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plus de raisons de le suspecter de la mort de son père. Il se rendait bien compte que les gens le regardaient déjà d’une façon différente, comme s’il n’était qu’un spectre, comme s’ils se préparaient déjà à la venue du prochain roi.

      Pire que ça, pour la première fois de sa vie, Gareth n’était pas sûr de lui. Toute sa vie, il avait toujours vu son destin de façon claire. Il était persuadé que son rôle était de prendre la place de son père, de régner et de lever l’épée. Sa confiance venait d’être ébranlée jusqu’à la moelle. A présent, il n’était plus sûr de rien.

      Et le pire de tout ça, c’était qu’il ne pouvait oublier la vision du visage de son père qu'il avait eue juste avant d'essayer de lever l’épée. S’agissait-il de sa vengeance ?

      “Bravo !” dit lentement une voix sarcastique.

      Gareth se retourna, surpris de ne pas être seul dans sa chambre. Il reconnut instantanément la voix, une voix qui était devenue trop familière au fil des ans et qu’il avait fini par mépriser. Il s’agissait de la voix de sa femme.

      Héléna.

      La voilà qui se tenait dans un coin de la pièce, qui l’observait tout en fumant sa pipe d’opium. Elle inspira profondément, retint son souffle et laissa lentement s’échapper la fumée. Ses yeux étaient injectés de sang et il se rendit compte qu’elle fumait depuis trop longtemps.

      “Que fais-tu là ?” demanda-t-il.

      “C’est ma chambre nuptiale, après tout !” répondit-elle. “Je peux faire tout ce que je veux, ici. Je suis à la fois ta femme et ta reine. Ne l’oublie pas. Je règne sur ce royaume autant que toi. Et après ta débâcle d’aujourd’hui, je pense qu'il faut utiliser le terme régner de façon très large.”

      Le visage de Gareth s’empourpra. Héléna avait le don de l’attaquer de la façon la plus basse possible et aux moments les plus inopportuns. Il la méprisait plus que n’importe quelle autre femme qu’il ait jamais rencontrée. Il avait peine à concevoir qu’il avait un jour accepté de l’épouser.

      “Vraiment ?” cracha Gareth en se retournant et en marchant droit vers elle, furieux. “Tu sembles oublier que je suis ton Roi, espèce de gueuse, et que je pourrais te faire jeter en prison tout comme n’importe qui d’autre dans mon royaume. Que tu sois ma femme n'y change rien.”

      Elle lui rit au nez, en reniflant de façon cynique.

      “Et alors ?” lâcha-t-elle. “Tes nouveaux sujets se posent-ils des questions sur ta sexualité ? Non, j’en doute très fortement. Pas dans le monde machiavélique de Gareth. Pas dans l’esprit de l’homme qui se soucie plus que quiconque de la façon dont les gens le perçoivent.”

      Gareth s’arrêta devant elle, comprenant qu’elle voyait en lui d’une façon qu’il n’aimait pas. Il prit conscience de la menace qu'elle représentait et comprit que se battre avec elle n’arrangerait rien. Il resta donc ainsi, sans rien dire, les poings serrés.

      “Que veux-tu ?” demanda-t-il lentement en essayant de se contrôler pour ne rien faire d’irréfléchi. “Tu ne viens jamais me voir que quand tu as besoin de quelque chose.”

      Elle eut un rire moqueur et sec.

      “Je prendrai ce dont j’ai envie. Je ne suis pas venue te demander quoi que ce soit, mais plutôt pour te dire quelque chose : ton royaume entier vient d’être témoin de ton échec à lever l’épée. Où cela nous mène-t-il ?”

      “Qu’entends-tu par nous ?” questionna-t-il en se demandant où elle voulait en venir.

      “Ton peuple sait désormais ce que j’ai toujours su : que tu es un raté. Que tu n’es pas l’Élu. Félicitations. Au moins, c’est officiel, maintenant.”

      Il la fusilla du regard.

      “Mon père n’a pas non plus réussi à lever l’épée. Cela ne l’a pas empêché de régner efficacement en tant que Roi.”

      “Cependant, son règne en a été affecté”, cracha-t-elle. “Tout du long.”

      “Si tu n’es pas contente de mes incapacités”, fulmina Gareth, “pourquoi ne pars-tu pas de cet endroit ? Laisse-moi ! Arrête de te moquer de notre mariage. Je suis le Roi, désormais. Je n’ai plus besoin de toi.”

      “Je suis contente que tu abordes ce point”, dit-elle, “car il s’agit précisément de la raison de ma venue. Je veux officiellement mettre fin à notre mariage. Je veux divorcer. J’aime un autre homme. Un vrai homme. Un de tes chevaliers, pour tout dire. C’est un guerrier, lui. Nous nous aimons d'un amour vrai. A l’inverse de tout ce que j’ai pu connaître jusqu’à présent. Divorçons pour que je puisse arrêter de me cacher. Je veux que notre amour soit rendu public et je veux l’épouser.”

      Gareth la regarda, choqué, vidé, comme si l’on venait de lui enfoncer un poignard dans la poitrine. Pourquoi fallait-il que Héléna fasse ces révélations ? Pourquoi maintenant plutôt qu’à un autre moment ? C’en était trop pour lui. Il avait l'impression que le monde lui donnait des coups de pied pendant qu'il était à terre.

      Malgré lui, Gareth fut surpris de réaliser qu’il éprouvait des sentiments profonds envers Héléna car entendre ces mots, l’entendre demander le divorce lui porta un coup. Il en fut bouleversé. A contrecœur, il comprit qu’il ne voulait pas divorcer. Si encore cela venait de lui, mais cela venait d’elle ! Il ne voulait pas qu’elle obtienne ce qu'elle voulait aussi facilement.

      Et par-dessus tout, il se demandait quelles conséquences un divorce pourrait avoir sur son règne. Un Roi divorcé, cela soulèverait trop de questions. Et malgré lui, il se sentait jaloux de ce chevalier. Qu'elle lui agite son manque de masculinité sous le nez le rendait amer. Il voulait se venger. D'elle et de lui.

      “Tu ne l’obtiendras pas”, cracha-t-il. “Tu es liée à moi. Tu seras ma femme pour toujours. Tu ne seras jamais libre. Et si jamais je croise ce chevalier avec qui tu me trompes, je le ferai torturer et exécuter.”

      Héléna lui adressa un grognement.

      “Je ne suis pas ta femme ! Tu n’es pas mon mari. Tu n’es même pas un homme. Notre union est un péché. Et cela l’a toujours été depuis le jour où il en a été décidé ainsi. Il ne s’agissait que d’un arrangement pour le pouvoir. Cette chose me dégoûte, m'a toujours dégoûtée et a ruiné ma seule chance d’être un jour mariée pour de vrai.”

      Elle inspira. Elle était de plus en plus furieuse.

      “Tu m’accorderas le divorce ou je révélerai au royaume entier le genre d’homme que tu es. A toi de voir.”

      Sur ce, Héléna lui tourna le dos, traversa la pièce et sortit par la porte ouverte sans prendre la peine de la refermer derrière elle.

      Gareth de retrouva seul dans la chambre. Il écouta l’écho de ses pas et sentit un frisson qu’il ne pouvait maîtriser envahir son corps. Y avait-il dans sa vie une seule chose de stable à laquelle il puisse se raccrocher ?

      Gareth se tenait debout, en train de regarder la porte ouverte en tremblant, et il fut surpris de voir une autre personne pénétrer dans la chambre. A peine avait-il eu le temps de prendre la mesure de sa conversation avec Héléna, d’analyser toutes ses menaces, qu’un visage on ne peut plus familier se présentait dans l’encadrement de la porte. Firth. Le bruit régulier de ses pas cessa lorsqu’il entra dans la pièce, un air coupable sur le visage.

      “Gareth ?” demanda-t-il d’une voix incertaine.

      Firth le regardait les yeux écarquillés et Gareth put voir à quel point il se sentait mal à l’aise. Il avait bien raison de se sentir mal à l’aise, pensa Gareth. Après tout, c’était Firth qui l’avait encouragé à brandir l’épée, qui l’avait convaincu, qui l’avait amené à penser qu’il était plus que ce qu’il était vraiment. Sans les suggestions de Firth, qui sait ? Peut-être que Gareth n’aurait jamais tenté de lever

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