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son chemin; il a déjà dépassé le fort, quand tout à coup une ligne de fumée apparaît aux flancs du bâtiment embossé et au couronnement du fort. Quarante-quatre pièces de canon tonnent à la fois, enfilant de biais la corvette française, trouant sa voilure, fouillant son équipage, brisant son petit hunier, tandis qu'en même temps les couleurs françaises disparaissent du fort et du trois-mâts et font place au drapeau anglais. Nous avons été dupes de la supercherie; nous sommes tombés dans le piège.

      Mais, au lieu de rebrousser chemin, ce qui lui serait possible encore en abandonnant la corvette qui lui sert de mouche, et qui, revenue de sa surprise, répond au feu du trois-mâts par celui de ses deux pièces de chasse, le capitaine Duperré fait un signal au Windham, qui reprend la mer, et ordonne à la Minerve et au Ceylan de forcer la passe. Lui-même les soutiendra, tandis que le Windham ira prévenir le reste de la flotte française de la position où se trouvent les quatre bâtiments.

      Alors les navires continuent de s'avancer, non plus avec la sécurité du Victor, mais mèche allumée, chaque homme à son poste, et dans ce profond silence qui précède toujours les grandes crises. Bientôt la Minerve se trouve bord à bord avec le trois-mâts ennemi; mais, cette fois, c'est elle qui le prévient: vingt-deux bouches à feu s'enflamment à la fois; la bordée porte en plein bois; une partie du bastingage du bâtiment anglais vole en morceaux; quelques cris étouffés se font entendre; puis, à son tour, il tonne de toute sa batterie et renvoie à la Minerve les messagers de mort qu'il vient d'en recevoir, tandis que l'artillerie du fort plonge de son côté sur elle, mais sans lui faire d'autre mal que de lui tuer quelques hommes et de lui couper quelques cordages.

      Puis vient le Ceylan, joli brick de 22 canons, pris, comme le Victor, la Minerve et le Windham, quelques jours auparavant sur les Anglais, et qui, comme le Victor et la Minerve, allait combattre pour la France, sa nouvelle maîtresse. Il s'avança léger et gracieux comme un oiseau de mer qui rase les flots. Puis, arrivé en face du fort et du trois-mâts, le fort, le trois-mâts et le Ceylan s'enflammèrent ensemble, confondant leur bruit, tant ils avaient tiré en même temps, et mêlant leur fumée, tant ils étaient proches l'un de l'autre.

      Restait le capitaine Duperré, qui montait la Bellonne.

      C'était déjà à cette époque un des plus braves et des plus habiles officiers de notre marine. Il s'avança à son tour, serrant l'île de la Passe plus près que n'avait fait aucun des autres bâtiments; puis, à bout portant, flanc contre flanc, les deux bords s'enflammèrent, échangeant la mort à portée de pistolet. La passe était forcée; les quatre bâtiments étaient dans le port; ils se rallient alors à la hauteur des Aigrettes, et vont jeter l'ancre entre l'île aux Singes et la Pointe de la Colonie.

      Aussitôt le capitaine Duperré se met en communication avec la ville, et il apprend que l'île Bourbon est prise, mais que, malgré ses tentatives sur l'île de France, l'ennemi n'a pu s'emparer que de l'île de la Passe. Un courrier est à l'instant même expédié au brave général Decaen, gouverneur de l'île, pour le prévenir que les quatre bâtiments français, le Victor, la Minerve, le Ceylan et la Bellone, sont à Grand-Port. Le 21, à midi, le général Decaen reçoit cet avis, le transmet au capitaine Hamelin, qui donne aux navires qu'il a sous sa direction l'ordre d'appareiller, expédie à travers terres des renforts d'hommes au capitaine Duperré, et le prévient qu'il va faire ce qu'il pourra pour arriver à son secours attendu que tout lui fait croire qu'il est menacé par des forces supérieures.

      En effet, en cherchant à mouiller dans la rivière Noire, le 21, à quatre heures du matin, le Windham avait été pris par la frégate anglaise Syrius. Le capitaine Pym, qui la commandait, avait appris alors que quatre bâtiments français, sous les ordres du capitaine Duperré, étaient entrés à Grand-Port, où le vent les retenait; il en avait aussitôt donné avis aux capitaines de La Magicienne et de l'Iphigénie, et les trois frégates étaient parties aussitôt: le Syrius remontait vers Grand-Port en passant sous le vent, et les deux autres frégates relevant par le vent pour atteindre le même point.

      Ce sont ces mouvements qu'a vus le capitaine Hamelin, et qui, par leur rapport avec la nouvelle qu'il apprend, lui font croire que le capitaine Duperré va être attaqué. Il presse donc lui-même son appareillage; mais, quelque diligence qu'il fasse, il n'est prêt que le 22 au matin. Les trois frégates anglaises ont trois heures d'avance sur lui, et le vent, qui se fixe au sud-est et qui fraîchit de moment en moment, va augmenter encore les difficultés qu'il doit éprouver pour arriver à Grand-Port.

      Le 21 au soir, le général Decaen monte à cheval, et, à cinq heures du matin, il arrive à Mahebourg, suivi des principaux colons et de ceux de leurs nègres sur lesquels ils croient pouvoir compter. Maîtres et esclaves sont armés de fusils, et, dans le cas où les Anglais tenteraient de débarquer, ils ont chacun cinquante coups à tirer. Une entrevue a lieu aussitôt entre lui et le capitaine Duperré.

      À midi, la frégate anglaise Syrius, qui est passée sous le vent de l'île, et qui, par conséquent, a éprouvé moins de difficultés sur sa route que les deux frégates, paraît à l'entrée de la passe, rallie le trois-mâts embossé près du fort et que l'on a reconnu pour être la frégate la Néréide, capitaine Willoughby, et toutes deux, comme si elles comptaient à elles seules attaquer la division française, s'avancent sur nous, faisant la même marche que nous avions faite; mais, en serrant de trop près le bas-fond, le Syrius touche, et la journée s'écoule pour son équipage à se remettre à flot.

      Pendant la nuit, le renfort de matelots envoyé par le capitaine Hamelin arrive, et est distribué sur les quatre bâtiments français, qui comptent ainsi quatorze cents hommes à peu près, et cent quarante-deux bouches à feu. Mais comme, aussitôt leur répartition, le capitaine Duperré a fait échouer la division, et que chaque vaisseau présente son travers, la moitié seulement des canons prendront part à la fête sanglante qui se prépare.

      À deux heures de l'après-midi, les frégates La Magicienne et l'Iphigénie parurent à leur tour à l'entrée de la passe; elles rallièrent le Syrius et la Néréide, et toutes quatre s'avancèrent contre nous. Deux se firent échouer, les deux autres s'amarrèrent sur leurs ancres, présentant un total de dix-sept cents hommes et de deux cents canons.

      Ce fut un moment solennel et terrible que celui pendant lequel les dix mille spectateurs qui garnissaient les montagnes virent les quatre frégates ennemies s'avancer sans voiles et par la seule et lente impulsion du vent dans leurs agrès, et venir, avec la confiance que leur donnait la supériorité du nombre, se ranger à demi-portée du canon de la division française, présentant à leur tour leur travers, s'échouant comme nous nous étions fait échouer, et renonçant d'avance à la fuite, comme d'avance nous y avions renoncé.

      C'était donc un combat tout d'extermination qui allait commencer; lions et léopards étaient en présence, et ils allaient se déchirer avec des dents de bronze et des rugissements de feu.

      Ce furent nos marins qui, moins patients que ne l'avaient été les gardes-françaises à Fontenoy, donnèrent le signal du carnage. Une longue traînée de fumée courut aux flancs des quatre vaisseaux, à la corne desquels flottait un pavillon tricolore; puis en même temps le rugissement de soixante-dix bouches à feu retentit, et l'ouragan de fer s'abattit sur la flotte anglaise.

      Celle-ci répondit presque aussitôt, et alors commença, sans autre manœuvre que celle de déblayer les ponts des éclats de bois et des corps expirants, sans autre intervalle que celui de charger les canons, une de ces luttes d'extermination comme, depuis Aboukir et Trafalgar, les fastes de la marine n'en avaient pas encore vu. D'abord, on put croire que l'avantage était aux ennemis; car les premières volées anglaises avaient coupé les embossures de la Minerve et du Ceylan; de sorte que, par cet accident, le feu de ces deux navires se trouva masqué en grande partie. Mais, sous les ordres de son capitaine, la Bellone fit face à tout, répondant aux quatre bâtiments à la fois, ayant des bras, de la poudre et des boulets pour tous; vomissant incessamment le feu, comme un volcan en éruption, et cela pendant

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