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Sixtine: roman de la vie cérébrale. Remy de Gourmont
Читать онлайн.Название Sixtine: roman de la vie cérébrale
Год выпуска 0
isbn 4064066086671
Автор произведения Remy de Gourmont
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
14 septembre, le matin.—J'ai vu le portrait. La lune pâle et verte planait dans ma chambre; je venais de me réveiller, et d'obscures et ophidiennes visions me hantaient encore. L'œil fiévreux, je regardais autour de moi avec défiance, des raisonnements logiques et absurdes se multipliaient dans ma tête et leur fugacité me laissait un doute sur le lieu précis de mon existence actuelle: étais-je au milieu des broussailles et des précipices des Roches-Noires? Non. Etais-je dans ma chambre et dans mon lit, loin des vipères et des grimaçantes pierres? Peut-être. Voilà qu'au-dessus de la cheminée, la glace lentement change de teinte: son vert lunaire, son vert d'eau transparente sous des saules s'avive et se dore. On dirait qu'au centre de la lueur, comme sur la face même de la lune, des ombres se projettent avec des apparences de traits humains, tandis qu'autour de la vague figure, une ondulation lumineuse serpente comme des cheveux blonds dénoués et flottants. Sans que j'aie pu analyser le reste de la soudaine transformation, dans l'intervalle d'un clin d'yeux je la vois achevée. Clair et vivant, le portrait me regarde; c'est, trait pour trait, celui de la jeune femme au reptile. Pendant des minutes, de longues et inoubliables minutes, la vision a resplendi, puis, comme sous un souffle, s'est évanouie.
15 septembre, le matin.—Je me suis réveillé vers la même heure, mais la glace est restée verte et je n'ai pas revu le portrait. Je ne pense qu'à cela: toute la journée d'hier, tant que Mme Sixtine Magne était avec nous, je la regardais; quand elle n'était plus là, je l'évoquais.
15 septembre, le soir.—La comtesse, tantôt, sur les bords de l'Orne, m'interpelle: «A propos et le portrait? L'avez-vous vu? Non, vous l'auriez dit. D'ailleurs, maintenant, il faut, paraît-il, être prévenu, pour le voir, prévenu avec un certain mystère. C'est un tour que l'on a joué quelquefois aux imaginations faciles à troubler. Il y a une histoire. M. de B… la raconte fort bien; vers la fin du dîner, mettez-le sur ce chapitre.» Je n'ai pas trouvé un mot à répondre: j'ai vu le portrait, mais comment m'aller vanter de ce privilège? La pêche aux écrevisses continue; on me somme d'y prendre part. Dans un cadre de feuilles, sous des aulnes argentées, la jeune femme, qui a désormais des droits à m'intéresser, semble absorber avec passion un livre dont elle coupe les pages du doigt.—M. de B… n'a pu rester à dîner et personne n'a reparlé de la chambre au portrait. Tant mieux.
(Fin des Notes de Voyage.)—Là, en effet, s'arrêtaient les pages crayonnées, Hubert s'étant mis à rêver à ses impressions, au lieu de les écrire. Il ne voulut pas les rédiger après coup, sans minutes préalables, afin de ne pas s'exposer à brouiller la chronologie des petits faits dont l'ordre logique est l'intérêt premier.—Le reste du carnet était blanc. Toutefois, en le feuilletant définitivement, il aperçut une feuille de papier détachée où se devinaient des intentions de vers. Ceci fixa plus étroitement encore sa pensée sur Sixtine: c'était bien d'elle qu'il était question dans sa prose, dans ses vers, dans sa vie.
VI.—FIGURE DE RÊVE
«O Créateur de l'universel monde,
Ma pauvre âme est troublée grandement!»
HEURES à l'usaige de Paris, 1488.
Sixtine était loin de lui, et pourtant il croyait la voir à ses côtés.
Toute l'après-midi, il garda l'illusion de se promener en sa compagnie. Elle apparaissait dans une robe aux couleurs changeantes: l'étoffe, une soie légère et pâlement verte, avait des cassures dorées. Ses bottines ne faisaient aucun bruit; le sourire, au lieu de paroles, et diverses inflexions de muscles exprimaient ses pensées; cependant, mais une seule fois, il entendit positivement le son de sa voix: «Si vous voulez, je vais vous la raconter, l'histoire de la chambre au portrait?» Préoccupé d'établir le son fondamental de la séquence retrouvée et qui depuis un instant le tyrannisait, Entragues écouta la question, sans en percevoir immédiatement le sens. Il allait répondre et acquiescer, mais Sixtine, sous l'ombrelle qu'elle venait d'ouvrir, lisait: il n'osa la troubler. L'ombrelle, aussi, par son étrangeté, l'induisit en distraction: elle était d'un jaune si limpide et si transparent qu'il voyait au travers, à peine estompées d'une ombre lumineuse les épaules de Sixtine et sa tête ployée vers la lecture.
Ils marchèrent le long du quai, depuis la rue du Bac où il avait commencé de sentir sa présence jusqu'à la place Saint-Michel. La Seine charmante et radieuse s'irrisait des rayons obliques qui la frappaient à contre courant; les proues soulevaient une étincelante écume; la frange dentelée des toiles bises claquait comme des flammes; les pontons çà et là grondaient sous le choc; les parapets multicolores s'en allaient.
Entragues ne collecta aucun lexique; il regardait les dos serrés des livres, sans lire seulement les titres noirs ou dorés.
En un endroit désert, le long de la balustrade de bois, et comme le premier gaz s'allumait au café, en face, un jeune homme qui passait pour poète, peut-être à cause de la rare beauté de sa figure, l'aborda et lui dit:
—C'est singulier, vous êtes seul et on jurerait qu'une invisible personne vous accompagne?
—Je suis seul, maintenant, mon cher Sanglade.
Sixtine, en effet, venait de disparaître aux yeux d'Entragues, et Sanglade eut l'impression d'avoir maladroitement troublé un tête-à-tête, impression toute métaphorique, car il ajouta, avec son air de timidité railleuse:
—Vous cherchiez des rimes, je vais vous en donner, je les ai toutes à mon commandement. Sans cela, serais-je poète.
—Oui, sans cela, vous pourriez être poète.
—En prose, peut-être, reprit Sanglade, mais en vers?
Entragues se laissa battre exprès, n'ayant point l'âme à des tournois esthétiques. Ils remontaient le boulevard. Au Luxembourg, Sanglade, ennuyé de monologuer, profita d'un ami passant pour redescendre. Durant qu'Entragues s'acheminait vers un calme café favorisé de tapis, où son horreur du bruit volontiers se reposait.
Depuis son retour, sauf, le premier matin, une courte entrevue, il avait pu abstraire Sixtine de son immédiate préoccupation. C'était avec une parfaite froideur qu'il avait recopié, en les francisant, les brèves notes de voyage où, sur la fin, le nom de cette femme, à peine connue, revenait à chaque verset, comme un amen. Mais, et il reconnaissait là l'occulte puissance des mots, la transcription matérielle de ces syllabes avait agi violemment sur son imagination. Il venait de vivre des heures entières avec elle, et maintenant que la puissance mystique de la vision était épuisée, il pensait encore à l'absente.
«Elle devait aller à Bagnoles pour un de ces maux imaginaires que les femmes ne songent à traiter qu'en leurs phases d'ennui. Inquiète ou ennuyée, elle avait ces deux airs voisins à presque égales doses. Alors si elle a un amour en tête, elle n'en serait qu'à la période où on s'interroge: incertaines questions, réponses incertaines? Et l'ennui? Il faut, pour l'expliquer, admettre que la marche ou le recul de ce caprice naissant ne tienne pas à sa volonté et qu'elle soit inconsciente de son propre sentiment. C'est cela: elle aime, d'où l'inquiétude; sans le savoir, d'où l'ennui. Il faut observer cela. Peut-elle être revenue?»
Hubert ne se croyait atteint que d'une simple fièvre analytique. Souventes fois, pour le seul plaisir de se rendre compte, il avait suivi, en leurs évolutions psychiques, d'intéressants sujets. Surtout des femmes, mais trompées par une attention de motif indevinable, elles en avaient imaginé un autre, plus fréquent, s'étaient mises à minauder avec le scrutateur. Cela finissait ainsi, soit qu'Entragues s'éloignât, soit qu'un ricochet l'induisît à une secrète expérience de laboratoire.
Dans ce dernier cas, même, c'était court, car il n'avait presque jamais essayé ses réactifs que sur des âmes viles appartenant à des organismes souvent prostitués.
Sixtine était