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ne répondit pas.

      – Il n'est pas curieux, pensa d'Artagnan.

      Non seulement Athos ne répondit pas, mais encore il changea la conversation.

      – Vous le voyez, dit-il en faisant remarquer à d'Artagnan qu'ils étaient revenus près du château, en une heure de promenade, nous avons quasi fait le tour de mes domaines.

      – Tout y est charmant, et surtout tout y sent son gentilhomme, répondit d'Artagnan.

      En ce moment on entendit le pas d'un cheval.

      – C'est Raoul qui revient, dit Athos, nous allons avoir des nouvelles de la pauvre petite.

      En effet, le jeune homme reparut à la grille et rentra dans la cour tout couvert de poussière, puis sauta à bas de son cheval qu'il remit aux mains d'une espèce de palefrenier; il vint saluer le comte et d'Artagnan.

      – Monsieur, dit Athos en posant la main sur l'épaule de d'Artagnan, monsieur est le chevalier d'Artagnan, dont vous m'avez entendu parler souvent, Raoul.

      – Monsieur, dit le jeune homme en saluant de nouveau et plus profondément, M. le comte a prononcé votre nom devant moi comme un exemple chaque fois qu'il a eu à citer un gentilhomme intrépide et généreux.

      Ce petit compliment ne laissa pas que d'émouvoir d'Artagnan, qui sentit son coeur doucement remué. Il tendit une main à Raoul en lui disant:

      – Mon jeune ami, tous les éloges que l'on fait de moi doivent retourner à M. le comte que voici: car il a fait mon éducation en toutes choses, et ce n'est pas sa faute si l'élève a si mal profité. Mais il se rattrapera sur vous, j'en suis sûr. J'aime votre air, Raoul, et votre politesse m'a touché.

      Athos fut plus ravi qu'on ne saurait le dire: il regarda d'Artagnan avec reconnaissance, puis attacha sur Raoul un de ces sourires étranges dont les enfants sont fiers lorsqu'ils les saisissent.

      – À présent, se dit d'Artagnan, à qui ce jeu muet de physionomie n'avait point échappé, j'en suis certain.

      – Eh bien! dit Athos, j'espère que l'accident n'a pas eu de suite?

      – On ne sait encore rien, monsieur, et le médecin n'a rien pu dire à cause de l'enflure; il craint cependant qu'il n'y ait quelque nerf endommagé.

      – Et vous n'êtes pas resté plus tard près de madame de Saint-

      Remy?

      – J'aurais craint de n'être pas de retour pour l'heure de votre dîner, monsieur, dit Raoul, et par conséquent de vous faire attendre.

      En ce moment un petit garçon, moitié paysan, moitié laquais, vint avertir que le souper était servi.

      Athos conduisit son hôte dans une salle à manger fort simple, mais dont les fenêtres s'ouvraient d'un côté sur le jardin et de l'autre sur une serre où poussaient de magnifiques fleurs.

      D'Artagnan jeta les yeux sur le service: la vaisselle était magnifique; on voyait que c'était de la vieille argenterie de famille. Sur un dressoir était une aiguière d'argent superbe; d'Artagnan s'arrêta à la regarder.

      – Ah! voilà qui est divinement fait, dit-il.

      – Oui, répondit Athos, c'est un chef-d'oeuvre d'un grand artiste florentin nommé Benvenuto Cellini.

      – Et la bataille qu'elle représente?

      – Est celle de Marignan. C'est le moment où l'un de mes ancêtres donne son épée à François Ier, qui vient de briser la sienne. Ce fut à cette occasion qu'Enguerrand de la Fère, mon aïeul, fut fait chevalier de Saint-Michel. En outre, le roi, quinze ans plus tard, car il n'avait pas oublié qu'il avait combattu trois heures encore avec l'épée de son ami Enguerrand sans qu'elle se rompît, lui fit don de cette aiguière et d'une épée que vous avez peut-être vue autrefois chez moi, et qui est aussi un assez beau morceau d'orfèvrerie. C'était le temps des géants, dit Athos. Nous sommes des nains, nous autres, à côté de ces hommes-là. Asseyons-nous, d'Artagnan, et soupons. À propos, dit Athos au petit laquais qui venait de servir le potage, appelez Charlot.

      L'enfant sortit, et, un instant après, l'homme de service auquel les deux voyageurs s'étaient adressés en arrivant entra.

      – Mon cher Charlot, lui dit Athos, je vous recommande particulièrement, pour tout le temps qu'il demeurera ici, Planchet, le laquais de monsieur d'Artagnan. Il aime le bon vin; vous avez la clef des caves. Il a couché longtemps sur la dure et ne doit pas détester un bon lit; veillez encore à cela, je vous prie.

      Charlot s'inclina et sortit.

      – Charlot est aussi un brave homme, dit le comte, voici dix-huit ans qu'il me sert.

      – Vous pensez à tout, dit d'Artagnan, et je vous remercie pour

      Planchet, mon cher Athos.

      Le jeune homme ouvrit de grands yeux à ce nom, et regarda si c'était bien au comte que d'Artagnan parlait.

      – Ce nom vous paraît bizarre, n'est-ce pas, Raoul? dit Athos en souriant. C'était mon nom de guerre, alors que M. d'Artagnan, deux braves amis et moi faisions nos prouesses à La Rochelle sous le défunt cardinal et sous M. de Bassompierre qui est mort aussi depuis. Monsieur daigne me conserver ce nom d'amitié, et chaque fois que je l'entends, mon coeur est joyeux.

      – Ce nom-là était célèbre, dit d'Artagnan, et il eut un jour les honneurs du triomphe.

      – Que voulez-vous dire, monsieur? demanda Raoul avec sa curiosité juvénile.

      – Je n'en sais ma foi rien, dit Athos.

      – Vous avez oublié le bastion Saint-Gervais, Athos, et cette serviette dont trois balles firent un drapeau. J'ai meilleure mémoire que vous, je m'en souviens, et je vais vous raconter cela, jeune homme.

      Et il raconta à Raoul toute l'histoire du bastion, comme Athos lui avait raconté celle de son aïeul.

      À ce récit, le jeune homme crut voir se dérouler un de ces faits d'armes racontés par le Tasse ou l'Arioste, et qui appartiennent aux temps prestigieux de la chevalerie.

      – Mais ce que ne vous dit pas d'Artagnan, Raoul, reprit à son tour Athos, c'est qu'il était une des meilleures lames de son temps: jarret de fer, poignet d'acier, coup d'oeil sûr et regard brûlant, voilà ce qu'il offrait à son adversaire: il avait dix- huit ans, trois ans de plus que vous, Raoul, lorsque je le vis à l'oeuvre pour la première fois et contre des hommes éprouvés.

      – Et M. d'Artagnan fut vainqueur? dit le jeune homme, dont les yeux brillaient pendant cette conversation et semblaient implorer des détails.

      – J'en tuai un, je crois! dit d'Artagnan interrogeant Athos du regard. Quant à l'autre, je le désarmai, ou je le blessai, je ne me le rappelle plus.

      – Oui, vous le blessâtes. Oh! vous étiez un rude athlète!

      – Eh! je n'ai pas encore trop perdu, reprit d'Artagnan avec son petit rire gascon plein de contentement de lui-même, et dernièrement encore…

      Un regard d'Athos lui ferma la bouche.

      – Je veux que vous sachiez, Raoul, reprit Athos, vous qui vous croyez une fine épée et dont la vanité pourrait souffrir un jour quelque cruelle déception; je veux que vous sachiez combien est dangereux l'homme qui unit le sang-froid à l'agilité, car jamais je ne pourrais vous en offrir un plus frappant exemple: priez demain monsieur d'Artagnan, s'il n'est pas trop fatigué, de vouloir bien vous donner une leçon.

      – Peste, mon cher Athos, vous êtes cependant un bon maître, surtout sous le rapport des qualités que vous vantez en moi. Tenez, aujourd'hui encore, Planchet me parlait de ce fameux duel de l'enclos des Carmes, avec lord de Winter et ses compagnons. Ah! jeune homme, continua d'Artagnan, il doit y avoir quelque part une épée que j'ai souvent appelée la première du royaume.

      – Oh! j'aurai gâté ma main avec cet enfant, dit Athos.

      – Il y a des mains qui ne se gâtent jamais, mon cher Athos, dit d'Artagnan, mais qui gâtent

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