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Le Domaine de Belton. Anthony Trollope
Читать онлайн.Название Le Domaine de Belton
Год выпуска 0
isbn 4064066302375
Автор произведения Anthony Trollope
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Clara Amadroz, à cette époque, n’était plus une toute jeune personne. Elle avait vingt-cinq ans et, dans son extérieur, sa mise et ses manières, paraissait plus sérieuse que son âge. Elle n’avait presque jamais vécu qu’avec des personnes âgées, et ne correspondait avec aucune jeune fille au moyen de lettres aux lignes croisées. Après la terrible tragédie survenue dans sa famille, la gravité de sa vie et de son caractère avait naturellement augmenté. Les soucis matériels auxquels la pauvreté de son père soumettait Clara, ôtaient à son existence toute poésie aussi bien que tout plaisir. Elle devait examiner la note du boucher et se livrer aux soins les plus minutieux du ménage, avec le spectre de son frère sans cesse présent devant les yeux.
Un mot doit être dit pour expliquer comment miss Amadroz avait dû être sérieuse de bonne heure. Nous avons nommé mistress Winterfield, tante adoptive de Clara. Quand une jeune fille a sa mère, une tante est peu de chose pour elle; mais, à défaut de la mère, une tante sans enfants prend une grande autorité. C’est ce qui était arrivé pour mistress Winterfield, d’autant plus qu’elle avait trente mille livres de rente, et que M. Amadroz comptait sur elle pour assurer l’avenir de Clara.
Il n’y eut jamais de personne plus consciencieuse que mistress Winterfield de Prospect-Place, à Perivale. C’était une excellente femme, pieuse, pleine d’abnégation, généreuse, guidée dans toutes ses actions par des motifs religieux. Elle haïssait le péché tout en tâchant de ne pas haïr le pécheur, mais elle se croyait obligée d’exprimer en toute circonstance son horreur du mal. Combattre le démon sans relâche était sa mission ici-bas. On ne peut nier qu’une tante de ce caractère ne soit apte à rendre la vie sérieuse. D’amusements, on n’en reconnaissait pas la nécessité à Perivale. La nourriture et le vêtement sont des nécessités, et, dans la maison, on était bien habillé et bien nourri. Les femmes du caractère de mistress Winterfield ont généralement de bonnes tables. Elles pensent que les aliments doivent être dignes des prières quel’on dit avant le repas. Mistress Winterfield était toujours vêtue d’une épaisse robe de soie noire, presque neuve, et donnait discrètement ses vieilles robes à une dame bien née, mais pauvre. Elle avait un petit phaéton à un cheval mené par un cocher solennel en houppelande grise et gants de coton blancs, et allait au pas dans cet équipage faire ses visites de charité. Ces promenades étaient la seule distraction de sa vie. Il est douteux qu’il en fût de même pour Clara.
Mistress Winterfield était grande, maigre, et portait d’étroits bandeaux de faux cheveux. Elle avait les yeux enfoncés, les joues creuses, paraissant toujours sous le poids de l’affliction causée par ses propres malheurs en cette vie, et par ceux des autres dans la vie future. Ses manières étaient celles d’une femme de mauvaise humeur, mais ces manières étaient trompeuses.
Je n’ai pas besoin de dire, j’espère, qu’une jeune fille de l’âge de miss Amadroz n’était pas influencée dans sa conduite par la fortune de sa tante. Elle venait à Perivale en partie par habitude d’enfance, en partie par affection, mais elle maintenait son indépendance même au point de vue religieux. Aussi Clara ne fut-elle pas désappointée lorsque sa tante crut devoir lui faire part de ses intentions à l’égard de son neveu le capitaine Aylmer.
Le capitaine Frédéric Folliott Aylmer était fils d’une sœur de mistress Winterfield et membre du Parlement pour Perivale, donnant par là un surcroît de dignité au phaéton de sa tante. Frédéric, second fils du baronnet sir Anthony Aylmer, devait hériter des terres de sa mère situées près de Perivale, et mistress Winterfield, après bien des doutes et bien des prières, s’était résolue à faire de son neveu son héritier, afin que la propriété ne fût pas divisée.
«Je pense que vous avez raison, ma tante, lui dit Clara en apprenant ses intentions.
–Je l’espère, mais je crois de mon devoir de dire à Frédéric que j’ai eu de longues hésitations à ce sujet.
–Vous avez fait pour le mieux. Que penserait-il de moi si dans1avenir il trouvait que je lui ai nui?
–Cet avenir n’est plus bien éloigné, ma chère enfant.
–J’espère que si, ma tante; mais dans tous les cas les choses sont bien comme elles sont.
–J’avais espéré, ajouta tristement la vieille dame, que cela reviendrait au même.
–Cela ne reviendra pas au môme, dit Clara.
–Non, vous ne voyez pas les choses de la même manière que mon neveu. Ce qu’il regarde comme sérieux est pour vous de peu d’importance. Je prie pour vous chaque jour, Clara, et j’espère que vous ne cessez pas de prier pour vous-même.
–J’essaye, ma tante.»
Miss Amadroz avait peut-être à part elle quelques doutes sur la parfaite orthodoxie du capitaine Aylmer, mais elle se garda bien de les énoncer. Il était homme et membre du Parlement, et, à ce titre, pouvait faire sans hypocrisie, à Perivale, bien des choses qui n’entraient peut-être pas dans ses habitudes. Je doute qu’à Londres il allât à l’église trois fois chaque dimanche.
Clara allait aussi à l’église trois fois chaque dimanche, mais elle manquait de soumission d’esprit.
CHAPITRE II
C’était l’été; la fraîche odeur du foin coupé arrivait jusqu’à Clara, assise avec son ouvrage sous le porche de la vieille maison de Belton. Entre la porte et la tour se trouvait un des chars vides du fermier, dans les brancards duquel un vieux cheval semblait dormir au soleil. Immédiatement au-dessous de la tour, des hommes chargeaient un autre char, et l’on entendait les rires des femmes et des enfants, ramenant à la meule avec leurs râteaux les restes du foin répandu.
Il était onze heures du matin, et Clara attendait son père, qui avait déjeuné dans son lit, suivant sa paresseuse habitude. Il parut, une lettre à la main, mais avant de la montrer à sa fille, il se répandit en plaintes contre Stovey, le fermier, qui laissait son char devant la porte.
«Je pense qu’il le mettra bientôt dans le salon, dit-il.
–Je dois avouer que tout ce mouvement me plaît, papa.
–Vous avez là un drôle de goût que je suis loin de partager.
–M. Stovey est près d’ici, papa; voulez-vous que je lui dise d’ôter son char?
–Non, ma chère enfant, il faut le souffrir avec tout le reste Il paye sa ferme, et je pense qu’il a le droit de faire ce qui lui plaît.
–Puis-je voir cette lettre? demanda-t-elle pour changer la conversation.
–Je pense que oui, bien que j’eusse mieux fait de la brûler. C’est une lettre impertinente et sans cœur.»
Clara était habituée à ces plaintes. Tout le monde était sans cœur aux yeux de son père. Cet homme avait pour lui-même une telle compassion, qu’il lui semblait que les autres ne devaient être occupés qu’à le plaindre.
La lettre était datée de Plainstow-Hall, et Clara, bien qu’elle n’eût jamais vu l’écriture de son cousin, devina qu’elle venait de Will Belton. Elle était ainsi conçue:
«Plainstow-Hall, juillet186.
«Cher Monsieur,
«Je ne vous ai pas écrit depuis la perte que vous avez faite, pensant qu’il était mieux d’attendre quelque temps. Mais j’espère que vous ne m’avez pas cru pour cela insensible à votre chagrin. Aujourd’hui je prends la plume pour vous assurer de toute ma sympathie et vous dire qu’étant votre plus proche parent et votre héritier, j’ai le plus grand désir de vous être utile si cela était possible. Si vous voulez bien me recevoir, je suis tout disposé à venir à Belton; je serai libre pendant une semaine avant les moissons. Faites, je vous prie, mes