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Vingt ans après. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Vingt ans après
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Monsieur, dit Mousqueton profitant de la permission, j'ai une grâce à vous demander.
– Parle, mon ami, dit d'Artagnan.
– C'est que je n'ose, j'ai peur que vous ne pensiez que la prospérité m'a perdu.
– Tu es donc heureux, mon ami, dit d'Artagnan.
– Aussi heureux qu'il est possible de l'être, et cependant vous pouvez me rendre plus heureux encore.
– Eh bien, parle! et si la chose dépend de moi, elle est faite.
– Oh! monsieur, elle ne dépend que de vous.
– J'attends.
– Monsieur, la grâce que j'ai à vous demander, c'est de m'appeler non plus Mousqueton, mais bien Mouston. Depuis que j'ai l'honneur d'être intendant de monseigneur, j'ai pris ce dernier nom, qui est plus digne et sert à me faire respecter de mes inférieurs. Vous savez, monsieur, combien la subordination est nécessaire à la valetaille.
D'Artagnan sourit; Porthos allongeait ses noms, Mousqueton raccourcissait le sien.
– Eh bien, monsieur? dit Mousqueton tout tremblant.
– Eh bien, oui, mon cher Mouston, dit d'Artagnan; sois tranquille, je n'oublierai pas ta requête, et si cela te fait plaisir je ne te tutoierai même plus.
– Oh! s'écria Mousqueton rouge de joie, si vous me faisiez un pareil honneur, monsieur, j'en serais reconnaissant toute ma vie, mais ce serait trop demander peut-être?
– Hélas! dit en lui-même d'Artagnan, c'est bien peu en échange des tribulations inattendues que j'apporte à ce pauvre diable qui m'a si bien reçu.
– Et monsieur reste longtemps avec nous? dit Mousqueton, dont la figure, rendue à son ancienne sérénité, s'épanouissait comme une pivoine.
– Je pars demain, mon ami, dit d'Artagnan.
– Ah, monsieur! dit Mousqueton, c'était donc seulement pour nous donner des regrets que vous étiez venu?
– J'en ai peur, dit d'Artagnan, si bas que Mousqueton, qui se retirait en saluant, ne put l'entendre.
Un remords traversait l'esprit de d'Artagnan, quoique son coeur ce fût fort racorni.
Il ne regrettait pas d'engager Porthos dans une route où sa vie et sa fortune allaient être compromises, car Porthos risquait volontiers tout cela pour le titre de baron, qu'il désirait depuis quinze ans d'atteindre; mais Mousqueton, qui ne désirait rien que d'être appelé Mouston, n'était-il pas bien cruel de l'arracher à la vie délicieuse de son grenier d'abondance? Cette idée-là le préoccupait lorsque Porthos reparut.
– À table! dit Porthos.
– Comment, à table? dit d'Artagnan, quelle heure est-il donc?
– Eh! mon cher, il est une heure passée.
– Votre habitation est un paradis, Porthos, on y oublie le temps.
Je vous suis, mais je n'ai pas faim.
– Venez, si l'on ne peut pas toujours manger, l'on peut toujours boire; c'est une des maximes de ce pauvre Athos dont j'ai reconnu la solidité depuis que je m'ennuie.
D'Artagnan, que son naturel gascon avait toujours fait sobre, ne paraissait pas aussi convaincu que son ami de la vérité de l'axiome d'Athos; néanmoins il fit ce qu'il put pour se tenir à la hauteur de son hôte.
Cependant, tout en regardant manger Porthos et en buvant de son mieux, cette idée de Mousqueton revenait à l'esprit de d'Artagnan, et cela avec d'autant plus de force que Mousqueton, sans servir lui-même à table, ce qui eût été au-dessous de sa nouvelle position, apparaissait de temps en temps à la porte et trahissait sa reconnaissance pour d'Artagnan par l'âge et le cru des vins qu'il faisait servir.
Aussi, quand au dessert, sur un signe de d'Artagnan, Porthos eut renvoyé ses laquais et que les deux amis se trouvèrent seuls:
– Porthos, dit d'Artagnan, qui vous accompagnera donc dans vos campagnes?
– Mais, répondit naturellement Porthos, Mouston, ce me semble.
Ce fut un coup pour d'Artagnan; il vit déjà se changer en grimace de douleur le bienveillant sourire de l'intendant.
– Cependant, répliqua d'Artagnan, Mouston n'est plus de la première jeunesse, mon cher; de plus, il est devenu très gros et peut-être a-t-il perdu l'habitude du service actif.
– Je le sais, dit Porthos. Mais je me suis accoutumé à lui; et d'ailleurs il ne voudrait pas me quitter, il m'aime trop.
– Oh! aveugle amour-propre! pensa d'Artagnan.
– D'ailleurs, vous-même, demanda Porthos, n'avez-vous pas toujours à votre service votre même laquais: ce bon, ce grave, cet intelligent… comment l'appelez-vous donc?
– Planchet. Oui, je l'ai retrouvé, mais il n'est plus laquais.
– Qu'est-il donc?
– Eh bien! avec ses seize cents livres, vous savez, les seize cents livres qu'il a gagnées au siège de La Rochelle en portant la lettre à lord de Winter, il a élevé une petite boutique rue des Lombards, et il est confiseur.
– Ah! il est confiseur rue des Lombards! Mais comment vous sert- il?
– Il a fait quelques escapades, dit d'Artagnan, et il craint d'être inquiété.
Et le mousquetaire raconta à son ami comment il avait retrouvé
Planchet.
– Eh bien! dit alors Porthos, si on vous eût dit, mon cher, qu'un jour Planchet ferait sauver Rochefort, et que vous le cacheriez pour cela?
– Je ne l'aurais pas cru. Mais, que voulez-vous? les événements changent les hommes.
– Rien de plus vrai, dit Porthos; mais ce qui ne change pas, ou ce qui change pour se bonifier, c'est le vin. Goûtez de celui-ci; c'est d'un cru d'Espagne qu'estimait fort notre ami Athos: c'est du xérès.
À ce moment, l'intendant vint consulter son maître sur le menu du lendemain et aussi sur la partie de chasse projetée.
– Dis-moi, Mouston, dit Porthos, mes armes sont-elles en bon état?
D'Artagnan commença à battre la mesure sur la table pour cacher son embarras.
– Vos armes, monseigneur, demanda Mouston, quelles armes?
– Eh pardieu, mes harnais!
– Quels harnais?
– Mes harnais de guerre.
– Mais oui, monseigneur. Je le crois, du moins.
– Tu t'en assureras demain, et tu les feras fourbir si elles en ont besoin. Quel est mon meilleur cheval de course?
– Vulcain.
– Et de fatigue?
– Bayard.
– Quel cheval aimes-tu, toi?
– J'aime Rustaud, monseigneur; c'est une bonne bête, avec laquelle je m'entends à merveille.
– C'est vigoureux, n'est-ce pas?
– Normand croisé Mecklembourg, ça irait jour et nuit.
– Voilà notre affaire. Tu feras restaurer les trois bêtes, tu fourbiras ou tu feras fourbir mes armes; plus, des pistolets pour toi et un couteau de chasse.
– Nous voyagerons donc, monseigneur? dit Mousqueton d'un air inquiet.
D'Artagnan, qui n'avait jusque-là fait que des accords vagues, battit une marche.
– Mieux que cela, Mouston! répondit Porthos.
– Nous faisons une expédition, monsieur? dit l'intendant, dont les roses commençaient à se changer en lis.
– Nous rentrons au service, Mouston! répondit