers le matin.

      III

      Ce ne fut pas sans une certaine appréhension que Madame Darcy se réveilla le lendemain, en songeant que cette journée devait introduire dans sa maison un hôte nouveau. Résolue cependant à faire contre mauvaise fortune bon cœur et à prendre les choses par leur meilleur côté, elle demanda à Dieu, dans sa prière particulière, de l’aider à remplir ses devoirs envers la petite abandonnée, qui venait chercher auprès d’elle un abri et une protection. A neuf heures, Marthe parut, chaussée de ses gros sabots, armée d’un panier et d’un vaste parapluie, et coiffée du bonnet rond qui encadrait si bien sa bonne figure; elle demanda à sa maîtresse si elle avait des commissions pour la ville.

      –Non, répondit celle-ci, mais vous partez de bien bonne heure, Marthe.

      –Je n’aurai pas beaucoup de temps de reste quand j’aurai fait mes emplettes, et je ne veux pas risquer de me trouver trop tard au chemin de fer.

      Il était près de onze heures quand le bruit d’une voiture qui s’arrêtait devant la maison fit tressaillir Madame Darcy, qui, tout absorbée dans son tricot, avait presque oublié qu’elle se trouvait dans une journée de grands événements.

      –Qu’est-ce que ce peut être? se dit-elle, une voiture! et Marthe qui n’est pas à la maison! Quel contre-temps! est-ce que les visites vont commencer aujourd’hui?

      Elle se leva promptement, arracha son bonnet de nuit pour se coiffer d’une manière plus convenable, et tout en rajustant son costume d’une main tremblante elle attendait avec effroi le coup de sonnette qui devait annoncer une arrivée.

      Au lieu de ce retentissement redoutable un bruit de pas se fit bientôt entendre dans le corridor d’entrée.

      –Où faut-il que je mette la malle? disait une voix d’homme à laquelle la voix de Marthe répondit:

      –Par ici, il faut la monter. Prenez garde! la porte est étroite et l’escalier rapide. C’est cela!

      Quand l’homme fut redescendu, Marthe lui dit d’entrer un instant à la cuisine en ajoutant qu’elle allait venir le payer. Devinant enfin de quoi il s’agissait, Madame Darcy s’était promptement rassise et avait repris son ouvrage comme pour se donner une contenance. La porte s’ouvrit et Marthe entra, tenant par la main une petite fille dont la figure disparaissait sous un grand chapeau de voyage, et qui se serrait contre elle de manière à prouver qu’elles avaient déjà fait bonne connaissance.

      –Allez embrasser votre tante, dit Marthe.

      La petite fille fit deux pas en avant, puis s’arrêta au milieu de la chambre et fondit en larmes.

      –Qu’a-t-elle donc? demanda Madame Darcy que ces larmes mettaient dans une vraie détresse.

      –Elle a qu’elle ne nous connaît ni l’une ni l’autre, et que c’est un peu dur pour une pauvre enfant de cet âge de ne voir autour d’elle que de vieux visages qui sont pourtant tout nouveaux, n’est-ce pas, ma petite chérie?

      –Oh! je vous connais déjà, et vous n’avez pas du tout un vieux visage, dit l’enfant en reprenant la main de la brave fille.

      –Venez vous chauffer près de votre tante. Elle a si froid! ses pauvres petites mains sont glacées.

      Rosa s’approcha du feu et mit sa main dans celle de Madame Darcy sans la regarder.

      –Quel âge avez-vous, ma chère enfant? demanda celle-ci.

      –Neuf ans bientôt, Madame;

      –Vous êtes partie hier de Paris?

      –Oui, Madame.

      –Et votre papa, se portait-il bien?

      L’enfant répondit encore affirmativement et recommença à pleurer.

      –Je n’aurais pas dû lui parler de son père, pensa la vieille dame en voyant redoubler ses sanglots.

      –Votre bonne vous a amenée jusqu’ici?

      A cette question Rosa sanglota de plus belle, et au lieu de répondre se mit à crier:

      –Ma bonne, je veux la revoir, je veux retourner vers papa! Je ne veux pas rester ici! oh! je ne veux pas rester ici!

      –Ne pleurez pas ainsi, ma chère petite, nous aurons bien soin de vous.

      –Non, non, criait Rosa en s’éloignant de sa tante qui lui tendait la main pour la rapprocher d’elle; je ne veux pas que personne prenne soin de moi que ma bonne. Je veux la revoir! je veux revoir papa!

      Madame Darcy était pétrifiée de tant de violence. Une pareille révolte contre la nécessité et les faits accomplis lui semblait présager chez cette enfant une étrange perversité de nature.

      Elle essayait de se faire entendre et lui répétait que tout était pour son bien, et qu’elle ne devait, pas même désirer de retourner auprès de son père puisqu’il était nécessaire qu’elle fût séparée de lui pendant quelques années.

      Mais ces sages exhortations ne produisaient aucun effet sur Rosa dont la douleur et l’irritation s’exprimaient en même temps par des torrents de larmes, et par la violence de ses trépignements. De toutes ces bonnes paroles elle ne saisit qu’une seule:

      –Quelques années! s’écria-t-elle, cessant tout à coup de pleurer et attachant sur la vieille dame un regard fixe et épouvanté.

      Puis comme sa tante ne répondait pas, elle s’assit par terre de l’autre côté de la cheminée, aussi loin d’elle que possible, et cachant son visage dans ses mains elle resta immobile, le corps secoué par des sanglots convulsifs.

      Madame Darcy s’était renversée dans son fauteuil pour attendre

Скачать книгу