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moi je vous réponds, disait l'un d'eux, que si Coysel a prédit cela, la chose est aussi sûre que si elle était arrivée. Je ne le connais pas, mais j'ai entendu dire qu'il était non seulement astrologue, mais encore magicien.

      – Peste, mon cher, s'il est de tes amis, prends garde! tu lui rends un mauvais service.

      – Pourquoi cela?

      – Parce qu'on pourrait bien lui faire un procès.

      – Ah bah! on ne brûle plus les sorciers, aujourd'hui.

      – Non! il me semble cependant qu'il n'y a pas si longtemps que le feu cardinal a fait brûler Urbain Grandier. J'en sais quelque chose, moi. J'étais de garde au bûcher, et je l'ai vu rôtir.

      – Mon cher, Urbain Grandier n'était pas un sorcier, c'était un savant, ce qui est tout autre chose. Urbain Grandier ne prédisait pas l'avenir. Il savait le passé, ce qui quelquefois est bien pis.

      Mazarin hocha la tête en signe d'assentiment; mais désirant connaître la prédiction sur laquelle on discutait, il demeura à la même place.

      – Je ne te dis pas, reprit le garde, que Coysel ne soit pas un sorcier, mais je te dis que s'il publie d'avance sa prédiction c'est le moyen qu'elle ne s'accomplisse point.

      – Pourquoi?

      – Sans doute. Si nous nous battons l'un contre l'autre et que je te dise: «Je vais te porter ou un coup droit ou un coup de seconde», tu pareras tout naturellement. Eh bien si Coysel dit assez haut pour que le cardinal l'entende: «Avant tel jour, tel prisonnier se sauvera», il est bien évident que le cardinal prendra si bien ses précautions que le prisonnier ne se sauvera pas.

      – Eh! mon Dieu, dit un autre qui semblait dormir, couché sur un banc, et qui, malgré son sommeil apparent, ne perdait pas un mot de la conversation; eh! mon Dieu, croyez-vous que les hommes puissent échapper à leur destinée? S'il est écrit là-haut que le duc de Beaufort doit se sauver, M. de Beaufort se sauvera, et toutes les précautions du cardinal n'y feront rien.

      Mazarin tressaillit. Il était italien, c'est-à-dire superstitieux; il s'avança rapidement au milieu des gardes, qui, l'apercevant, interrompirent leur conversation.

      – Que disiez-vous donc, messieurs? fit-il avec son air caressant, que M. de Beaufort s'était évadé, je crois?

      – Oh! non, monseigneur, dit le soldat incrédule; pour le moment il n'a garde. On disait seulement qu'il devait se sauver.

      – Et qui dit cela?

      – Voyons, répétez votre histoire, Saint-Laurent, dit le garde se tournant vers le narrateur.

      – Monseigneur, dit le garde, je racontais purement et simplement à ces messieurs ce que j'ai entendu dire de la prédiction d'un nommé Coysel, qui prétend que, si bien gardé que soit M. de Beaufort, il se sauvera avant la Pentecôte.

      – Et ce Coysel est un rêveur, un fou? reprit le cardinal toujours souriant.

      – Non pas, dit le garde, tenace dans sa crédulité, il a prédit beaucoup de choses qui sont arrivées, comme par exemple que la reine accoucherait d'un fils, que M. de Coligny serait tué dans son duel avec le duc de Guise, enfin que le coadjuteur serait nommé cardinal. Eh bien! la reine est accouchée non seulement d'un premier fils, mais encore, deux ans après, d'un second, et M. de Coligny a été tué.

      – Oui, dit Mazarin; mais le coadjuteur n'est pas encore cardinal.

      – Non, Monseigneur, dit le garde, mais il le sera.

      Mazarin fit une grimace qui voulait dire: il ne tient pas encore la barrette. Puis il ajouta:

      – Ainsi votre avis, mon ami, est que M. de Beaufort doit se sauver.

      – C'est si bien mon avis, Monseigneur, dit le soldat, que si Votre Éminence m'offrait à cette heure la place de M. de Chavigny, c'est-à-dire celle de gouverneur du château de Vincennes, je ne l'accepterais pas. Oh! le lendemain de la Pentecôte, ce serait autre chose.

      Il n'y a rien de plus convaincant qu'une grande conviction, elle influe même sur les incrédules; et, loin d'être incrédule, nous l'avons dit, Mazarin était superstitieux. Il se retira donc tout pensif.

      – Le ladre! dit le garde qui était accoudé contre la muraille, il fait semblant de ne pas croire à votre magicien, Saint-Laurent, pour n'avoir rien à vous donner; mais il ne sera pas plus tôt rentré chez lui qu'il fera son profit de votre prédiction.

      En effet, au lieu de continuer son chemin vers la chambre de la reine, Mazarin rentra dans son cabinet, et appelant Bernouin, il donna l'ordre que le lendemain, au point du jour, on lui allât chercher l'exempt qu'il avait placé auprès de M. de Beaufort, et qu'on l'éveillât aussitôt qu'il arriverait.

      Sans s'en douter, le garde avait touché du doigt la plaie la plus vive du cardinal. Depuis cinq ans que M. de Beaufort était en prison, il n'y avait pas de jour que Mazarin ne pensât qu'à un moment ou à un autre, il en sortirait. On ne pouvait pas retenir prisonnier toute sa vie un petit-fils de Henri IV, surtout quand ce petit-fils de Henri IV avait à peine trente ans. Mais, de quelque façon qu'il en sortît, quelle haine n'avait-il pas dû, dans sa captivité, amasser contre celui à qui il la devait; qui l'avait pris riche, brave, glorieux, aimé des femmes, craint des hommes, pour retrancher de sa vie ses plus belles années, car ce n'est pas exister que de vivre en prison! En attendant, Mazarin redoublait de surveillance contre M. de Beaufort. Seulement, il était pareil à l'avare de la fable, qui ne pouvait dormir près de son trésor. Bien des fois la nuit il se réveillait en sursaut, rêvant qu'on lui avait volé M. de Beaufort. Alors il s'informait de lui, et à chaque information qu'il prenait, il avait la douleur d'entendre que le prisonnier jouait, buvait, chantait que c'était merveille; mais que tout en jouant, buvant et chantant, il s'interrompait toujours pour jurer que le Mazarin lui payerait cher tout ce plaisir qu'il le forçait de prendre à Vincennes.

      Cette pensée avait fort préoccupé le ministre pendant son sommeil; aussi, lorsqu'à sept heures du matin Bernouin entra dans sa chambre pour le réveiller, son premier mot fut:

      – Eh! qu'y a-t-il? Est-ce que M. de Beaufort s'est sauvé de

      Vincennes?

      – Je ne crois pas, Monseigneur, dit Bernouin, dont le calme officiel ne se démentait jamais; mais en tout cas vous allez en avoir des nouvelles, car l'exempt La Ramée, que l'on a envoyé chercher ce matin à Vincennes, est là qui attend les ordres de Votre Éminence.

      – Ouvrez et faites-le entrer ici, dit Mazarin en accommodant ses oreillers de manière à le recevoir assis dans son lit.

      L'officier entra. C'était un grand et gros homme joufflu et de bonne mine. Il avait un air de tranquillité qui donna des inquiétudes à Mazarin.

      – Ce drôle-là m'a tout l'air d'un sot, murmura-t-il.

      L'exempt demeurait debout et silencieux à la porte.

      – Approchez, monsieur! dit Mazarin.

      L'exempt obéit.

      – Savez-vous ce qu'on dit ici? continua le cardinal.

      – Non, Votre Éminence.

      – Eh bien! l'on dit que M. de Beaufort va se sauver de Vincennes, s'il ne l'a déjà fait.

      La figure de l'officier exprima la plus profonde stupéfaction. Il ouvrit tout ensemble ses petits yeux et sa grande bouche, pour mieux humer la plaisanterie que Son Éminence lui faisait l'honneur de lui adresser; puis ne pouvant tenir plus longtemps son sérieux à une pareille supposition, il éclata de rire, mais d'une telle façon, que ses gros membres étaient secoués par cette hilarité comme par une fièvre violente.

      Mazarin fut enchanté de cette expansion peu respectueuse, mais cependant il ne cessa de garder son air grave.

      Quand La Ramée eut bien ri et qu'il se fut essuyé les yeux, il crut qu'il était temps enfin de parler et d'excuser l'inconvenance de sa gaieté.

      – Se sauver, Monseigneur! dit-il, se sauver! Mais Votre Éminence ne sait donc pas où est M.

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