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vit seul? Que fait-il dans notre pays?

      CAROLINE.—Il vit tout seul. Il n'a que moi pour le servir. Il est venu, paraît-il, pour construire et mettre en train une usine pour un ami, le baron de Gerfeuil, qui n'y entend rien et qui l'a fait venir d'Angleterre. Et il doit avoir beaucoup d'argent, car il en dépense joliment. Il travaille toujours; il ne voit personne que les ouvriers et un interprète qui transmet ses ordres. C'est qu'on ne le comprendrait pas sans cela.

      MADAME BONARD.—Il a un drôle de jargon. Et comment est-il? Est-il bonhomme? Il me fait l'effet d'être colère.

      CAROLINE.—Il est vif et bizarre; mais c'est un brave homme. Je commence à m'y attacher, et ça me taquine de le voir attrapé comme il l'est sans cesse par ces Bourel père et fils. Alcide surtout le plume à faire frémir; c'est un mauvais garnement que ce garçon; vous feriez bien de ne pas laisser votre Frédéric se rencontrer avec lui.

      MADAME BONARD.—Oh! Frédéric ne le voit plus: Bonard le lui a bien défendu.

      CAROLINE.—Mais je viens de les voir entrer ensemble dans le bois, près de chez nous.

      MADAME BONARD, effrayée.—Encore! Oh! mon Dieu! si Bonard le savait! Il le lui a tant défendu.

      CAROLINE.—Et il a bien fait, car une société comme ça, voyez-vous, Madame Bonard, il y a de quoi perdre un jeune homme.

      MADAME BONARD.—Je le sais, ma bonne Mademoiselle Caroline, je ne le sais que trop, et je parlerai ferme à Frédéric, je vous en réponds. Mais, pour Dieu! n'en dites rien à Bonard; il le rouerait de coups.

      CAROLINE.—Je ne dirai rien. Madame Bonard; mais... je ne sais s'il ne vaudrait pas mieux que le père connaisse les allures de son fils. Ne vaut-il pas mieux que le garçon soit battu maintenant que de devenir un filou, un gueux plus tard?

      MADAME BONARD.—J'y penserai, j'y réfléchirai, ma bonne Caroline, je vous le promets. Mais gardez-moi le secret, je vous en supplie.

      CAROLINE.—Je veux bien, moi; au fait, ça ne me regarde pas, c'est votre affaire. Au revoir, Madame Bonard: donnez-moi une de vos dindes, que je l'emporte; si je revenais les mains vides, mon maître serait capable de tomber malade.

      MADAME BONARD.—Mais je ne les ai pas, elles sont aux champs.

      CAROLINE.—Il faut que nous y allions; je ne veux pas rentrer sans la dinde.

      MADAME BONARD.—Ecoutez; allez le long du bois, tournez dans le champ à gauche, vous trouverez Julien avec les dindes, et vous ferez votre choix. Vous connaissez Julien, je pense?

      CAROLINE.—Ma foi, non; il n'y a pas longtemps que je suis dans le pays, je n'y donnais pas beaucoup de monde.

      MADAME BONARD.—Vous le reconnaîtrez tout de même, puisqu'il n'y a que lui qui garde mes dindes dans le champ. Le long du bois, puis à gauche.

      CAROLINE.—C'est entendu; et je payerai Julien?

      MADAME BONARD.—Comme vous voudrez; nous nous arrangerons.»

      Caroline partit; elle prit le chemin que lui avait indiqué Mme Bonard, et trouva Julien avec son troupeau.

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