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continuait le duc; mais comme bien certainement ces braves gens-là ne viendraient ici qu'après avoir un peu pendu M. Giulio Mazarini, vous vous garderiez bien de porter la main sur moi et vous me laisseriez vivre, de peur d'être tiré à quatre chevaux par les Parisiens, ce qui est bien plus désagréable encore que d'être pendu, allez.

      Ces plaisanteries aigres-douces allaient ainsi dix minutes, un quart d'heure, vingt minutes au plus, mais elles finissaient toujours ainsi:

      M. de Chavigny, se retournant vers la porte:

      – Holà! La Ramée, criait-il.

      La Ramée entrait.

      – La Ramée, continuait M. de Chavigny, je vous recommande tout particulièrement M. de Beaufort: traitez-le avec tous les égards dus à son nom et à son rang, et à cet effet ne le perdez pas un instant de vue.

      Puis il se retirait en saluant M. de Beaufort avec une politesse ironique qui mettait celui-ci dans des colères bleues.

      La Ramée était donc devenu le commensal obligé du prince, son gardien éternel, l'ombre de son corps; mais, il faut le dire, la compagnie de La Ramée, joyeux vivant, franc convive, buveur reconnu, grand joueur de paume, bon diable au fond, et n'ayant pour M. de Beaufort qu'un défaut, celui d'être incorruptible, était devenu pour le prince plutôt une distraction qu'une fatigue.

      Malheureusement il n'en était point de même pour maître La Ramée, et quoiqu'il estimât à un certain prix l'honneur d'être enfermé avec un prisonnier de si haute importance, le plaisir de vivre dans la familiarité du petit-fils d'Henri IV ne compensait pas celui qu'il eût éprouvé à aller faire de temps en temps visite à sa famille.

      On peut être excellent exempt du roi, en même temps que bon père et bon époux. Or maître La Ramée adorait sa femme et ses enfants, qu'il ne faisait plus qu'entrevoir du haut de la muraille, lorsque pour lui donner cette consolation paternelle et conjugale ils se venaient promener de l'autre côté des fossés; décidément c'était trop peu pour lui, et La Ramée sentait que sa joyeuse humeur, qu'il avait considérée comme la cause de sa bonne santé, sans calculer qu'au contraire elle n'en était probablement que le résultat, ne tiendrait pas longtemps à un pareil régime. Cette conviction ne fit que croître dans son esprit, lorsque, peu à peu, les relations de M. de Beaufort et de M. de Chavigny s'étant aigries de plus en plus, ils cessèrent tout à fait de se voir. La Ramée sentit alors la responsabilité peser plus forte sur sa tête, et comme justement, par ces raisons que nous venons d'expliquer, il cherchait du soulagement, il accueillit très chaudement l'ouverture que lui avait faite son ami, l'intendant du maréchal de Grammont, de lui donner un acolyte: il en avait aussitôt parlé à M. de Chavigny, lequel avait répondu qu'il ne s'y opposait en aucune manière, à la condition toutefois que le sujet lui convînt.

      Nous regardons comme parfaitement inutile de faire à nos lecteurs le portrait physique et moral de Grimaud: si, comme nous l'espérons, ils n'ont pas tout à fait oublié la première partie de cet ouvrage, ils doivent avoir conservé un souvenir assez net de cet estimable personnage, chez lequel il ne s'était fait d'autre changement que d'avoir pris vingt ans de plus: acquisition qui n'avait fait que le rendre plus taciturne et plus silencieux, quoique, depuis le changement qui s'était opéré en lui, Athos lui eût rendu toute permission de parler.

      Mais à cette époque il y avait déjà douze ou quinze ans que Grimaud se taisait, et une habitude de douze ou quinze ans est devenue une seconde nature.

      XX. Grimaud entre en fonctions

      Grimaud se présenta donc avec ses dehors favorables au donjon de Vincennes. M. de Chavigny se piquait d'avoir l'oeil infaillible; ce qui pourrait faire croire qu'il était véritablement le fils du cardinal de Richelieu, dont c'était aussi la prétention éternelle. Il examina donc avec attention le postulant, et conjectura que les sourcils rapprochés, les lèvres minces, le nez crochu et les pommettes saillantes de Grimaud étaient des indices parfaits. Il ne lui adressa que douze paroles; Grimaud en répondit quatre.

      – Voilà un garçon distingué, et je l'avais jugé tel, dit M. de Chavigny; allez vous faire agréer de M. La Ramée, et dites- lui que vous me convenez sur tous les points.

      Grimaud tourna sur ses talons et s'en alla passer l'inspection beaucoup plus rigoureuse de La Ramée. Ce qui le rendait plus difficile, c'est que M. de Chavigny savait qu'il pouvait se reposer sur lui, et que lui voulait pouvoir se reposer sur Grimaud.

      Grimaud avait juste les qualités qui peuvent séduire un exempt qui désire un sous-exempt; aussi, après mille questions qui n'obtinrent chacune qu'un quart de réponse, La Ramée, fasciné par cette sobriété de paroles, se frotta les mains et enrôla Grimaud.

      – La consigne? demanda Grimaud.

      – La voici: Ne jamais laisser le prisonnier seul, lui ôter tout instrument piquant ou tranchant, l'empêcher de faire signe aux gens du dehors ou de causer trop longtemps avec ses gardiens.

      – C'est tout? demanda Grimaud.

      – Tout pour le moment, répondit La Ramée. Des circonstances nouvelles, s'il y en a, amèneront de nouvelles consignes.

      – Bon, répondit Grimaud.

      Et il entra chez M. le duc de Beaufort.

      Celui-ci était en train de se peigner la barbe qu'il laissait pousser ainsi que ses cheveux, pour faire pièce au Mazarin en étalant sa misère et en faisant parade de sa mauvaise mine. Mais comme quelques jours auparavant il avait cru, du haut du donjon, reconnaître au fond d'un carrosse la belle madame de Montbazon, dont le souvenir lui était toujours cher, il n'avait pas voulu être pour elle ce qu'il était pour Mazarin; il avait donc, dans l'espérance de la revoir, demandé un peigne de plomb qui lui avait été accordé.

      M. de Beaufort avait demandé un peigne de plomb, parce que comme tous les blonds, il avait la barbe un peu rouge: il se la teignait en se la peignant.

      Grimaud, en entrant, vit le peigne que le prince venait de déposer sur la table; il le prit en faisant une révérence.

      Le duc regarda cette étrange figure avec étonnement.

      La figure mit le peigne dans sa poche.

      – Holà, hé! qu'est-ce que cela? s'écria le duc, et quel est ce drôle?

      Grimaud ne répondit point, mais salua une seconde fois.

      – Es-tu muet? s'écria le duc.

      Grimaud fit signe que non.

      – Qu'es-tu alors? réponds, je te l'ordonne, dit le duc.

      – Gardien, répondit Grimaud.

      – Gardien! s'écria le duc. Bien, il ne manquait que cette figure patibulaire à ma collection. Holà! La Ramée, quelqu'un!

      La Ramée appelé accourut; malheureusement pour le prince il allait, se reposant sur Grimaud, se rendre à Paris, il était déjà dans la cour et remonta mécontent.

      – Qu'est-ce, mon prince? demanda-t-il.

      – Quel est ce maraud qui prend mon peigne et qui le met dans sa poche? demanda M. de Beaufort.

      – C'est un de vos gardes, Monseigneur, un garçon plein de mérite et que vous apprécierez comme M. de Chavigny et moi, j'en suis sûr.

      – Pourquoi me prend-il mon peigne?

      – En effet, dit La Ramée, pourquoi prenez-vous le peigne de

      Monseigneur?

      Grimaud tira le peigne de sa poche, passa son doigt dessus, et, en regardant et montrant la grosse dent, se contenta de prononcer un seul mot:

      – Piquant.

      – C'est vrai, dit La Ramée.

      – Que dit cet animal? demanda le duc.

      – Que tout instrument piquant est interdit par le roi à

      Monseigneur.

      – Ah çà! dit le duc, êtes-vous fou, La Ramée? Mais c'est vous- même qui me l'avez donné, ce

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