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Sainte-Marie-des-Fleurs: Roman. Boylesve René
Читать онлайн.Название Sainte-Marie-des-Fleurs: Roman
Год выпуска 0
isbn 4064066085537
Автор произведения Boylesve René
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—Je vous assure que si.
—Bien vrai? Oh! dites-moi ça, sans l'ombre de votre manière railleuse!
—Bien vrai. Je vous jure que je ne ris pas du tout.
Je ne riais pas. J'essayais d'étouffer ma rage et ma tendresse mêlées dans un tumulte confus. Le coup violent de la nouvelle de ces fiançailles, après m'avoir assommé, me laissait une colère contre cette petite qui m'annonçait cela avec tant de naturel. Je m'étais fait, depuis huit jours, en pensée, à une telle familiarité avec elle, que l'idée brutale de la prendre et de secouer ses membres fragiles, comme à une maîtresse surprise en trahison, me vint avec le retour de mes sens. Je lui en voulais de ne pas découvrir que j'étais ivre d'elle et qu'il valait mieux ne pas m'inviter à l'aller voir que me dire cela.
J'étais furieux contre moi-même et contre tout le reste. Nous étions arrivés, tout en causant, à la corne extrême de Venise, où sont les Jardins. Elle me dit:
—Décidément, vous êtes dans vos vilains moments, ce n'est pas la peine que je parle; je vois que vous ne m'écoutez pas.
Cette phrase anodine, mais qui marquait la sorte d'intimité boudeuse et grondeuse où nous en arrivions aisément et que j'adorais, me remit à vif. Elle me donna un petit coup si voluptueux et si amer que je sentis les larmes me suffoquer. Je me contins par un brusque effort, mais je dus rester quelques instants sans répondre. Mon ravissement vis-à-vis d'elle était dans la nuance des paroles. Je vis si clair et si proche l'instant où cette douce intimité minutieuse allait être rompue, que j'eus la tentation de briser tout à coup, pour en demeurer sur le pur parfum. Paris et la pensée de l'homme de Chicago, pensai-je, vont me corrompre et m'empoisonner tout cela. Tournons sur nos talons, emportons le baume encore si délicat! Puis, je réfléchis qu'il y avait quelques minutes à peine qu'elle m'avait annoncé ses fiançailles—il me semblait déjà que j'en avais souffert depuis plusieurs jours;—la quitter si soudainement, ne serait-ce donner à cet événement une importance que je ne voulais pas laisser paraître? Enfin, ces dames nous avaient rejoints, et mon adieu non préparé eût été d'une sécheresse indécente. Je n'osai pas l'exécuter. Mais je résolus de me comporter immédiatement vis-à-vis de moi-même, comme si ma séparation eût eu lieu en effet; de me tuer le sentiment; de n'être plus là qu'un étranger retenu par la politesse. Et si j'étais tenté de faiblir, une idée me devait servir de cordial puissant: «J'emporte au fond de moi, me devais-je dire, la petite amphore close sur le parfum sans mélange; aussitôt seul, j'en soulèverai avec précaution le couvercle et en aspirerai les arômes légers.»
Je me mis à parler à tort et à travers, dans les Jardins. Je m'intéressai subitement à des quantités de choses qui, depuis une quinzaine, m'étaient devenues étrangères. Je retrouvai l'homme que j'étais avant la journée du Lido. Assis du côté des lagunes, je retraçai à ces dames les beaux fastes de la République de Venise. Elles s'émerveillèrent et me crurent un bien savant homme. J'annonçai très sincèrement le projet de me livrer à des travaux considérables.
—Vous êtes bien élégant, me dit la jeune fille, pour demeurer dans les bibliothèques.
J'affirmai que j'avais des manches en lustrine et des lunettes à longues branches minces et recourbées qui tiennent solidement aux oreilles.
Le reste de la promenade s'acheva en humeur facile. Nous vîmes encore un beau soleil mourir en faisant palpiter les marbres. Je pris congé sur ce quai des Esclavons tant de fois parcouru; je fixai mon départ au lendemain; je retins le toucher de mes doigts en pressant une dernière fois des mains chaudement tendues; j'aveuglai même mon regard, en sorte qu'aucun œil ne me troublât. J'étais persuadé que j'avais le cœur le plus sec et que tout plaisir était désormais vulgaire au prix de celui qui m'était réservé, sans mélange, et que j'emportais comme un souvenir merveilleux de ce que Venise a de plus subtile beauté: respirer ma petite amphore parfumée!
J'avais résolu de filer tout d'une traite à Paris. Je me méfiais d'un lent éloignement de Venise, où ces dames devaient demeurer une semaine encore. Je ne pus pas dépasser Vérone, et je luttai contre moi une journée entière pour ne pas retourner à Venise.
Je me rappelle l'affreux déchirement de ce départ où j'ai aperçu, dans le brouillard du matin qui s'enlevait, Venise s'éveiller au soleil, d'une couleur de chair, pareille à l'étirement d'un beau bras. Je crus encore une fois que c'était cette ville qui m'émouvait! Mais, à la regarder de loin, merveilleuse, véritable Vénus soulevée de la mer, je me rendis bien compte que ce n'était pas Venise que je voyais et que ce n'était pas même de la beauté qui me touchait.
Il y a, à Vérone, des jardins à l'italienne où l'on monte par un échelonnement de terrasses. J'y passai l'après-midi dans une terrible perplexité. D'en haut, je découvrais une allée de noirs cyprès aigus, pareils à de grands glaives endeuillés, et, sur les murailles, des vignes vierges qui saignaient comme des viandes déchirées. Tout cet or rutilant d'automne et le brasier superbe de la vieille ville rousse étendue à mes pieds sous le soleil ardent, me parlaient trop violemment de la guerre qui était allumée en moi. Je fus effrayé de ce que j'étais devenu en si peu de jours. Il fallait partir, oublier. Je descendis dîner au buffet lamentable de la gare de Vérone. J'étais le seul voyageur. On alluma pour moi deux becs de gaz qui se mirent à clignoter dans la salle immense. Des garçons rôdaient inoccupés. Des chauves-souris passaient et repassaient autour de la lumière. L'horloge sonna huit heures et je pensai qu'à ce moment on chantait là-bas, sur le Grand-Canal, et que la gondole qui portait la petite fiancée de M. Arrigand, l'industriel de Chicago, glissait comme sur une huile douce.
Je pris le train de Paris.
De Milan, où je fis encore une halte de lâcheté, j'avais envoyé une dépêche à ma bonne cousine de la Julière pour l'avertir que je descendais chez elle. Elle était accoutumée à diverses excentricités de ma part et ne se montra point trop étonnée de cette fantaisie.
A dire vrai, je ne pouvais plus rester seul. J'étais certain que la vue de mon intérieur de garçon me serait intolérable. Je pressentais que tous mes objets familiers, tous ces petits moi-même épars sur les tables, les murs et les étagères, s'imprégneraient aussitôt de l'image nouvelle que je portais et me la renverraient avec une trop cruelle intensité. J'ai peur de la souffrance qui vient, de celle de tout à l'heure et de demain. Je m'enfonce et me retourne au contraire avec une rage presque amoureuse dans la douleur actuelle, dans celle qui m'étreint tout de suite.
Je voulais, d'autre part, éviter mes amis. Les plus délicats deviennent grossiers vis-à-vis d'un cœur ébranlé. Il n'y a pire que l'ami pour inventer le mot qui vous blessera à fond sur le chapitre de l'amour. Ressentent-ils de notre passion naissante une secrète jalousie? Leur petit coup de stylet n'est-il que l'instinctive défense contre la rivalité que nous venons leur avouer si gauchement?
Ils voient au point ce que nous n'apercevons qu'au travers de notre exaltation. Une parole juste nous semble d'un ton si bas que nous la taxons de froideur et facilement d'impertinence.
Rien ne valait, pour un souffreteux de mon espèce, le voisinage d'une femme tendre et commençant à prendre de l'âge.
Ma bonne cousine de la Julière était un refuge mieux que maternel. Une quinzaine d'années seulement nous séparaient, et elle avait perdu de la jeunesse juste ce qu'il fallait pour qu'une femme gardât un parfum aimable et non troublant. Je n'avais pas avec elle cette familiarité qui l'eût autorisée à m'interroger au delà de ce que je manifestais avoir envie de lui dire, ni précisément le respect qui m'eut retenu de lui faire telles confidences dont le goût