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fils? A-t-il pourvu à la musique?

      ANTONIO. – Il en est très-occupé. – Mais, mon frère, j'ai à vous apprendre d'étranges nouvelles auxquelles vous n'avez sûrement pas rêvé encore.

      LÉONATO. – Sont-elles bonnes?

      ANTONIO. – Ce sera suivant l'événement; mais elles ont bonne apparence et s'annoncent bien. Le prince et le comte Claudio se promenant tout à l'heure ici dans une allée sombre de mon verger, ont été secrètement entendus par un de mes gens. Le prince découvrait à Claudio qu'il aimait ma nièce votre fille; il se proposait de le lui confesser cette nuit pendant le bal, et s'il la trouvait consentante, il projetait de saisir l'occasion aux cheveux et de s'en ouvrir à vous, sans tarder.

      LÉONATO. – L'homme qui vous a dit ceci a-t-il un peu d'intelligence?

      ANTONIO. – C'est un garçon adroit et fin. Je vais l'envoyer chercher. Vous l'interrogerez vous-même.

      LÉONATO. – Non, non. Regardons la chose comme un songe, jusqu'à ce qu'elle se montre elle-même. Je veux seulement en prévenir ma fille, afin qu'elle ait une réponse prête, si par hasard ceci se réalisait. (Plusieurs personnes traversent le théâtre.) Allez devant et avertissez-la. – Cousins, vous savez ce que vous avez à faire. – Mon ami, je vous demande pardon; venez avec moi, et j'emploierai vos talents. – Mes chers cousins, aidez-moi dans ce moment d'embarras.

(Tous sortent.)

      SCÈNE III

Un autre appartement dans la maison de Léonato Entrent DON JUAN ET CONRAD

      CONRAD. – Quel mal avez-vous, seigneur? D'où vous vient cette tristesse extrême?

      DON JUAN. – Comme la cause de mon chagrin n'a point de bornes, ma tristesse est aussi sans mesure.

      CONRAD. – Vous devriez entendre raison.

      DON JUAN. – Et quand je l'aurais écoutée, quel fruit m'en reviendrait-il?

      CONRAD. – Sinon un remède actuel, du moins la patience.

      DON JUAN. – Je m'étonne qu'étant né, comme tu le dis, sous le signe de Saturne, tu veuilles appliquer un topique moral à un mal-désespéré. Je ne puis cacher ce que je suis; il faut que je sois triste lorsque j'en ai sujet. Je ne sais sourire aux bons mots de personne. Je veux manger quand j'ai appétit, sans attendre le loisir de personne; dormir lorsque je me sens assoupi, et ne jamais veiller aux intérêts de personne; rire quand je suis gai, et ne flatter le caprice de personne.

      CONRAD. – Oui, mais vous ne devez pas montrer votre caractère à découvert que vous ne le puissiez sans contrôle. Naguère vous avez pris les armes contre votre frère, et il vient de vous rendre ses bonnes grâces; il est impossible que vous preniez racine dans son amitié, si vous ne faites pour cela le beau temps. C'est à vous de préparer la saison qui doit favoriser votre récolte.

      DON JUAN. – J'aimerais mieux être la chenille de la haie qu'une rose par ses bienfaits. Le dédain général convient mieux à mon humeur que le soin de me composer un extérieur propre à ravir l'amour de qui que ce soit. Si l'on ne peut me nommer un flatteur honnête homme, du moins on ne peut nier que je ne sois un franc ennemi. Oui, l'on se fie à moi en me muselant, ou l'on m'affranchit en me donnant des entraves. Aussi, j'ai résolu de ne point chanter dans ma cage. Si j'avais la bouche libre, je voudrais mordre; si j'étais libre, je voudrais agir à mon gré: en attendant, laisse-moi être ce que je suis; ne cherche point à me changer.

      CONRAD. – Ne pouvez-vous tirer aucun parti de votre mécontentement?

      DON JUAN. – J'en tire tout le parti possible, car je ne m'occupe que de cela. – Qui vient ici? Quelles nouvelles, Borachio?

(Entre Borachio.)

      BORACHIO. – J'arrive ici d'un grand souper. Léonato traite royalement le prince votre frère, et je puis vous donner connaissance d'un mariage projeté.

      DON JUAN. – Est-ce une base sur laquelle on puisse bâtir quelque malice? Nomme-moi le fou qui est si pressé de se fiancer à l'inquiétude.

      BORACHIO. – Eh bien! c'est le bras droit de votre frère.

      DON JUAN. – Qui? le merveilleux Claudio?

      BORACHIO. – Lui-même.

      DON JUAN. – Un beau chevalier! Et à qui, à qui? Sur qui jette-t-il les yeux?

      BORACHIO. – Diantre! – Sur Héro, la fille et l'héritière de Léonato.

      DON JUAN. – Poulette précoce de mars! Comment l'as-tu appris?

      BORACHIO. – Comme on m'avait traité en parfumeur, et que j'étais chargé de sécher une chambre qui sentait le moisi, j'ai vu venir à moi Claudio et le prince se tenant par la main. Leur conférence était sérieuse; je me suis caché derrière la tapisserie; de là je les ai entendus concerter ensemble que le prince demanderait Héro pour lui-même, et qu'après l'avoir obtenue il la céderait au comte Claudio.

      DON JUAN. – Venez, venez, suivez-moi; ceci peut devenir un aliment pour ma rancune. Ce jeune parvenu a toute la gloire de ma chute. Si je puis lui nuire en quelque manière, je travaille pour moi en tout sens. Vous êtes deux hommes sûrs: vous me servirez?

      CONRAD. – Jusqu'à la mort, seigneur.

      DON JUAN. – Allons nous rendre à ce grand souper: leur fête est d'autant plus brillante qu'ils m'ont subjugué. Je voudrais que le cuisinier fût du même avis que moi! – Irons-nous essayer ce qu'il y a à faire?

      BORACHIO. – Nous accompagnerons Votre Seigneurie.

(Ils sortent.)FIN DU PREMIER ACTE

      ACTE DEUXIÈME

      SCÈNE I

Une salle du palais de LéonatoLÉONATO, ANTONIO, HÉRO, BÉATRICE et autres

      LÉONATO. – Le comte Jean n'était-il pas au souper?

      ANTONIO. – Je ne l'ai point vu.

      BÉATRICE. – Quel air aigre a ce gentilhomme! Je ne puis jamais le voir sans sentir une heure après des cuissons à l'estomac7.

      HÉRO. – Il est d'un tempérament fort mélancolique.

      BÉATRICE. – Un homme parfait serait celui qui tiendrait le juste milieu entre lui et Bénédick. L'un ressemble trop à une statue qui ne dit mot, l'autre au fils aîné de ma voisine, qui babille sans cesse.

      LÉONATO. – Ainsi moitié de la langue du seigneur Bénédick dans la bouche du comte Jean; et moitié de la mélancolie du comte Jean sur le front du seigneur Bénédick…

      BÉATRICE. – Avec bon pied, bon oeil et de l'argent dans sa bourse, mon oncle, un homme comme celui-là pourrait gagner telle femme qui soit au monde, pourvu qu'il sût lui plaire.

      LÉONATO. – Vous, ma nièce, vous ne gagnerez jamais un époux, si vous avez la langue si bien pendue.

      ANTONIO. – En effet, elle est trop maligne.

      BÉATRICE. – Trop maligne, c'est plus que maligne; car il est dit que Dieu envoie à une vache maligne des cornes courtes8; mais à une vache trop maligne, il n'en envoie point.

      LÉONATO. – Ainsi, parce que vous êtes trop maligne, Dieu ne vous enverra point de cornes.

      BÉATRICE. – Justement, s'il ne m'envoie jamais de mari; et pour obtenir cette grâce, je le prie à genoux chaque matin et chaque soir. Bon Dieu! je ne pourrais supporter un mari avec de la barbe au menton; j'aimerais mieux coucher sur la laine.

      LÉONATO. – Vous pourriez tomber sur un mari sans barbe.

      BÉATRICE. – Eh! qu'en pourrais-je faire? Le vêtir de mes robes et en faire ma femme de chambre? Celui qui porte barbe n'est plus un enfant; et celui qui n'en a point est moins qu'un homme. Or celui qui n'est plus un enfant n'est pas mon fait, et je ne suis pas le fait de celui qui est moins qu'un homme. C'est pourquoi je prendrai six sous pour arrhes du conducteur d'ours,

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<p>7</p>

Heart-burn.

<p>8</p>

Dat Deus inutili cornua curta bovi.