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F. Chopin. Ференц Лист
Читать онлайн.Название F. Chopin
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Ференц Лист
Жанр Биографии и Мемуары
Издательство Public Domain
Que de courtes amours s'y sont nouées et dénouées le même soir entre ceux qui, ne s'étant jamais vus et ne devant plus se revoir, pressentaient ne pouvoir s'oublier! Que d'entretiens entamés avec insouciance durant les longs repos et les figures enchevêtrées de la mazoure, prolongés avec ironie, interrompus avec émotion, repris avec ces sous-entendus où excellent la délicatesse et la finesse slaves, ont abouti à de profonds attachements! Que de confidences y ont été éparpillées dans les plis déroulés de cette franchise qui se jette d'inconnu à inconnu, lorsqu'on est délivré de la tyrannie des ménagements obligés! Mais aussi, que de paroles menteusement riantes, que de vœux, que de désirs, que de vagues espoirs y furent négligemment livrés au vent, comme le mouchoir de la danseuse jeté au souffle du hasard… et qui n'ont point été relevés par les maladroits!…
Chopin a dégagé l'inconnu de poésie, qui n'était qu'indiqué dans les thèmes originaux des Mazoures vraiment nationales. Conservant leur rhythme, il en a ennobli la mélodie, agrandi les proportions; il y a intercalé des clairs-obscurs harmoniques aussi nouveaux que les sujets auxquels il les adaptait, pour peindre dans ces productions qu'il aimait à nous entendre appeller des tableaux de chevalet, les innombrables émotions d'ordres si divers qui agitent les cœurs pendant que durent, et la danse, et ces longs intervalles surtout, où le cavalier a de droit une place à côté de sa dame dont il ne se sépare point.
Coquetteries, vanités, fantaisies, inclinations, élégies, passions et ébauches de sentiments, conquêtes dont peuvent dépendre le salut ou la grâce d'un autre, tout s'y rencontre. Mais, qu'il est malaisé de se faire une idée complète des infines degrés sur lesquels l'émotion s'arrête ou auxquels atteint sa marche ascendante, parcourue plus ou moins longtemps avec autant d'abandon que de malice, dans ces pays où la mazoure se danse avec le même entraînement, le même abandon, le même intérêt à la fois amoureux et patriotique, depuis les palais jusqu'aux chaumières; dans ces pays où les qualités et les défauts propres à la nation sont si singulièrement répartis que, se retrouvant dans leur essence à peu près les mêmes chez tous, leur mélange varie et se différencie dans chacun d'une manière inopinée, souvent méconnaissable! Il en résulte une excessive diversité dans les caractères capricieusement amalgamés, ce qui ajoute à la curiosité un aiguillon qu'elle n'a pas ailleurs, fait de chaque rapport nouveau une piquante investigation et prête de la signification aux moindres incidents.
Ici, rien d'indifférent, rien d'inaperçu et rien de banal. Les contrastes se multiplient parmi ces natures d'une mobilité constante dans leurs impressions, d'un esprit fin, perçant, toujours en éveil; d'une sensibilité qu'alimentent les malheurs et les souffrances, venant jeter des jours inattendus sur les cœurs comme des lueurs d'incendie dans l'obscurité. Ici, les longues et glaciales terreurs des cachots d'une forteresse, les interrogatoires perfides et semés de pièges d'un juge abhorré quoique vénal, les steppes blancs de la Sibérie, silencieux et déserts, s'étendent devant les regards épouvantés et les cœurs frémissants, comme les tableaux d'une tapisserie aérienne sur les murs de toute salle de bal; depuis celle dont les parois furent badigeonnées pour l'occasion d'une teinte bleue claire, dont le modeste plancher fut ciré la veille, dont les belles jeunes filles sont parées de simple mousseline blanche et rose, jusqu'à celle dont les éblouissantes murailles sont d'un stuc sulphuréen, les parquets d'acajou et d'ébène, les lustres étincelants de mille bougies!
Ici, un rien peut rapprocher étroitement ceux qui la veille étaient étrangers, tout comme l'épreuve d'une minute ou d'un mot y sépare des cœurs longtemps unis. Les confiances soudaines y sont forcées et d'incurables défiances entretenues en secret. Selon le mot d'une femme spirituelle: «on y joue souvent la comédie, pour éviter la tragédie», on aime à y faire entendre ce qu'on tient à n'avoir pas prononcé. Les généralités servent à acérer l'interrogation, en la dissimulant; elles font écouter les plus évasives réponses, comme on écouterait le son rendu par un objet pour en reconnaître le métal. Tous ces cœurs si sûrs d'eux-mêmes ne cessent de s'interroger, de se sonder, de se mettre à l'épreuve. Chaque jeune homme veut savoir s'il y a entre lui et celle qu'il fait dame de ses pensées pendant une soirée ou deux, communauté d'amour pour la patrie, communauté d'horreur pour le vainqueur. Chaque femme, avant d'accorder ses préférences d'un soir à qui la regarde avec une ardeur si tendre et une douceur si passionée, veut savoir s'il est homme à braver la confiscation, l'exil forcé ou l'exil volontaire, (non moins amer souvent), la caserne du soldat à perpétuité sur les rives de la Caspienne ou dans les montagnes du Caucase!…
Quand l'homme sait haïr et que la femme se contente de dénigrer l'ennemi, il y a de poignantes incertitudes; les mains qui ont échangé l'anneau des fiançailles font glisser les bagues sur leurs doigts, en se demandant si elles y resteront? Quand la femme est de la trempe de la Psse Eustache Sanguszko, aimant mieux voir son fils aux mines que de ployer les genoux devant le czar7, et que l'homme se demande s'il n'est point permis d'imiter le sort des K., des B., des L., des J., etc., qui vécurent à St. Pétersbourg comblés d'honneurs, tous en élevant leurs enfants dans l'attente du jour où ils tireront l'épée contre les maîtres de la veille, la femme saisit le cœur de l'homme en ses paroles brûlantes, comme une mère saisait la tête de son enfant en ses paumes fiévreuses et la tournant vers le ciel, lui crie: voilà où est ton Dieu!… Elle a des sanglots étouffés dans la voix, des larmes pour lui seul visibles dans les yeux. Elle supplie et elle commande à la fois, elle met son sourire à prix; et ce prix, c'est l'héroïsme! Si elle détourne la tête, elle semble jeter l'homme dans le gouffre de l'opprobre; si elle lui rend l'éclat solaire de son beau visage, elle semble le tirer du néant!
Or, à chaque mazoure qui se danse là-bas, il y a un homme dont le regard, la parole, l'étreinte angoissée, ont rivé pour jamais à l'autel sacré de la patrie le cœur d'une femme, dont il dispose ainsi seulement et sur lequel il n'a pas d'autre droit. Il y a une femme dont les yeux moites, la main effilée, le souffle parfumé murmurant des mots magiques, ont à jamais enrôlé un cœur d'homme dans ces milices sacrées où les chaînes d'une femme font trouver légères les chaînes de la prison et de la kibitka. Cet homme et cette femme ne reverront peut-être jamais leur partner; pourtant, l'un aura déterminé le sort de l'autre en lui jetant dans l'âme ces cris que nul n'entendait, mais qui, à partir de ce jour, la rongeaient ou la vivifiaient comme des morsures de feu, en lui répétant: Patrie, Honneur, Liberté! Liberté, liberté surtout! Haine de l'esclavage et haine du despotisme, haine de la bassesse et haine de la viltà. Mourir, mourir de suite; mourir mille fois, plutôt que de ne pas garder une âme libre en une personne libre! Plutôt que de dépendre, comme l'ignoble transfuge, du bon plaisir des czars et des czarines, du sourire ou de l'insulte, de la caresse impure et dégradante ou de la colère meurtrière et fantasque de l'autocrate!
Toutefois, mourir c'était trop! Par conséquent ce n'était pas assez. Tous ne devaient pas mourir, tous cependant devaient refuser de vivre, en refusant l'air libre de leurs prérogatives innées, les franchises de leur antique patriciat dans la grande cité chrétienne; lorsqu'ils refusaient tout pacte avec le vainqueur qui y avait usurpé sa place et s'y targuait de ses privilèges. C'était là vraiment un destin pire que
7
À la suite de la guerre de 1830, le Pce Roman Sanguszko fut condamné à être soldat à perpétuité en Sibérie. En revoyant le décret, l'empereur Nicolas ajouta de sa main: «où il sera conduit les chaînes aux pieds».—Sa santé étant gravement atteinte, la famille fit des démarches à la cour et reçut pour réponse que si sa mère, la Psse Eustache, venait se jeter aux pieds de l'empereur, elle obtiendrait la grâce de son fils. Longtemps la princesse s'y refusa. L'état de son fils empirant toujours, elle partit. Arrivée à St. Pétersbourg, les pourparlers commencèrent sur la manière dont s'accomplirait sa génuflexion. On proposa d'abord les formes les plus humiliantes que la princesse rejetait les unes après les autres, prête à retourner chez elle. Enfin, il fut convenu qu'elle demanderait et recevrait une audience de l'impératrice, que l'empereur viendrait et que là, sans autres témoins, la princesse implorerait à genoux la grâce de son enfant. Quand elle fut chez l'impératrice, l'empereur entra… voyant que la princesse ne bougeait pas, l'impératrice crut qu'elle ne le reconnaissait point et se leva… La princesse se leva et debout attendit… l'empereur la regarda, traversa lentement le salon… et sortit!… L'impératrice hors d'elle saisit les mains de la princesse, en s'écriant: «Vous avez perdu une occasion unique!..»—La princesse raconta plus tard que ses genoux étaient devenus de marbre et, qu'en songeant aux milliers de Polonais qui souffraient plus encore que son fils, elle fut plutôt morte que de les plier. Elle n'obtint aucune grâce, mais les siècles entoureront d'une auréole la mémoire sacrée de cette matrone polonaise aux antiques vertus.