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Le capitaine Pamphile. Alexandre Dumas
Читать онлайн.Название Le capitaine Pamphile
Год выпуска 0
isbn 4064066085698
Автор произведения Alexandre Dumas
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
Alexandre est un de ces hommes spirituels et originaux qu'on reconnaît pour artiste rien qu'en les regardant passer; qui seraient bon à tout, s'ils n'étaient trop profondément paresseux pour jamais s'occuper sérieusement d'une chose; ayant en tout l'instinct du beau et du vrai, le reconnaissant partout où ils le rencontrent, sans s'inquiéter si l'œuvre qui cause leur enthousiasme est avouée d'une coterie ou signée d'un nom; au reste, bon garçon dans toute l'acception du mot, toujours prêt à retourner ses poches pour ses amis, et, comme tous les gens préoccupés d'une idée qui en vaut la peine, facile à entraîner non par faiblesse de caractère, mais par ennui de la discussion et par crainte de la fatigue.
Avec cette disposition d'esprit, Alexandre se laissa facilement persuader par le nouvel arrivant qu'il trouverait grand plaisir à ouvrir la chasse avec lui dans la plaine Saint-Denis, où il y avait, disait-on, cette année, des cailles par bandes, des perdrix par volées et des lièvres par troupeaux.
En conséquence de cette conversation, Alexandre commanda une veste de chasse à Chevreuil, un fusil à Lepage et des guêtres à Boivin: le tout lui coûta six cent soixante francs, sans compter le port d'armes, qui lui fut délivré à la préfecture de police, sur la présentation du certificat de bonnes vie et mœurs, que lui octroya sans conteste le commissaire de son quartier.
Le 31 août, Alexandre s'aperçut qu'il ne lui manquait qu'une chose pour être chasseur achevé: c'était un chien. Il courut aussitôt chez l'homme qui, pour le tableau des Chiens savants, avait posé, avec sa meute, devant son frère, et lui demanda s'il n'aurait pas ce qu'il lui fallait.
L'homme lui répondit qu'il avait, sous ce rapport, des bêtes d'un instinct merveilleux, et, passant de sa chambre dans le chenil, avec lequel elle communiquait de plain-pied, il ôta en un tour de main le chapeau à trois cornes et l'habit qui décoraient une espèce de briquet noir et blanc, rentra immédiatement avec lui, et le présenta à Alexandre comme un chien de pure race. Celui-ci fit observer que le chien de race avait les oreilles droites, pointues, ce qui était contraire à toutes les habitudes reçues; mais à ceci l'homme répondit que Love était anglais, et qu'il était du suprême bon ton chez les chiens anglais de porter les oreilles ainsi. Comme, à tout prendre, la chose pouvait être vraie, Alexandre se contenta de l'explication et ramena Love chez lui.
Le lendemain, à cinq heures du matin, notre chasseur vint réveiller Alexandre, qui dormait, comme un bienheureux, le tança violemment sur sa paresse, et lui reprocha un retard, grâce auquel il trouverait, en arrivant, toute la plaine brûlée.
En effet, au fur et à mesure que l'on approchait de la barrière, les détonations devenaient plus vives et plus bruyantes. Nos chasseurs doublèrent le pas, dépassèrent la douane, enfilèrent la première ruelle qui conduisait à la plaine, se jetèrent dans un carré de choux et tombèrent au milieu d'une véritable affaire d'avant-garde.
Il faut avoir vu la plaine Saint-Denis un jour d'ouverture, pour se faire une idée du spectacle insensé qu'elle présente. Pas une alouette, pas un moineau franc ne passe, qu'il ne soit salué d'un millier de coups de fusil. S'il tombe, trente carnassières s'ouvrent, trente chasseurs se disputent, trente chiens se mordent; s'il continue son chemin, tous les yeux sont fixés sur lui; s'il se pose, tout le monde court; s'il se relève, tout le monde tire. Il y a bien par-ci par-là quelques grains de plomb adressés aux bêtes et qui arrivent aux gens: il n'y faut pas regarder; d'ailleurs, il y a un vieux proverbe à l'usage des chasseurs parisiens qui dit que le plomb est l'ami de l'homme. À ce titre, j'ai pour mon compte trois amis qu'un quatrième m'a logés dans la cuisse.
L'odeur de la poudre et le bruit des coups de fusil produisirent leur effet habituel. À peine notre chasseur eut-il flairé l'une et entendu l'autre, qu'il se précipita dans la mêlée et commença immédiatement à faire sa partie dans le sabbat infernal qui venait de l'envelopper dans son cercle d'attraction.
Alexandre, moins impressionnable que lui, s'avança d'un pas plus modéré, religieusement suivi par Love, dont le nez ne quittait pas les talons de son maître. Or, chacun sait que le métier d'un chien de chasse est de battre la plaine et non de regarder s'il manque des clous à nos bottes: c'est la réflexion qui vint tout naturellement à Alexandre au bout d'une demi-heure. En conséquence, il fit un signe de la main à Love et lui dit:
—Cherche!
Love se leva aussitôt sur ses pattes de derrière et se mit à danser.
—Tiens! dit Alexandre en posant la crosse de son fusil à terre et regardant son chien, il paraît que Love, outre son éducation universitaire, possède aussi des talents d'agrément. Je crois que j'ai fait là une excellente acquisition.
Cependant, comme il avait acheté Love pour chasser et non pour danser, il profita du moment où celui-ci venait de retomber sur ses quatre pattes pour lui faire un second signe plus expressif, et lui dire d'une voix plus forte:
—Cherche!
Love se coucha de tout son long, ferma les yeux et fit le mort.
Alexandre prit son lorgnon, regarda Love. L'intelligent animal était d'une immobilité parfaite; pas un poil de son corps ne bougeait; on l'eut cru trépassé depuis vingt-quatre heures.
—Ceci est très joli, reprit Alexandre; mais, mon cher ami, ce n'est point ici le moment de nous livrer à ces sortes de plaisanteries; nous sommes venus pour chasser, chassons. Allons, la bête, allons!
Love ne bougeait pas.
—Attends, attends! dit Alexandre tirant de terre un échalas qui avait servi à ramer les pois, et s'avançant vers Love avec l'intention de lui en caresser les épaules, attends!
À peine Love avait-il vu le bâton dans les mains de son maître, qu'il s'était remis sur ses pattes et avait suivi tous ses mouvements avec une expression d'intelligence remarquable. Alexandre, qui s'en était aperçu, différa donc la correction, et pensant que, cette fois, il allait enfin lui obéir, il étendit l'échalas devant Love, et lui dit pour la troisième fois:
—Cherche!
Love prit son élan et sauta par-dessus l'échalas.
Love savait admirablement trois choses: danser sur les pattes de derrière, faire le mort et sauter pour le roi.
Alexandre, qui, pour le moment, n'appréciait pas plus ce dernier talent que les autres, cassa l'échalas sur le dos de Love, qui se sauva en hurlant du côté de notre chasseur.
Or, comme Love arrivait, notre chasseur tirait, et, par le plus grand hasard, une malheureuse alouette, qui s'était trouvée sous le coup, tombait dans la gueule de Love. Love remercia la Providence qui lui envoyait une pareille bénédiction; et sans s'inquiéter si elle était rôtie ou non, il n'en fit qu'une bouchée.
Notre chasseur se précipita sur le malheureux chien avec les imprécations les plus terribles, le saisit à la gorge et la lui serra avec tant de force, qu'il le força d'ouvrir la gueule, quelque envie qu'il eût de n'en rien faire. Le chasseur y plongea frénétiquement la main jusqu'au gosier, et en tira trois plumes de la queue de l'alouette. Quant au corps, il n'y fallait plus penser.
Le propriétaire de l'alouette chercha dans sa poche un couteau pour éventrer Love, et rentrer par ce moyen en possession de son gibier; mais, malheureusement pour lui, et heureusement pour Love, il avait prêté le sien, la veille au soir, à sa femme pour tailler d'avance les brochettes qui devaient enfiler ses perdrix, et sa femme avait oublié de le lui rendre. Forcé, en conséquence, de recourir à des moyens de punition moins violents, il donna à Love un coup de pied à enfoncer une porte cochère, mit soigneusement dans sa carnassière les trois plumes qu'il avait sauvées, et cria de toutes ses forces à Alexandre:
—Vous pouvez être tranquille, mon cher ami, jamais je ne chasserai avec vous, à l'avenir. Votre gredin de Love vient de me dévorer une caille superbe! Ah! reviens-y, drôle!...
Love n'avait garde d'y revenir. Il se sauvait, au contraire, tant qu'il avait de jambes, du côté de son maître;