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Catane, et que l'histoire de mon exil est celle du tien! Mais tu as été élevé à Rome, et tu crois, hélas! que c'est là ta patrie!»

      Au bout d'un mois, Michel reçut, de la main d'un ouvrier qui arrivait de Sicile, une lettre de Mila, qui lui annonçait que leur voyage avait été des plus heureux, qu'ils avaient été reçus à bras ouverts par leurs parents et anciens amis, que Pier-Angelo avait trouvé de l'ouvrage et de belles protections; mais que le cardinal était toujours vivant, peu redoutable à la vérité, car il était retiré du monde et des affaires; cependant, Pier-Angelo ne souhaitait pas encore que Michel vint le rejoindre, car on ne savait ce qui pouvait arriver.

      Jusque-là Michel avait été triste et inquiet, car il aimait tendrement ses parents; mais, dès qu'il fut rassuré sur leur compte, il se réjouit involontairement d'être à Rome, et non à Catane. Son existence y était fort agréable depuis que son père lui avait permis de se consacrer à la grande peinture. Protégé par ses maîtres, auxquels il plaisait, non-seulement à cause de ses heureuses dispositions, mais encore à cause d'une certaine élévation d'esprit et d'expressions au-dessus de son âge et de sa condition, lancé dans la société de jeunes gens plus riches et plus répandus que lui (et il faut avouer qu'il se laissait gagner aux avances de ceux-là plus qu'à celles des fils d'artisans, ses égaux), il consacrait ses loisirs à orner son cerveau et à agrandir le cercle de ses idées. Il lisait vite et beaucoup, il fréquentait les théâtres; il causait avec les artistes; en un mot, il se formait extraordinairement pour une existence libre et noble, à laquelle il n'était pourtant pas assuré de pouvoir prétendre.

      Car les ressources du pauvre peintre en détrempe, qui lui consacrait la moitié de ses salaires, n'étaient pas inépuisables. La maladie pouvait les faire cesser, et la peinture est un art si sérieux et si profond, qu'il faut l'apprendre bien des années avant de pouvoir s'en servir lucrativement.

      Cette pensée effrayait Michel et le jetait parfois dans de grands accablements. «Oh! mon père!» pensait-il encore, au moment où nous le rencontrons à la porte d'un palais voisin de sa ville natale, «n'avez-vous pas fait, par excès d'amour pour moi, une grande faute contre vous et contre moi-même, en me poussant dans la carrière de l'ambition? J'ignore si je parviendrai, et pourtant je sens que j'aurai bien de la peine à reprendre la vie que vous menez et que la fortune m'avait destinée. Je ne suis pas aussi robuste que vous; j'ai dégénéré sous le rapport de la force physique, qui est le cachet de noblesse de notre race. Je ne sais pas marcher, je me fatigue à outrance de ce qui ne serait pour vous, à soixante ans, qu'une promenade de santé. Me voilà accablé, blessé au pied par ma faute, par ma distraction ou ma maladresse. Je suis pourtant né dans ces montagnes, et je vois les enfants courir sur ces laves tranchantes, comme je marcherais sur un tapis. Oui, mon père avait raison, c'est là une belle patrie; on peut être fier d'être sorti, comme la lave, des flancs de cette montagne terrible! Mais il faudrait être digne d'une telle origine et ne l'être pas à demi. Il faudrait être un grand homme et remplir le monde de foudres et d'éclairs, ou bien il faudrait être un paysan intrépide, un bandit déterminé, et vivre au désert, sans autre ressource qu'une carabine et une âme implacable. Cela aussi est une destinée poétique. Mais il est déjà trop tard pour moi; j'ai appris trop de choses, je connais trop les lois, les sociétés et les hommes. Ce qui est héroïsme, chez ces montagnards naïfs et sauvages, serait crime et lâcheté chez moi. Ma conscience me reprocherait d'avoir pu parvenir à la grandeur par le génie et les dons de la civilisation, et d'être retombé, par impuissance, à la condition de brigand. Il faudra donc vivre obscur et petit!»

      Laissons encore un peu Michel rêver et secouer machinalement son pied engourdi, et disons au lecteur pourquoi, malgré son amour pour Rome et les jours agréables qu'il y passait, il se trouvait maintenant aux portes de Catane.

      De mois en mois, sa sœur lui avait écrit sous la dictée de son père: «Tu ne peux venir encore, et nous ne pouvons rien arrêter pour notre propre avenir. Le malade est aussi bien portant que peut l'être un homme qui a perdu l'usage de ses bras et de ses jambes. Mais sa tête vit encore et conserve un reste de pouvoir. Voici de l'argent; ménage-le, mon enfant; car, bien que j'aie de l'ouvrage à discrétion, les salaires sont moins forts ici qu'à Rome.»

      Michel essayait de ménager cet argent, qui représentait pour lui les sueurs de son père. Il frémissait de honte et d'effroi lorsque sa jeune sœur, qui travaillait à filer la soie (industrie très-répandue dans cette partie de la Sicile), ajoutait en cachette une pièce d'or à l'envoi de son père. C'était évidemment au prix de grandes privations que la pauvre enfant procurait à son frère de quoi se divertir pendant une heure. Michel fit le serment de ne pas toucher à ces pièces d'or, de les rassembler, et de reporter à Mila toutes ses petites économies.

      Mais Michel aimait le plaisir; il avait besoin d'un certain luxe, il ne savait pas épargner. Il avait des goûts de prince, c'est-à-dire qu'il aimait à donner, et qu'il récompensait largement le premier facchino qui lui apportait une toile ou une lettre. Et puis, les matériaux du peintre sont fort coûteux. Et puis, enfin, quand Michel se trouvait avec des jeunes gens aisés, il eût rougi de ne point payer son écot comme les autres... Si bien qu'il s'endetta d'une petite somme, bien grosse pour le budget d'un pauvre peintre en bâtiments. Il arriva un moment où la dette, faisant la boule de neige, il fallait fuir honteusement, ou se résigner à quelque travail plus humble que la peinture d'histoire. Michel sacrifia, en frémissant de rage et de douleur, les pièces d'or qu'il avait résolu de reporter un jour à Mila. Mais, se voyant encore loin de compte, il avoua tout dans une lettre à son père, en s'accusant avec une sorte de désespoir. Huit jours après, un banquier fit remettre au jeune homme la somme nécessaire pour s'acquitter et vivre encore quelque temps sur le même pied. Puis, arriva une lettre de Mila, qui disait toujours, sous la dictée de Pier-Angelo: «Une bonne âme m'a prêté l'argent que je t'ai fait passer; mais il me faudra travailler six mois pour m'acquitter. Tâche, mon enfant, de ne pas t'endetter jusque-là, car nous aurions un arriéré dont nous ne pourrions peut-être pas sortir.»

      Quoique Michel n'eût jamais subi aucune réprimande de la part de son père, il s'était attendu, cette fois, à quelque reproche. En voyant la bonté inépuisable et le courage philosophique de ce brave ouvrier, il fut navré, et, ne pouvant s'en prendre à lui-même des fautes que sa position l'avait entraîné à commettre, il se reprocha comme un crime d'avoir accepté cette position trop brillante. Il prit une grande résolution, et ce qui l'aida à y persister, ce fut l'idée qu'il accomplissait un grand sacrifice, et que s'il n'avait pas en lui l'étoffe d'un grand peintre, il avait au moins l'héroïsme d'un grand caractère. La vanité entra donc pour beaucoup dans cet effort, mais ce fut une vanité généreuse et naïve. Il paya ses dettes, dit adieu à ses amis, en leur déclarant qu'il abandonnait la peinture, et qu'il allait se faire ouvrier avec son père.

      Puis, sans s'annoncer à celui-ci, il mit dans un sac quelques hardes choisies, un album, quelques pastilles d'aquarelle, sans s'apercevoir que c'était encore un reste de luxe et d'art dont il emportait avec lui la pensée, et il partit pour Catane, où nous venons de le voir presque arriver.

       Table des matières

      MONSEIGNEUR.

      Malgré ce renoncement héroïque à tous les rêves de sa jeunesse, le pauvre Michel éprouvait en cet instant une sorte de terreur douloureuse. Le voyage l'avait étourdi sur les conséquences de son sacrifice. La vue de l'Etna l'avait exalté. La joie qu'il éprouvait de revoir son excellent père et sa chère petite sœur l'avait soutenu. Mais cet accident fortuit d'une légère blessure au pied, et la nécessité de s'arrêter un instant, lui donnèrent, pour la première fois depuis son départ de Rome, le temps de la réflexion.

      Il y avait aussi dans cet instant quelque chose de bien solennel pour sa jeune âme. Il saluait les coupole de sa ville natale, une des plus belles villes du monde, même pour quiconque vient de Rome, et celle dont la situation offre peut-être le coup d'œil le plus imposant.

      Cette ville, si souvent bouleversée

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