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Les Maîtres sonneurs. George Sand
Читать онлайн.Название Les Maîtres sonneurs
Год выпуска 0
isbn 4064066085179
Автор произведения George Sand
Жанр Языкознание
Издательство Bookwire
—C'est-à-dire au droit du plus fort? fit-il en retroussant ses manches. Ça me va mieux que d'aller devant les procureurs, et si vous êtes seul, si vous n'agissez pas en traître...
—Venez dehors, lui dis-je, vous verrez que je suis seul. Vous avez tort de me faire injure; car, en entrant ici, je vous tenais au bout de mon fusil. Mais les armes sont faites pour tuer les loups et les chiens enragés. Je n'ai pas voulu vous traiter comme une bête, et, bien qu'à présent vous soyez en mesure de me fusiller aussi, je trouve qu'entre hommes c'est lâche de s'envoyer des balles, la force ayant été donnée aux humains pour s'en servir. Vous ne me paraissez pas plus manchot que moi, et si vous avez du cœur...
—Mon garçon, fit-il en me tirant auprès du feu pour me regarder, vous avez peut-être tort: vous êtes plus jeune que moi, et, encore que vous paraissiez sec et solide, je ne répondrais pas de votre peau. J'aimerais mieux que vous me parliez gentiment pour me réclamer votre dû, et vous en remettre à ma justice.
—En voilà assez, lui dis-je en lui faisant tomber son chapeau dans les cendres pour le fâcher; c'est le mieux cogné de nous deux qui sera le plus gentil tout à l'heure.
Il ramassa son chapeau tranquillement, le mit sur la table et dit:—Quelles sont vos coutumes dans le pays d'ici?
—Entre jeunes gens, répondis-je, il n'y a ni malice ni traîtrise. On se toure à bras-le-corps, on tape où l'on peut, sauf la figure. Celui qui prend un bâton ou une pierre est réputé coquin et assassin.
—C'est comme chez nous, fit-il. Marchons donc, j'ai intention de vous ménager; mais si j'y vas plus fort que je ne veux, rendez-vous, car il y a un moment, vous le savez, où on ne peut pas bien répondre de soi.
Quand nous fûmes dehors, à même l'herbe drue, nous mîmes habit bas pour ne nous point gâter inutilement, et commençâmes à nous tourer, en nous serrant les flancs et en nous enlevant l'un l'autre. J'avais avantage sur lui, pour ce qu'il était plus grand de toute la tête et que son grand abattage me donnait meilleure prise. D'ailleurs, il n'était pas échauffé, et, croyant avoir trop vite raison de moi, il ne donnait pas sa force; si bien que je le déracinai à la troisième suée, et l'étendis sous moi: mais là il reprit son avoir, et devant que j'eusse le temps de frapper, il se roula comme un serpent et m'enlaça si serré que j'en perdais mon soupir.
Pourtant je trouvai moyen de me relever avant lui, et de lui revenir sus. Quand il vit qu'il avait affaire à franche partie et attrapait du bon dans l'estomac et sur les épaules, il m'en porta aussi de rudes, et je dois dire que son poing pesait comme un marteau de forge. Mais j'y serais mort plutôt que d'en rien sentir, et chaque fois qu'il me criait: Rends-toi! le courage et le moyen me revenaient pour le payer en même argent.
Si bien, qu'un bon quart d'heure durant, la lutte sembla égale. Enfin, je sentis que je m'épuisais, tandis qu'il ne faisait que de s'y mettre; car s'il n'avait pas les ressorts meilleurs que moi, il avait pour lui l'âge et le tempérament. Et, de fine force, je me trouvai dessous et bien battu, sans me pouvoir dégager. Nonobstant, je ne voulus crier merci, et quand il vit que je m'y ferais tuer, il se comporta en homme généreux.—En voilà assez, fit-il en me lâchant le gosier; tu as la tête plus dure que les os, je vois ça; et je te les casserais avant de la faire céder. C'est bien! Puisque tu es un homme, soyons amis. Je te fais excuse d'être entré en ta maison; et à cette heure, voyons les ravages que t'ont fait mes mules. Me voilà prêt à te payer aussi franchement que je t'ai battu. Après quoi, tu me donneras un verre de vin, afin que nous nous quittions bons camarades.
Le marché conclu, et quand j'eus empoché trois bons écus qu'il me donna pour moi et mon beau-frère, j'allai tirer du vin et nous nous mîmes à table. Trois pichets de deux pintes y passèrent, le temps de dire les grâces, car nous étions bien altérés au jeu que nous avions joué, et maître Huriel avait un coffre qui en tenait tant qu'on voulait. Il me parut bon compagnon, beau causeur et aimable à vivre au possible; et moi, ne voulant pas rester en arrière de paroles et d'actions, je remplissais son verre à chaque minute et lui faisais des jurements d'amitié à casser les vitres.
Il ne paraissait point se sentir de la bataille; si fait bien m'en ressentais-je; mais, ne voulant pas le montrer, je lui fis offre d'une chanson, et j'en tirai une, avec un peu d'effort, de mon gosier, encore chaud de la pressurée de ses mains. Il n'en fit que rire.—Camarade, me dit-il, ni toi ni les tiens ne savez ce que c'est que chanter. Vos airs sont fades et votre souffle écourté, comme vos idées et vos plaisirs. Vous êtes une race de colimaçons, humant toujours même vent, et suçant même écorce; car vous pensez que le monde finit à ces collines bleues qui cerclent votre ciel, et qui sont les forêts de mon pays. Moi, je te dis, Tiennet, que c'est là que le monde commence, et que tu marcherais de ton meilleur pas, bien des jours et des nuits, avant de sortir de ces grands bois auprès desquels les vôtres sont des carrés de pois rames. Et quand tu en aurais gagné le bout, tu trouverais des montagnes, et encore des bois tels que tu n'en as jamais vus, car ce sont de grands et beaux sapins d'Auvergne inconnus dans vos plaines grasses. Mais à quoi bon te parler de ces endroits que tu ne verras jamais? Le Berrichon, je le sais, est une pierre qui roule d'un sillon sur l'autre, revenant toujours sur celui de droite quand la charrue l'a poussé pour une saison sur celui de gauche. Il respire un air lourd, il aime ses aises, il n'a point de curiosité; il chérit son argent, et ne le dépense point; mais il ne sait pas l'augmenter, et n'a ni invention ni courage. Je ne dis pas ça pour toi, Tiennet; tu sais te battre, mais c'est pour défendre ton bien, et tu ne saurais pas en acquérir par industrie, comme nous autres, esprits voyageurs, qui vivons partout comme chez nous, et prenons par ruse ou par force ce qu'on ne nous donne pas de bon gré.
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