ТОП просматриваемых книг сайта:
L'Éducation sentimentale histoire d'un jeune homme. Gustave Flaubert
Читать онлайн.Название L'Éducation sentimentale histoire d'un jeune homme
Год выпуска 0
isbn 4064066305949
Автор произведения Gustave Flaubert
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Il se remit à marcher. Mais comme il se sentait grand’faim, et que tous les restaurants étaient fermés, il alla souper dans un cabaret des Halles. Après quoi, jugeant qu’il était encore trop tôt, il flâna aux alentours de l’hôtel de ville, jusqu’à huit heures et un quart.
Deslauriers avait depuis longtemps congédié sa donzelle; et il écrivait sur la table, au milieu de la chambre. Vers quatre heures, M. de Cisy entra.
Grâce à Dussardier, la veille au soir, il s’était abouché avec une dame; et même il l’avait reconduite en voiture, avec son mari, jusqu’au seuil de sa maison, où elle lui avait donné rendez-vous. Il en sortait. On ne connaissait pas ce nom-là!
– «Que voulez-vous que j’y fasse?» dit Frédéric.
Alors le gentilhomme battit la campagne; il parla de Mlle Vatnaz, de l’Andalouse, et de toutes les autres. Enfin, avec beaucoup de périphrases, il exposa le but le sa visite: se fiant à la discrétion de son ami, il venait tour qu’il l’assistât dans une démarche, après laquelle
se regarderait définitivement comme un homme; et rédéric ne le refusa pas. Il conta l’histoire à Deslauiers, sans dire la vérité sur ce qui le concernait peronnellement.
Le Clerc trouva qu’«il allait maintenant très bien». Cette déférence à ses conseils augmenta sa bonne Lumeur.
C’était par elle qu’il avait séduit, dès le premier our, Mlle Clémence Daviou, brodeuse en or pour équipements militaires, la plus douce personne qui fût, et velte comme un roseau, avec de grands yeux bleus, iontinuellement ébahis. Le Clerc abusait de sa candeur, usqu’à lui faire croire qu’il était décoré; il ornait sa redingote d’un ruban rouge, dans leurs tête-à-tête, nais s’en privait en public, pour ne point humilier son patron, disait-il. Du reste, il la tenait à distance, se laissait caresser comme un pacha, et l’appelait «fille du peuple» par manière de rire. Elle lui apportait chaque fois de petits bouquets de violettes. Frédéric n’aurait pas voulu d’un tel amour.–
Cependant, lorsqu’ils sortaient, bras dessus bras dessous, pour se rendre dans un cabinet chez Pinson ou chez Barillot, il éprouvait une singulière tristesse. Frédéric ne savait pas combien, depuis un an, chaque jeudi, il avait fait souffrir Deslauriers, quand il se brossait les ongles, avant d’aller dîner rue de Choiseul!
Un soir que, du haut de son balcon, il venait de les regarder partir, il vit de loin Hussonnet sur le pont d’Arcole. Le bohème se mit à l’appeler par des signaux, et, Frédéric ayant descendu ses cinq étages:
– «Voici la chose: C’est samedi prochain, 24, la fête de Mme Arnoux.»
– «Comment, puisqu’elle s’appelle Marie?»
– «Angèle aussi, n’importe! On festoiera dans leur maison de campagne, à Saint-Cloud; je suis chargé de vous en prévenir. Vous trouverez un véhicule à trois heures, au Journal! Ainsi convenu! Pardon de vous avoir dérangé. Mais j’ai tant de courses!»
Frédéric n’avait pas tourné les talons que son portier lui remit une lettre:
«Monsieur et Madame Dambreuse prient Monsieur F. Moreau de leur faire l’honneur de venir dîner chez eux samedi24courant.—R.S.V.P.»
– «Trop tard,» pensa-t-il.
Néanmoins, il montra la lettre à Deslauriers, lequel s’écria:
– «Ah! enfin! Mais tu n’as pas l’air content. Pourquoi?»
Frédéric, ayant hésité quelque-peu, dit qu’il avait le même jour une autre invitation.
– «Fais-moi le plaisir d’envoyer bouler la rue de Choiseul. Pas de bêtises! Je vais répondre pour toi, si ça te gêne.»
Et le Clerc écrivit une acceptation, à la troisième personne.
N’ayant jamais vu le monde qu’à travers la fièvre de ses convoitises, il se l’imaginait comme une création artificielle, fonctionnant en vertu de lois mathématiques. Un dîner en ville, la rencontre d’un homme en place, le sourire d’une jolie femme pouvaient, par une série d’actions se déduisant les unes des autres, avoir de gigantesques résultats. Certains salons parisiens étaient comme ces machines qui prennent la matière à l’état brut et la rendent centuplée de valeur. Il croyait aux courtisanes conseillant les diplomates, aux riches mariages obtenus par les intrigues, au génie des galériens, aux docilités du hasard sous la main des forts, Enfin il estimait la fréquentation des Dambreuse tellement utile, et il parla si bien, que Frédéric ne savait plus à quoi se résoudre.
Il n’en devait pas moins, puisque c’était la fête de Mme Arnoux, lui offrir un cadeau; il songea, naturellement, à une ombrelle, afin de réparer sa maladresse. Or, il découvrit une marquise en soie gorge-pigeon, à petit manche d’ivoire ciselé, et qui arrivait de la Chine. Mais cela coûtait cent soixante-quinze francs et il n’avait pas un sou, vivant même à crédit sur le trimestre prochain. Cependant, il la voulait, il y tenait, et, malgré sa répugnance, il eut recours à Deslauriers.
Deslauriers lui répondit qu’il n’avait pas d’argent.
– «J’en ai besoin,» dit Frédéric, «grand besoin!»
Et, l’autre ayant répété la même excuse, il s’emporta.
– «Tu pourrais bien, quelquefois.»
– «Quoi donc?»
– «Rien!»
Le Clerc avait compris. Il leva sur sa réserve la somme en question, et, quand il l’eut versée pièce à pièce:
– «Je ne te réclame pas de quittance, puisque je vis à tes crochets!»
Frédéric lui sauta au cou, avec mille protestations affectueuses. Deslauriers resta froid. Puis, le lendemain, apercevant l’ombrelle sur le piano:
– «Ah!c’était pour cela!»
– «Je l’enverrai peut-être,» dit lâchement Frédéric.
Le hazard le servit, car il reçut, dans la soirée, un billet bordé de noir, et où Mme Dambreuse, lui annonçant la perte d’un oncle, s’excusait de remettre à plus tard le plaisir de faire sa connaissance.
Il arriva dès deux heures au bureau du Journal. Au lieu de l’attendre pour le mener dans sa voiture, Arnoux était parti la veille, ne résistant plus à son besoin de grand air.
Chaque année, aux premières feuilles, durant plusieurs jours de suite, il décampait le matin, faisait de longues courses à travers champs, buvait du lait dans les fermes, batifolait avec les villageoises, s’informait des récoltes, et rapportait des pieds de salade dans son mouchoir. Enfin, réalisant un vieux rêve, il s’était acheté une maison de campagne.
Pendant que Frédéric parlait au commis, Mlle Vatnaz survint, et fut désappointée de ne pas voir Arnoux. Il resterait là-bas encore deux jours, peut-être. Le commis lui conseilla «d’y aller»; elle ne pouvait y aller; d’écrire une lettre, elle avait peur que la lettre ne fût perdue. Frédéric s’offrit à la porter lui-même. Elle en fit une rapidement, et le conjura de la remettre sans témoins.
Quarante minutes après, il débarquait à Saint-Cloud.
La maison, cent pas plus loin que le pont, se trouvait à mi-hauteur de la colline. Les murs du jardin étaient cachés par deux rangs de tilleuls, et une large pelouse descendait jusqu’au bord de la rivière. La porte de la grille étant ouverte, Frédéric entra.
Arnoux, étendu sur l’herbe, jouait avec une portée de petits chats. Cette distraction paraissait l’absorber infiniment. La lettre de Mlle Vatnaz le tira de sa torpeur.
– «Diable, diable! c’est ennuyeux! elle a raison; il faut que je parte.»
Puis, ayant fourré la missive dans sa poche, il prit