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lassait pas de regarder les fours et les hommes travaillant à entretenir le feu. Ils arrivèrent ainsi au moulin. Blaise voulut ouvrir la grille pour traverser la cour, comme il en avait l'habitude; deux énormes dogues accoururent en aboyant dès qu'il mit la main sur la grille; ils montraient deux rangées de dents formidables. Jules eut peur; Blaise appela, personne ne répondit; il passa la main dans les barreaux de la grille pour les flatter et obtenir passage; les chiens s'élancèrent sur la grille et cherchèrent à mordre la main, que Blaise retira promptement.

      Comment revenir sans passer par le même chemin? Il y en avait bien un autre, mais Blaise n'aimait pas à le prendre, parce qu'il longeait le cimetière du village; le grand-père, la grand'mère de Blaise y étaient enterrés, et, quand il passait devant leur tombe, il avait du chagrin.

      BLAISE

      Il faut que nous revenions sur nos pas, Monsieur Jules; les chiens gardent le passage; ils nous dévoreraient si nous entrions dans la cour.

      JULES

      C'est ennuyeux de revenir par le même chemin; je voudrais passer près des fours à chaux.

      BLAISE

      Il y a bien un moyen, Monsieur Jules, mais vous allez avoir peur.

      JULES

      Pourquoi? Y a-t-il du danger?

      BLAISE

      Aucun danger, Monsieur, si vous n'avez pas peur.

      JULES

      Dis-moi vite; qu'est-ce que c'est?

      BLAISE

      Ce serait de traverser le cimetière; nous nous retrouverons sur la grande route, juste à l'endroit où commencent les fours.

      JULES

      Avec toi je n'aurai pas peur; marche en avant.

      BLAISE

      Marchons un peu lestement pour être plus tôt arrivés.»

      Ils prirent le chemin du cimetière, situé derrière le moulin. Ils marchaient et approchaient rapidement. Les yeux fixés sur le mur et sur la porte du cimetière, Jules sentait battre son coeur; ses grands yeux ouverts ne quittaient pas le mur blanc, lorsqu'il s'arrêta et poussa un cri de terreur; sa main s'allongea involontairement vers le cimetière et désigna l'objet qui le terrifiait.

      Blaise regarda Jules avec surprise, suivit la direction de la main, vit une grande forme blanche, un fantôme qui s'élevait lentement au-dessus du mur, et qui resta immobile quand sa tête et le haut de son corps eurent dépassé le mur. Jules cria; le fantôme tourna vers lui des yeux flamboyants. Jules tremblait de tous ses membres; Blaise n'était pas trop rassuré et restait immobile comme le fantôme; il rassembla enfin tout son courage et fit le signe de la croix. Le fantôme ne bougea pas.

      «Ce n'est pas un méchant fantôme, Monsieur Jules, car s'il avait été un mauvais esprit, le signe de la croix l'aurait fait fuir. En tout cas, je vais lui jeter une pierre.»

      Et Blaise, se baissant, ramassa une grosse pierre aiguë et la lança de toute sa force et avec une grande adresse à la tête du fantôme, qui poussa une espèce de hurlement effroyable et vint tomber au pied du mur, en dehors du cimetière; il se roula par terre en continuant ses cris. Blaise crut reconnaître des miaulements de chat, et voulut courir à lui pour s'en assurer; mais Jules, pâle et tremblant, le tenait par sa blouse et l'empêchait d'avancer.

      BLAISE

      Lâchez-moi donc, Monsieur Jules, laissez-moi aller voir.

      JULES

      Non, tu n'iras pas; je ne veux pas que tu me laisses seul; j'ai peur, j'ai peur du fantôme.

      BLAISE

      C'est précisément ce que je veux aller voir; ce n'est pas un fantôme, je crois que c'est un chat. Venez avec moi si vous avez peur de rester seul.

      JULES

      Non, non, je ne veux pas y aller.

      —Alors, faites comme vous voudrez», dit Blaise, et, donnant une secousse pour arracher sa blouse des mains, de Jules, il courut vers la forme blanche étendue par terre.

      Jules aimait mieux encore approcher du fantôme avec Blaise que de rester seul; il courut après lui et le rejoignit au moment où Blaise, s'étant baissé, poussa un cri en faisant un saut en arrière; il s'était senti égratigné. Jules se trouvait tout près de lui; le saut de Blaise le fit trébucher, et il alla tomber sur le fantôme qui, poussant un dernier hurlement, griffa le visage de Jules comme il avait fait de la main de Blaise. La terreur de Jules fut à son comble; il voulut crier, sa voix ne put sortir de son gosier; il voulut se lever, la force lui manqua, et il resta à terre privé de sentiment.

      Dans le premier moment de surprise, Blaise ne songea pas à Jules, et il examina la forme étendue devant lui; la lune venant il sortir de derrière un nuage, il vit distinctement un chat blanc d'une grosseur extraordinaire. C'était lui qui avait grimpé sur le mur du cimetière; la demi-obscurité l'avait fait paraître encore plus gros et plus blanc, et avait donné à sa tête et à son corps l'apparence d'une tête et d'épaules d'homme. Blaise vit avec chagrin que le pauvre animal avait un oeil hors de la tête et un côté du crâne brisé; ses convulsions avaient cessé; il ne remuait plus.

      «Voyons, Monsieur Jules, dit Blaise en repoussant le chat, continuons notre route; je n'ai pas fait de bonne besogne en lançant ma pierre; je vais demander aux ouvriers des fours à plâtre à qui appartient cet animal. Eh bien, Monsieur Jules, vous ne venez pas?»

      Et, se retournant vers Jules, il l'aperçut étendu par terre, pâle et sans mouvement.

      «Ah! mon Dieu! qu'est ce qu'il a donc? Il a perdu connaissance! Que vais-je faire de lui, mon Dieu! Aussi pourquoi l'ai-je laissé venir avec moi; ces enfants de château, c'est poltron comme tout; je vous demande un peu, là! Y avait-il de quoi s'évanouir, s'effrayer seulement?»

      Le pauvre Blaise était bien embarrassé: il lui soufflait sur la figure, lui tapait le dedans des mains, lui jetait de l'eau sur le visage. Enfin Jules soupira, fit un mouvement; Blaise lui souleva la tête; il ouvrit les yeux, regarda autour de lui, aperçut le chat blanc étendu par terre, fut saisi de frayeur et voulut s'éloigner.

      «N'ayez pas peur, Monsieur Jules, c'est un chat, rien qu'un pauvre chat, que j'ai tué d'un coup de pierre, et qui, avant de mourir, s'est vengé sur votre joue et sur ma main.»

      Jules, un peu rassuré, se leva lentement et saisit la main de Blaise pour s'éloigner au plus vite de ce chat qu'il avait pris pour un fantôme, et qui lui avait occasionné une si grande frayeur.

      «Attendez, Monsieur Jules, dit Blaise; laissez-moi emporter le mort, pour que je le fasse reconnaître par quelqu'un. Un beau chat, ajouta-t-il en le ramassant.

      JULES

      Par où allons-nous donc passer pour aller à la route?

      BLAISE

      Par le cimetière, puisqu'il n'y a pas d'autre chemin. Nous ne pouvons pas aller par la cour du moulin, les chiens nous barrent le passage.

      JULES

      Je ne veux point passer par le cimetière..., non, non..., je ne le veux pas, j'ai trop peur.

      BLAISE

      De quoi donc auriez-vous peur, Monsieur Jules, puisque vous voyez que notre fantôme n'en est pas un? Ce n'était qu'un chat.

      JULES

      Je veux retourner par le chemin de la rivière, par lequel nous sommes venus.

      BLAISE

      Et les fours à chaux, donc, nous ne passerons pas devant? C'est le plus joli de la promenade.

      JULES

      Non, je ne veux pas y aller; je veux rentrer tout de suite. Si tu ne viens pas avec moi, je vais crier si fort que je vais

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