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tel était l'ameublement et l'éclairage de ce boudoir abandonné qui avait servi de retraite voluptueuse à quelque marquise du temps passé.

      Leur descendante, la blonde Marcelle, était aussi chastement et aussi simplement mise que doit l'être une veuve pudique. Ses beaux cheveux dorés tombant sur son fichu de crêpe noir étaient sa seule parure. La délicatesse de ses mains d'albâtre et de son pied chaussé de satin, étaient les seuls indices révélateurs de son existence aristocratique. On eût pu d'ailleurs la prendre pour la compagne naturelle de l'homme qui était à genoux auprès d'elle, pour une grisette de Paris; car il est des grisettes qui ont au front une dignité de reine et une candeur de sainte.

      Henri Lémor était d'une figure agréable, plutôt intelligente et distinguée que belle. Ses cheveux noirs et abondants assombrissaient sa physionomie déjà brune et fort pâle. On voyait bien là que c'était un enfant de Paris, fort par sa volonté, délicat par son organisation. Son habillement, propre et modeste, n'annonçait que l'humble médiocrité; sa cravate assez mal nouée révélait une grande absence de coquetterie ou une habitude de préoccupation; ses gants bruns suffisaient à prouver que ce n'était pas là, comme se seraient exprimés les laquais de l'hôtel de Blanchemont, un homme fait pour être le mari ou l'amant de madame.

      Ces deux jeunes gens, à peine plus âgés l'un que l'autre, avaient passé plus d'une fois de doux instants dans le pavillon pendant les heures mystérieuses de la nuit; mais, depuis un mois qu'ils ne s'étaient vus, de grandes anxiétés avaient assombri le roman de leur amour. Henri Lémor était tremblant et comme consterné. Marcelle de Blanchemont semblait glacée de crainte. Il se mit à genoux devant elle comme pour la remercier de lui avoir accordé un dernier rendez-vous; mais il se releva bientôt sans lui rien dire, et son attitude était contrainte, presque froide.

      —Enfin!... lui dit-elle avec effort en lui tendant une main qu'il porta à ses lèvres par un mouvement presque convulsif, et sans que sa physionomie s'éclairât du moindre rayon de joie.

      Il ne m'aime plus, pensa-t-elle en portant ses deux mains devant ses yeux. Et elle resta muette et glacée d'effroi.

      —Enfin? répéta Lémor. N'est-ce pas déjà que vous vouliez dire? J'aurais dû avoir la force d'attendre plus longtemps; je ne l'ai pas eue, pardonnez-moi.

      —Je ne vous comprends pas! dit la jeune veuve en laissant retomber ses mains avec accablement.

      Lémor vit ses yeux humides, et se méprit sur la cause de son émotion.

      —Oh! oui, reprit-il, je suis coupable; je vois à votre douleur les remords que je vous cause. Ces quatre semaines m'ont paru si longues, à moi, que je n'ai pas eu le courage de me dire que c'était trop peu! Aussi, à peine vous avais-je écrit, ce matin, pour vous demander la permission de vous voir, que je m'en suis repenti. J'ai rougi de ma lâcheté, je me suis reproché les scrupules que je forçais votre conscience à étouffer; et quand j'ai reçu votre réponse, si sérieuse et si bonne, j'ai compris que la pitié seule me rappelait auprès de vous.

      —Oh! Henri, que vous me faites de mal en parlant ainsi! Est-ce un jeu, est-ce un prétexte? Pourquoi avoir demandé de me voir, si vous me revenez avec si peu de bonheur et de confiance?

      Le jeune homme tressaillit, et se laissant retomber aux pieds de sa maîtresse:

      —J'aimerais mieux de la hauteur et des reproches, dit-il; votre bonté me tue!

      —Henri! Henri! s'écria Marcelle, vous avez donc eu des torts envers moi? Oh! vous avez l'air d'un criminel! Vous m'avez oubliée ou méconnue, je le vois bien!

      —Ni l'un, ni l'autre; pour mon malheur éternel, je vous respecte, je vous adore, je crois en vous comme en Dieu, je ne puis aimer que vous sur la terre!

      —Eh bien! dit la jeune femme en jetant ses bras autour de la tête brune du pauvre Henri, ce n'est pas un si grand malheur que de m'aimer ainsi, puisque je vous aime de même. Écoutez, Henri, me voilà libre, je n'ai rien à me reprocher. J'ai si peu souhaité la mort de mon mari, que jamais je ne m'étais permis de penser à ce que je ferais de ma liberté si elle venait à m'être rendue. Vous le savez, nous n'avions jamais parlé de cela, vous n'ignoriez pas que je vous aimais avec passion, et pourtant voici la première fois que je vous le dis aussi hardiment! Mais, mon ami, que vous êtes pâle! vos mains sont glacées, vous paraissez tant souffrir! Vous m'effrayez!

      —Non, non, parlez, parlez encore, répondit Lémor succombant sous le poids des émotions les plus délicieuses et les plus pénibles en même temps.

      —Eh bien, continua madame de Blanchemont, je ne peux pas avoir ces scrupules et ces agitations de la conscience que vous redoutez pour moi. Quand on me rapporta le corps sanglant de mon mari, tué en duel pour une autre femme, je fus frappée de consternation et d'épouvante, j'en conviens; en vous annonçant cette terrible nouvelle, en vous disant de rester quelque temps éloigné de moi, je crus accomplir un devoir; oh! si c'est un crime d'avoir trouvé ce temps bien long, votre obéissance scrupuleuse m'en a assez punie! Mais depuis un mois que je vis retirée, occupée seulement d'élever mon fils et de consoler de mon mieux les parents de M. de Blanchemont, j'ai bien examiné mon coeur, et je ne le trouve plus si coupable. Je ne pouvais pas aimer cet homme qui ne m'a jamais aimée, et tout ce que je pouvais faire, c'était de respecter son honneur. A présent, Henri, je ne dois plus à sa mémoire qu'un respect extérieur pour les convenances. Je vous verrai en secret, rarement, il le faudra bien!... jusqu'à la fin de mon deuil; et dans un an, dans deux ans, s'il le faut....

      —Eh bien! Marcelle, dans deux ans?

      —Vous me demandez ce que nous serons l'un pour l'autre, Henri? Vous ne m'aimez plus, je vous le disais bien!

      Ce reproche n'émut point Henri. Il le méritait si peu! Attentif jusqu'à l'anxiété à toutes les paroles de son amante, il la supplia de continuer:

      —Eh bien! reprit-elle en rougissant avec la pudeur d'une jeune fille, ne voulez-vous donc pas m'épouser, Henri?

      Henri laissa tomber sa tête sur les genoux de Marcelle, et resta quelques instants comme brisé par la joie et la reconnaissance; mais il se releva brusquement, et ses traits exprimaient le plus profond désespoir.

      —N'avez-vous donc pas fait du mariage une assez triste expérience? dit-il avec une sorte de dureté. Vous voulez encore vous remettre sous le joug?

      —Vous me faites peur, dit madame de Blanchemont après un moment d'effroi silencieux. Sentez-vous donc en vous-même des instincts de tyrannie, ou bien est-ce pour vous que vous craignez le joug de l'éternelle fidélité?

      —Non, non, ce n'est rien de tout cela, répondit Lémor avec abattement; ce que je redoute, ce à quoi il m'est impossible de vous soumettre et de me soumettre moi-même, vous le savez; mais vous ne voulez pas, vous ne pouvez pas le comprendre. Nous en avons tant parlé cependant, alors que nous ne pensions pas que de pareilles discussions dussent un jour nous intéresser personnellement, et devenir pour moi un arrêt de vie ou de mort!

      —Est-il possible, Henri, que vous soyez attaché à ce point à vos utopies? Quoi! l'amour même ne saurait les vaincre? Ah! que vous aimez peu, vous autres hommes! ajouta-t-elle avec un profond soupir. Quand ce n'est pas le vice qui vous dessèche l'âme, c'est la vertu, et de toutes façons, lâches ou sublimes, vous n'aimez que vous-mêmes.

      —Écoutez, Marcelle, si je vous avais demandé, il y a un mois, de manquer à vos principes à vous, si mon amour avait imploré ce que votre religion et vos croyances vous eussent fait regarder comme une faute immense, irréparable....

      —Vous ne me l'avez pas demandé, dit Marcelle en rougissant.

      —Je vous aimais trop pour vous demander de souffrir et de pleurer pour moi. Mais si je l'eusse fait, répondez donc, Marcelle!

      —La question est indiscrète et déplacée, dit-elle en faisant un effort d'aimable coquetterie, pour éluder la réponse.

      Sa grâce et sa beauté firent frémir Lémor. Il la pressa contre son coeur avec passion.

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